Les liens amoureux, un héritage de l’enfance
Pour survivre, le petit d’homme a besoin de liens durables et profonds avec une figure d’attachement. Et c’est la mère qui remplit le plus souvent ce rôle. L’existence de ce premier lien est aussi vitale que la nourriture, comme l’ont démontré des études du siècle dernier, déjà. C’est grâce à cette base de sécurité affective que l’enfant peut se construire et explorer le monde. En difficulté, il met en œuvre ce système d’attachement dans le but d’obtenir ou de maintenir la proximité avec sa figure maternelle, de réguler les comportements d’aide et de soutien. Autrement dit, il sollicite sa mère pour se sentir rassuré. Cette dernière va répondre à ses besoins, de façon plus ou moins adéquate, en fonction de sa propre histoire, de son contexte de vie, mais vraisemblablement aussi en fonction de bases neurobiologiques qui lui sont propres.
Selon sa réponse, très attentionnée ou à l’inverse indifférente, voire agacée ou désécurisée à l’égard des demandes de l’enfant, celui-ci se révélera «sécure» ou «insécure» dans son rapport au monde et à l’autre, selon les termes de John Bowlby, psychiatre britannique à l’origine des théories de l’attachement. «On reconnaît aujourd’hui la force de ses observations. Comme une clé de voûte, ses théories permettent d’expliquer beaucoup de choses dans les relations intimes, dans le choix du partenaire et dans la sexualité», estime le Pr Francesco Bianchi-Demicheli, responsable de l’Unité de médecine sexuelle et sexologie aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).
Sécure ou insécure
L’attachement se détermine en fonction de deux paramètres majeurs: l’angoisse de séparation d’un côté, et l’angoisse de proximité de l’autre. Les individus dits «sécures» sont à l’abri de ces deux extrêmes: leur relation à la mère est harmonieuse, ils ont du plaisir à explorer le monde, rassurés de savoir qu’ils peuvent trouver du réconfort auprès d’elle. Un attachement sécure durant l’enfance est une chance pour les relations sociales et amoureuses futures, comme l’explique Yvane Wiart dans son ouvrage L’attachement, un instinct oublié: «Les adultes sécures n’ont aucune difficulté à devenir intimes et à faire confiance à leurs partenaires. Ils pensent que l’amour existe et qu’il peut être durable. Ils ont globalement confiance en eux-mêmes et en autrui, ce qui leur permet d’anticiper une issue positive y compris en cas de conflit dans le couple, et de tout mettre en œuvre pour y parvenir».
Les choses sont plus compliquées pour les adultes insécures, dont il existe plusieurs catégories – qui diffèrent selon les théoriciens. Globalement, on peut en retenir trois. Les «anxieux» ont une mauvaise estime de soi, ils recherchent la fusion en raison de leur grande peur de l’abandon; les «désorganisés» fluctuent entre une peur de l’abandon et de la proximité, tandis que les «évitants» ont une vision négative du couple, sont peu démonstratifs, contrôlent leurs émotions, manquent de confiance et surtout se sentent vite envahis, ce qui se manifeste par un fort besoin d’indépendance et de liberté.
Influence sur le devenir amoureux
Le profil auquel on appartient influence le choix du partenaire, la longévité du couple et la sexualité, explique le Pr Bianchi-Demicheli: «Il y a des couples classiques. Par exemple, ceux qui associent deux personnalités sécures ou ceux formés par un anxieux et un évitant. Les premiers sont ceux qui durent le plus longtemps. La relation entre l’anxieux et l’évitant est également durable, l’anxieux étant le seul à pouvoir tolérer un partenaire aussi épris d’indépendance». Mais elle est plus houleuse. Et pour cause, l’un étant dans le besoin constant d’être aimé et rassuré, tandis que l’autre se sent peu écouté.
L’expression de la tendresse et la sexualité varient aussi en fonction de sa tendance. L’individu sécure a une sexualité acceptée, engagée et marquée par la fidélité. L’anxieux, à cause de sa peur de l’abandon, a souvent une libido importante. La sexualité est pour lui un moyen de se rapprocher et d’être rassuré, sexe et amour ne faisant alors qu’un. Mais son fort besoin d’attention peut aussi le conduire à avoir des partenaires sexuels multiples. L’évitant a une sexualité plutôt faible étant donné sa difficulté à entrer en relation avec l’autre. Il est peu enclin à la tendresse et aux démonstrations d’affection. Il n’accorde que peu d’importance à l’intimité, mais il peut aussi multiplier les conquêtes, sans s’attacher. Les désorganisés ont peur du rejet et peuvent en même temps se montrer infidèles par désir qu’on prenne soin d’eux. «Ce sont des personnes très attachantes, mais qui fuient dès qu’on les approche», commente le sexologue.
Les systèmes d’attachement auxquels on appartient se vérifient souvent lorsque l’équilibre du couple est mis à mal, par exemple à la suite d’une maladie, d’une infidélité, d’un désamour, etc. «Le fait de connaître son profil est très utile pour comprendre ce qu’on génère chez l’autre et pour pouvoir moduler son comportement et sa réponse émotionnelle», explique le Pr Bianchi-Demicheli, qui regrette que les théories de l’attachement ne soient pas plus utilisées dans les thérapies de couple.
_______
Paru dans Planète Santé magazine N° 33 - Mars 2019