Vaincre ses phobies
Insolite
Connaissez-vous la «nomophobie»? Ce néologisme a été inventé pour décrire une phobie propre à notre époque: la peur excessive d’être séparé de son téléphone mobile! Cet anglicisme («nomo» pour «no mobile» en anglais, associé au terme «phobie») n’est pas répertorié dans le manuel de classification américaine des maladies mentales (DSM), mais parle certainement à beaucoup d’entre nous!
Qu’est-ce qu’une phobie, sinon une peur excessive?
La phobie est un mal assez répandu, qui fait partie des troubles anxieux. Il s’agit d’une peur excessive et irrationnelle pouvant conduire à la peur panique, celle qui nous fait perdre tous nos moyens. La phobie peut s’appliquer à tout et à n’importe quoi: de la peur du noir, du sang, de la foule, des insectes, des chats, des chiens, à la peur de vomir, de manger en public, de tomber malade, de perdre son téléphone portable (lire encadré)… Lorsqu’on est confronté à l’objet de sa phobie, quel qu’il soit, ce sont toutes les pensées, les émotions et le corps qui se mettent en alerte, jusqu’à la perte de contrôle. C’est l’angoisse! Le cœur se met à battre très vite, on transpire, on a la boule au ventre (ou à la gorge), on a de la peine à respirer, on a l’impression qu’on va s’effondrer, qu’on va mourir.
Comment expliquer ce trouble?
Les phobies sont en fait un mécanisme de protection. Il s’agit d’une stratégie d’évitement pour ne pas être confronté à une situation qu’on estime dangereuse et pour ne pas être anéanti. Une phobie peut se développer à la suite d’un événement traumatique. La peur de l’eau peut par exemple trouver son origine dans un accident de noyade dans le passé, auquel on a directement ou indirectement été confronté. Mais la phobie peut aussi exister sans qu’elle ne soit corrélée à un événement antérieur. «Une peur des espaces clos – la claustrophobie – peut revêtir un sens symbolique chez une personne qui se sent enfermée dans sa vie, sans possibilité de fuir ou de reprendre le contrôle», explique Nicolas Belleux. L’événement déclencheur n’est pas toujours facile à identifier.
Quels traitements pour se soigner?
Les thérapies cognitives et comportementales (TCC) sont sans doute les plus indiquées pour traiter les phobies. Et pour cause, c’est une approche très pragmatique, comme l’explique le psychiatre: «Les TCC font le lien entre la pensée (ou cognition) et le comportement, et s’intéressent à comment l’une et l’autre s’influencent». Elles débutent généralement par un travail de compréhension, au cours duquel on essaie d’appréhender la phobie sous un jour intellectuel, comme une mise en condition. La phobie est-elle reliée à un événement traumatique? A-t-elle une composante majoritairement symbolique? sont des questions auxquelles il convient de répondre. La thérapie consiste à exposer progressivement le patient à l’objet de ses angoisses en vue d’une désensibilisation. Le but étant qu’il puisse y être confronté sans que cela ne déclenche tout un système d’alarme dans son corps et qu’il parvienne à gérer son anxiété. Un patient arachnophobe est guéri lorsqu’il peut aller dans sa cave, son grenier ou sa buanderie sans avoir peur de croiser une araignée. Et qu’il est capable de la voir simplement pour ce qu’elle est, de manière neutre, sans émotion ni réaction physique particulière.
Doit-on s’aider de médicaments?
Pas forcément, mais les médicaments de type anxiolytique ou antidépresseur peuvent être utilisés en renfort, pour favoriser la détente, en particulier chez les personnes présentant un fort terrain anxieux.
Y a-t-il des alternatives aux thérapies cognitives et comportementales?
Les nouvelles technologies sont d’une grande aide pour opérer une désensibilisation à l’égard de l’objet des phobies. Grâce à la réalité virtuelle, le patient peut, en toute sécurité, être confronté à ce qui l’effraie de manière excessive. «La réalité virtuelle est un facilitateur. Elle permet d’élaborer des scénarios divers et plus complexes. Le patient peut par exemple virtuellement monter dans un avion, aux côtés de son thérapeute, y subir les turbulences d’une météo capricieuse, sans risque aucun pour sa personne, et sans devoir se rendre à l’aéroport», illustre Nicolas Belleux. D’autres thérapies peuvent aussi aider le patient à modifier le vécu d’une personne phobique. L’EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing) est spécialement indiquée lorsque la phobie est en lien avec un événement traumatique. Ses chances de succès seraient mêmes supérieures aux TCC. L’hypnose aussi permet de travailler sur l’inconscient en modifiant un comportement ou une manière d’appréhender la réalité qui va alors se répercuter positivement sur le conscient avec l’atténuation ou la disparition de la phobie. «Cette approche est particulièrement utile lorsqu’on ne comprend pas l’origine de la phobie et que l’on souhaite court-circuiter le mental», commente Nicolas Belleux.
Peut-on facilement guérir?
Si l’on s’attaque tôt à une phobie, on a de meilleures chances d’y couper court. Mais plus elle est ancrée dans les habitudes, plus il sera difficile de s’en défaire. Il faut alors faire preuve de courage pour consulter un spécialiste. Car une phobie, et les conduites d’évitement qui l’accompagnent, peuvent sensiblement réduire la qualité de vie, ou du moins compliquer le quotidien, par exemple lorsqu’on n’ose plus sortir par peur de se retrouver dans la foule ou de croiser un chien…
Si vaincre une phobie est possible, certaines situations sont parfois complexes. En particulier lorsque derrière se cache une problématique de vie qui dépasse le rapport anxieux à l’objet de toutes les frayeurs. Parfois, la peur des araignées est résolue, mais cette peur se transforme et le patient développe une nouvelle phobie. Cela arrive lorsque la première phobie a une composante symbolique et qu’elle n’est pas liée à un traumatisme. C’est pourquoi tout traitement doit débuter par une anamnèse précise du patient, avec un retour sur son histoire.
La phobie sociale, un monde à part
Peur maladive d’être ridicule, d’être observé par les autres lorsque l’on marche, de demander un renseignement à un inconnu, de parler devant un groupe ou un public plus large, etc. La phobie sociale a de multiples expressions, qui ont toute à voir avec la peur du regard des autres. Elle est liée une faible estime de soi et à une importance exagérée accordée au jugement d’autrui. En souffrir, c’est risquer de s’isoler ou de ne pas pouvoir développer tout son potentiel lorsqu’on est en société. Les conduites d’évitement peuvent renforcer un sentiment d’exclusion et d’inadéquation, d’où l’importance de reconnaître cette gêne extrême, et d’y remédier, grâce à une psychothérapie.
Pour en savoir plus
J’ai envie de comprendre l’anxiété et les troubles anxieux, de Suzy Soumaille avec Guido Bondolfi, Préface de Christophe André, éditions Médecine&Hygiène, collection Planète santé, 2015.
__________
Paru dans L’Illustré le 14/10/2020.