À nous les beaux jours

Dernière mise à jour 27/05/21 | Article
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La luminosité, plus intense à la belle saison, met de bonne humeur et donne de l’élan. Le bonheur est un état intérieur que l’on peut cultiver: même dans l’adversité, on peut décider d’être heureux.

Au printemps, les premiers rayons de soleil et cette sensation de chaleur retrouvée nous redonnent de l’énergie et de la joie de vivre. Le soleil, si l’on sait s’en protéger, a de réels bienfaits sur le moral. Grâce à l’intensité des rayons lumineux, nous libérons des endorphines, hormones du bien-être, ainsi que de la sérotonine, un neurotransmetteur qui régule l’humeur, le sommeil et l’appétit. Quelques jours de beau temps et nous revoilà gais comme des pinsons.

«Il en faut peu pour être heureux, vraiment très peu pour être heureux, il faut se satisfaire du nécessaire», chantait l’inoubliable Baloo du «Livre de la jungle». En ces temps troublés, notre bonne humeur a souvent été chahutée, tandis que les débats sur l’essentiel et l’accessoire ont été vifs. Qu’est-ce qui nous met de bonne humeur? De quoi avons-nous besoin pour être heureux? Ces questions agitent les hommes et les femmes depuis la nuit des temps. La psychologie, la philosophie, la sociologie, l’économie, les neurosciences, etc. De nombreuses disciplines ont cherché à définir le bonheur et à le quantifier. Il est souvent confondu avec la bonne humeur, décrite comme une émotion positive, passagère et fluctuante car reliée à un instant donné. Pour le Dr Nicolas Belleux, psychiatre et psychothérapeute à Lausanne, le bonheur est un état intérieur, une sorte d’art de vivre, que l’on peut cultiver (lire plus bas). À l’inverse du plaisir, qui est une sensation positive procurée par l’extérieur, le bonheur ne dépend ni des autres, ni des événements et est, en cela, plus stable. «On peut multiplier les plaisirs, sans pour autant être heureux», commente le psychiatre. Le niveau de bonheur, autrement dit, le sentiment d’être heureux serait multi-déterminé. En voici quelques ingrédients.

Les conditions matérielles

Les fluctuations intérieures de l’humeur

Une humeur maussade, un brin d’anxiété… Et si des facteurs internes étaient en cause?Des déficits en vitamines, hormones ou neurotransmetteurs peuvent être à l’origine de perturbations de l’humeur. Prenons l’exemple de la vitamine D. Synthétisée dans l’organisme grâce à l’exposition aux UVB, elle joue un rôle important pour les os mais vraisemblablement aussi pour l’humeur. S’exposer au soleil chaque jour une vingtaine de minutes (avant 11h et après 16h) suffirait pour retrouver de l’énergie. Notre humeur est aussi fortement régulée par notre équilibre hormonal. Un dérèglement de la thyroïde peut entraîner des perturbations psychiques (symptômes dépressifs, irritabilité, labilité de l’humeur, anxiété, ralentissement, fatigue, etc.). Le cycle hormonal de la femme peut lui aussi fortement impacter l’humeur avec de forts changements de comportement à l’approche des règles ou à la ménopause. Chez l’homme, une baisse de la testostérone peut être à l’origine d’un état dépressif. Sur le plan des neurotransmetteurs, un déficit en sérotonine, dopamine et/ou noradrénaline, peut aussi fragiliser, jusqu’à la dépression. En cas d’humeur instable, de perte d’élan et de joie de vivre, parlez-en à votre médecin généraliste. «Parfois, on se débat sans savoir que la cause du mal-être est moins psychologique que physique, c’est pourquoi il vaut la peine de faire un bilan sanguin», note le Dr Nicolas Belleux, psychiatre et psychothérapeute à Lausanne. Un bilan nutritionnel peut permettre de déceler des éventuelles fragilités dans l’assimilation des nutriments, source de carences, malgré une alimentation saine.

Avoir un toit, un travail, de quoi manger font partie des besoins fondamentaux. Les conditions matérielles sont un indice de bien-être, mais il n’est pas le plus déterminant. Bien évidemment, il est plus difficile d’être heureux lorsqu’on est confronté à un stress financier, par exemple. Mais le bonheur ne repose ni sur le revenu ni sur le patrimoine. «Le matérialisme est une fausse promesse qui pèse sur l’individu, le collectif et l’environnement», déclare Gaël Brulé, docteur en sociologie, chercheur au Centre national de recherche Lives sur les parcours de vie et auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet*. Le temps passé avec les autres est plus enrichissant sur le plan personnel.

Les liens sociaux

Le bonheur est en effet fortement corrélé à l’intégration sociale. Avoir un réseau amical, des proches sur qui l’on peut compter, se sentir appartenir au monde, participent fortement au bien-être, selon de nombreuses données scientifiques. «On observe davantage de symptômes dépressifs et anxieux chez les enfants, adolescents et adultes qui souffrent de solitude», note le Pr Edouard Gentaz, professeur de psychologie du développement à l’Université de Genève. Mais parfois, c’est le serpent qui se mord la queue, explique le Dr Belleux: «Le dépressif a tendance à se couper du monde, ce qui renforce sa dépression.» Être entouré augmente donc le bien-être, pour autant que ce soit par les bonnes personnes. Ressource précieuse, la famille peut aussi être un poids lorsque les enjeux relationnels sont importants et que l’on est pris au piège du passé. En amitié, il existe souvent une plus grande liberté d’être, tandis que les rapports sont plus directs entre les individus. Famille ou amis, mieux vaut côtoyer les personnes qui nous font du bien. Est-ce le cas? C’est une question que nous devrions régulièrement nous poser.

La capacité à savourer l’instant présent

Le bonheur dépend moins des événements que l’on est amenés à vivre que de notre capacité à considérer l’instant présent et à identifier le positif qui s’y cache. «Le fait de pouvoir repérer ces micro-épisodes de vie et d’en prendre conscience contribue fortement au bien-être», assure le Pr Gentaz. Mais cela demande de l’entraînement. Car nous autres, êtres humains, avons une tendance naturelle à retenir le négatif et à nous y accrocher. «Pour une chose négative relevée, il faudrait, pour contrebalancer, en souligner trois positives», indique le psychologue. Mettre des mots sur une situation, en relever les aspects agréables, témoigner de la gratitude sont des réflexes à adopter d’urgence et qui peuvent être stimulés dès l’enfance. «Par imitation, les enfants développent peu à peu cette propension au bonheur, c’est aux parents de les y entraîner», suggère le spécialiste, qui propose, avec l’Université de Genève, une formation gratuite en ligne** sur les besoins et compétences des enfants, destinés aux parents.

Le contrôle sur les événements

Témoignage: «Il fallait vivre cette épreuve dans la joie»

Quand Valentin, 10 ans, est atteint d’une maladie grave, ses parents ont une réaction totalement inattendue. Cécile, sa maman, raconte.

«Valentin souffrait d’être petit. Pour lui faire plaisir, nous avons consulté un médecin. Après une série d’examens, le choc est terrible: notre fils est atteint d’une tumeur au cerveau et doit être opéré en urgence. Notre vie s’effondre. C’est à ce moment-là, après avoir bien pleuré, que nous avons fermement décidé de voir le meilleur. En tant que parents, nous ne pouvions pas arriver dans cet état. Qu’aurait-il pensé? Nous avons retourné cela en une bonne nouvelle et lui avons dit: «Nous savons pourquoi tu ne grandis pas, tu as une petite boule dans la tête qu’on doit enlever. Valentin, comme tu es le premier de la famille à aller à l’hôpital, nous allons fêter ça: champagne!»

Malgré les quatre opérations à haut risque qui vont suivre, la protonthérapie et les obstacles inévitables, nous avons toujours insufflé à Valentin un état d’esprit tourné vers la joie, le dépassement de soi et surtout la confiance en la vie. Même s’il a souffert le martyr et n’a eu aucun bon résultat médical pendant cinq ans, Valentin est un rayon de soleil et vit une succession d’aventures et de rencontres incroyables. Bien sûr, dans toute cette expérience, l’entraide a été vitale: un couple solide, une famille unie, des amis sur qui on peut vraiment compter. Et notre souhait est que l’histoire de notre fils puisse être une source d’inspiration pour chacun autant qu’elle l’a été pour nous.»

Pour découvrir le parcours de Valentin et de sa famille plus longuement: «Les aventuriers de l’entraide», Cécile Belleux et Virginie Gay, éd. Société des écrivains, 2019.

Association Entre et Aide : www.entreetaide.com

C’est sans doute ce qui a fait défaut durant le temps de la pandémie et qui a ébranlé bon nombre d’entre nous. Le frein à nos libertés et surtout la perte de pouvoir sur les événements. Or sentir que l’on a du contrôle sur notre vie est fortement corrélé avec le niveau de bonheur. Lorsque les problèmes s’enchaînent, subir les événements entraîne découragement et mal-être. «Les personnes qui trouvent le moyen de reprendre les choses en main et restent actrices de leur vie s’en sortent beaucoup mieux», note Gaël Brulé. Et si tout était affaire de regard et de perception sur ce qui nous arrive? Pour cela, nous avons toujours le choix: «C’est la façon dont nous appréhendons les choses qui compte plus que ce que nous sommes amenés à vivre», souligne Edouard Gentaz. Chercher des alternatives, se repositionner, trouver du positif là où a priori il n’y en a pas, voire décider de lâcher prise… sont autant de façons de reprendre le contrôle (lire témoignage).

La spiritualité

Les études montrent que les croyants sont plus heureux et plus résistants face à l’adversité: «La dimension collective compte beaucoup dans ce bénéfice», note Gaël Brulé. En effet, le fait d’appartenir à une communauté avec qui on partage des valeurs en étant tourné vers les autres renforce le sentiment de bien-être. De plus, croire en une force supérieure et se sentir relié à quelque chose de plus vaste et d’organisé est sécurisant et donne du sens à l’existence. «En fin de vie, l’absence d’espérance ou de sens peut être une source d’inquiétude importante chez les personnes athées», note le Dr Belleux.

Le mode de vie

Une bonne hygiène de vie ne garantit pas le bonheur, mais participe à une bonne santé psychique et à une humeur stable. Activité physique, alimentation, sommeil: misez sur l’équilibre. L’activité physique agit comme un antidépresseur naturel grâce à la libération d’endorphines. En matière de nutrition, «le sucre raffiné est une catastrophe, note le Dr Belleux. Il provoque un plaisir immédiat, mais la chute est vertigineuse. Les excès entraînent une plus grande susceptibilité à l’anxiété et à une instabilité de l’humeur avec, selon le contexte, un sentiment de culpabilité qui peut s’y associer». L’alcool aussi est un faux-ami. Son effet euphorisant est de courte durée: à plus long terme, il a tendance à déprimer.

À bas les injonctions

Une grande partie de notre niveau de bien-être est liée à nos comportements, ce qui est une bonne nouvelle. Mais quoi de pire que ces injonctions au bonheur lorsqu’on sent qu’on n’y arrive pas? La psychologie positive a aussi ses dérives. Si on n’est pas heureux, évitons de culpabiliser, pour ne pas ajouter de couche de souffrance inutile. «Tout ne repose pas sur l’individu. On néglige trop le contexte social et les influences que nous subissons», souligne Edouard Gentaz. Vous allez mal? Ne restez pas seul. «Mieux vaut partager son ressenti avec un proche ou demander de l’aide à un professionnel. On croit parfois que cela va passer, mais le temps n’aide pas toujours. Il faut réagir vite pour ne pas s’enfoncer», conclut le Dr Belleux.

Cultiver le bonheur chaque jour

Et si vous décidiez de mettre toutes les chances de votre côté? Voici quelques outils pour cultiver le bonheur.

  • Trois «kiffs» par jour: Efforcez-vous de relever chaque jour les aspects positifs de votre journée pour en savourer d’autant plus les bienfaits et en retirer de la satisfaction à plus long terme.
  • Faites preuve de gratitude: Soyez reconnaissant de ce que la vie vous donne: le fait d’être en vie, d’être qui vous êtes, d’avoir ce que vous avez. On a aussi tendance à se déprécier. Il s’agit de prendre conscience de sa valeur, en se faisant des compliments pour les choses accomplies, dans un mouvement d’auto-conviction. Témoignez gratitude et affection à vos proches également: «On dit trop souvent "Tu sais bien que je t’aime", mais il est bon de le répéter», déclare Edouard Gentaz, professeur en psychologie du développement à l’Université de Genève.
  • Cherchez de l’inspiration: Une lecture, une œuvre, une rencontre… certaines nous marquent par leur philosophie, leur don ou leur parcours de vie et peuvent être source d’inspiration. N’oubliez pas néanmoins que vous êtes unique et que vous avez vos propres talents. «C’est avant tout à nous-mêmes que nous devrions ressembler», souligne le Dr Belleux, psychiatre et psychothérapeute à Lausanne.
  • Comparez-vous avec modération: La comparaison permet de se situer par rapport aux autres, mais si elle tourne systématiquement en votre défaveur, mieux vaut s’abstenir. Attention aussi aux faux-semblants. Les réseaux sociaux, par exemple, véhiculent des images de bonheur et de perfection qui peuvent sérieusement entamer l’image de soi. Restez critique et prenez, si nécessaire, de la distance.
  • Écoutez-vous: Le bonheur est à chercher en soi: «Il faut savoir pourquoi on fait les choses et quel sens elles ont pour nous. C’est ce qu’on appelle la motivation intrinsèque», conclut Gaël Brulé, sociologue. Avancer sans conviction, pour faire plaisir aux autres et au mépris de qui nous sommes, ne rend pas heureux.

__________

* Le bonheur n’est pas là où vous le pensez, Dunod, 2018.

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Paru dans L’Illustré le 26/05/2021.

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