Dyslexie: et si on réparait le cerveau?
La lecture, où est-ce que cela se passe?
Fluide pour les uns, laborieuse pour les autres, la lecture est une habileté qui solliciterait un vaste réseau cérébral principalement dans l’hémisphère gauche. Le lobe occipital, et notamment une région appelée l’aire de la forme visuelle des mots, est associé à la reconnaissance des lettres et des mots. La région temporopariétale G est quant à elle impliquée dans les processus de traitement phonologique. Enfin, le gyrus frontal inférieur, zone classiquement impliquée dans le langage oral, est fortement activé.
En Suisse, on estime que jusqu’à 7 % de la population souffre de dyslexie, un trouble (lire encadré) qui peut faire de la lecture un vrai cauchemar. La dyslexie n’est pas liée à l’intelligence, ni à l’éducation. Néanmoins, elle peut représenter un réel handicap à l’école, surtout lorsqu’il s’agit d’une forme prononcée. Lors de la lecture, les personnes avec dyslexie peinent à associer les lettres et les sons. Ce déficit avant tout phonologique est lié dans le cerveau à une altération de la fonction oscillatoire autour de 30 Hz, dite «gamma». Il faut savoir en effet quela transmission d’informations entre les neurones dans le cerveau se traduit par des signaux électriques de différentes fréquences. Chez les dyslexiques, ces oscillations à 30 Hz sont réduites dans le cortex auditif gauche par rapport aux bons lecteurs.
Une équipe de recherche en neurosciences dirigée par la Pre Anne-Lise Giraud à l’Université de Genève (UNIGE) a montré que l’on pouvait améliorer transitoirement les capacités de lecture d’adultes dyslexiques en augmentant la puissance de ces oscillations, explique Silvia Marchesotti, maître-assistante au Département des neurosciences fondamentales de l’UNIGE et première auteure de l’étude: «Nous avons utilisé une technique non invasive consistant à stimuler, via des électrodes posées sur le cuir chevelu, le cortex auditif gauche par un faible courant électrique, précisément à 30 Hz.» Les résultats, publiés dans la revue Plos Biology*, montrent une meilleure perception des phonèmes et une amélioration de la lecture chez les participants dyslexiques après cette intervention.
Des résultats encourageants
L’expérience s’est déroulée en plusieurs temps. Les performances linguistiques ont été évaluées avant et après la stimulation électrique. Des tests consistaient par exemple à faire des contrepèteries – inverser le premier phonème de deux mots – et à lire des mots qui n’existent pas dans notre vocabulaire. Après la neurostimulation, les chercheurs ont observé une amélioration des performances linguistiques uniquement avec une stimulation électrique à 30 Hz: «On n’a mesuré aucune amélioration en utilisant un courant modulé à 60 Hz ni avec une stimulation placebo, remarque la chercheuse. La stimulation a eu des effets sur l’activité du cortex auditif gauche et du gyrus temporal supérieur, deux régions importantes dans la perception des sons.» L’effet observé était d’autant plus marqué que les participants étaient plus affectés par la dyslexie.
À la lumière de cette recherche, peut-on espérer réparer le cerveau des personnes dyslexiques? Pas encore. Les effets positifs n’ont été que transitoires. «Néanmoins, affirme Silvia Marchesotti, on peut imaginer consolider ces effets plus durablement en répétant la neurostimulation durant plusieurs jours et en effectuant les interventions chez l’enfant ou l’adolescent.» Mais d’autres pistes sont envisagées par les chercheurs, neurofeedback notamment. Toutefois, «même si, en effet, la méthode n’est pas invasive et dépourvue d’effets secondaires, elle reste difficile à mettre en place», ajoute-t-elle.
Soigner la dyslexie aujourd’hui
En attendant que la recherche fondamentale donne lieu à de nouveaux traitements, le quotidien des enfants avec dyslexie et de leurs familles reste éprouvant. Il existe cependant des moyens d’y faire face. «La plupart des méthodes validées ont pour but d’améliorer les compétences phonologiques de l’enfant, d’entraîner ses habiletés de décodage des syllabes puis des mots, afin d’améliorer peu à peu l’automatisation de la lecture», commente le Dr Joël Fluss, neuropédiatre aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). En classe, des activités de déchiffrage en petit groupe peuvent être proposées aux élèves qui présentent des difficultés d’apprentissage de la lecture. Pour ceux qui ne progressent pas, une prise en charge spécialisée (logopédie) est indiquée. Des aménagements (temps supplémentaire, textes avec typographies contrastées et espacées, par exemple) peuvent être proposés dès que l’enfant a acquis une lecture fonctionnelle. La technologie (stylet de lecture, logiciels de dictée vocale) peut aussi aider, surtout dans les cas extrêmes. Enfin, le recours à des livres audio est une option lorsque la lecture d’ouvrages prend trop d’énergie.
«Comme les autres troubles d’apprentissage, la dyslexie est source de grande inquiétude pour les parents et de nombreuses thérapies fleurissent avec parfois des dérives. En cas de difficultés d’accès à la lecture, mieux vaut s’adresser en premier lieu à l’enseignant ou enseignante qui orientera l’enfant vers les structures dédiées d’évaluation ou vers un ou une logopédiste», conclut le neuropédiatre.
En quelques mots
La dyslexie est un trouble neurodéveloppemental de reconnaissance des mots. «Ses causes sont multiples et résultent probablement d’une intrication entre des facteurs neurobiologiques, génétiques et environnementaux (faible exposition aux livres, vocabulaire appauvri, etc.)», explique le Dr Joël Fluss, neuropédiatre aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). La conversion des graphèmes (plus petite unité de la langue écrite) en phonèmes (plus petite unité de la langue parlée) pose problème dès les premiers pas dans l’apprentissage de l’écrit, rendant l’acquisition de la lecture plus lente et souvent fastidieuse. «Plus les mots sont irréguliers, comme "oignon" ou "monsieur", qui ne se prononcent pas comme ils s’écrivent, plus le déchiffrage est difficile», décrit le Dr Joël Fluss. Les dyslexiques ne reconnaissent pas les mots de manière automatiques et restent, en quelque sorte, des apprentis lecteurs. L’effort mental que suppose la lecture est parfois si important qu’il peut compliquer les autres apprentissages. Tout au long de la scolarité et même après, la lecture est le socle pour apprendre d’autres contenus et savoirs: «Lorsqu’on lit pour apprendre, c’est la double peine», commente le spécialiste. La dyslexie peut avoir des répercussions sur la compréhension des textes mais aussi sur l’orthographe des mots (dysorthographie), en raison d’un répertoire sémantique possiblement plus restreint. Elle est également souvent associée à d’autres troubles, comme l’anxiété ou les troubles de l’attention.
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* Marchesotti S, Nicolle J, Merlet I, et al. Selective enhancement of low-gamma activity by tACS improves phonemic processing and reading accuracy in dyslexia. PLoS Biol 2020;18(9):e3000833.
Paru dans Le Matin Dimanche le 01/05/2022.