Trouble de la personnalité borderline: et si c’était ça?
Plus de femmes que d’hommes concernées?
Si les femmes sont plus nombreuses à consulter, hommes et femmes sont en réalité touchés dans des proportions identiques par le trouble de la personnalité borderline. Mais les manifestations de la maladiepeuvent être différentes. Les actes d’automutilation sont plus fréquents chez les femmes et les comportements agressifs envers les autres ou déviants vis-à-vis de la loi, chez les hommes.
Accès de colère incontrôlables, émotions débordantes, passages soudains du rire aux larmes, peur panique de l’abandon et recours fréquent à des comportements autodestructeurs pour tenter d’apaiser le trop-plein de tensions internes: autant de manifestations caractéristiques du trouble de la personnalité borderline. Un tableau typique que l’on imagine propice au diagnostic, mais également à une prise en charge adéquate, quand on sait que cette maladie se soigne. Et pourtant, il n'en est rien.
«Cette pathologie, liée au dysfonctionnement du système de régulation émotionnelle, est l’une des plus faciles à identifier en psychiatrie. L’évaluation repose sur une grille de neuf critères cliniques permettant de poser le diagnostic dès lors qu’une personne présente au moins cinq de ces symptômes. Malgré cela, ce trouble reste gravement sous-diagnostiqué, exposant les personnes atteintes à une véritable errance médicale, dans un contexte de souffrances et de mises en danger perpétuelles», déplore le Pr Nader Perroud, médecin adjoint agrégé, responsable de l’Unité du trouble de la régulation émotionnelle des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).
En cause? D’abord, le refus de consulter, par honte ou peur de la stigmatisation, mais pas seulement. «Le trouble de la personnalité borderline souffre aussi de lacunes côté soignants, poursuit l’expert. Touchant près de 4% de la population, il est plus fréquent que des pathologies comme la schizophrénie ou le trouble bipolaire et pourtant, moins bien pris en charge.» Les raisons? «Elles sont complexes, en partie historiques, et se jouent sur deux plans, précise le Pr Perroud. Le premier: le trouble de la personnalité borderline a longtemps été absent de l’enseignement prodigué sur les bancs des facultés de médecine. Le second: il s’agit d’une pathologie qui ne se traite pas par des médicaments, mais par un travail psychothérapeutique spécifique. Démunis face à cette pathologie qu’ils connaissent mal, de nombreux médecins passent à côté du diagnostic et d’une prise en charge adéquate.Un cercle vicieux s’enclenche alors pour des patients qui se voient attribuer un diagnostic erroné, de dépression sévère par exemple, et entament un traitement médicamenteux inadapté et donc voué à l’échec. Et c’est l’impasse.»
Plusieurs formes de psychothérapie
Plusieurs psychothérapies possibles
La psychothérapie est la pierre angulaire de la prise en charge du trouble de la personnalité borderline. Zoom sur trois approches spécifiques pour lesquelles des effets hautement prometteurs ont pu être démontrés.
- Thérapie comportementale dialectique: Elle repose notamment sur l’apprentissage de la régulation des émotions et de compétences interpersonnelles et combine thérapies individuelle et de groupe et consultations par téléphone.
- Thérapie basée sur la mentalisation: Elle vise à développer les capacités de mentalisation, autrement dit à mieux appréhender ses propres comportements et ceux de l’autre. Elle comprend notamment un suivi individuel et de groupe, ainsi qu’un plan de crise.
- Psychothérapie focalisée sur le transfert: Elle s’ancre sur les interactions vécues entre le thérapeute et le patient, et nécessite un suivi intensif par le biais de deux séances hebdomadaires.
Pourtant, des traitements efficaces existent. Même si certains symptômes, comme l’anxiété ou l’impulsivité, peuvent nécessiter le recours ponctuel à des médicaments, le traitement de fond du trouble de la personnalité borderline se joue sur le plan psychothérapeutique. «Plusieurs formes de psychothérapie existent (lire encadré). Elles ont en commun de proposer un cadre très structuré, au sein duquel la relation de soin entre le patient et le soignant tient une place centrale», résume le Dr Ueli Kramer, psychologue-psychothérapeute, chercheur au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) et président de la Société européenne de l’étude des troubles de la personnalité (ESSPD). Et d’ajouter: «Si les patients parviennent à s’investir pleinement dans la démarche de soin, les résultats peuvent être spectaculaires en six mois à un an et perdurer sur le long terme.L’acquisition de compétences personnelles et relationnelles nouvelles permet progressivement de faire évoluer le diagnostic et de sortir de la maladie.»
Plus surprenant, le diagnostic, reposant sur un nombre précis de critères cliniques, laisse également entrevoir une rémission au fil du temps, même sans traitement. «On dit que le trouble de la personnalité borderline disparaît de lui-même aux alentours de 35-40 ans, indique le Pr Perroud. Mais la réalité est plus complexe, puisqu’il ne s’agit pas d’une "guérison" spontanée, mais plutôt de changements opérés par la personne, le plus souvent dans la douleur. Par exemple, les accès de colère typiquesde la maladie peuvent finir par s’estomper tant ils ont mis à mal toute relation, sentimentale comme professionnelle.» Mais l’expert d’alerter: «Ces perspectives d’améliorations ne doivent pas remettre en cause l’importance des soins, car elles n’effacent pas les années passées avec la maladie et les dégâts qu’elle a pu causer à tous les niveaux de la vie.» Ni la persistance de certaines difficultés: «Les symptômes associés notamment au fonctionnement psychosocial et à la souffrance identitaire profonde s’amenuisent, eux, plus difficilement, note le Dr Kramer. Une psychothérapie reste donc indispensable dans une grande partie des cas.»
Reste l’origine de la maladie. Plusieurs thèses se sont succédé, incriminant la mère, le père, un fait biologique ou un traumatisme passé: il semblerait qu’elle soit surtout multifactorielle. «Plusieurs facteurs se conjuguent les uns aux autres de façon complexe, indique le Dr Kramer. On trouve parmi eux une vulnérabilité génétique, une fragilité psychologique, une hypersensibilité et un environnement familial délétère, maltraitant ou négligeant – n’ayant pas apporté les réponses appropriées au vécu et aux émotions de l’enfant.»
Si les études se poursuivent pour mieux comprendre les dessous de la pathologie, plusieurs recherches ont confirmé l’efficacité des traitements psychothérapeutiques actuels et incitent donc à une prise en charge dès l’apparition du trouble, soit le plus souvent à la fin de l’adolescence.
Liens utiles
Zoom sur trois centres proposant des programmes spécialisés pour la prise en charge du trouble de la personnalité borderline:
- À Genève: Unité du trouble de la régulation émotionnelle, Service des spécialités psychiatriques, HUG - Tél.: 022 305 45 11
- À Lausanne: Service de psychiatrie générale, CHUV - Tél.: 021 314 00 50
- À Fribourg: PRISME Programme thérapeutique, Réseau Fribourgeois de santé mentale - Tél.: 026 305 77 38
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Paru dans Le Matin Dimanche le 16/10/2022