Proches aidants: quelles retombées sur la santé?
Le tableau n’est pas aussi sombre qu’on pourrait le croire. Si les proches aidants font face à des difficultés, leur rôle a aussi «de nombreux aspects positifs», souligne Annie Oulevey Bachmann, professeure HES à l’Institut et Haute école de la santé La Source à Lausanne. Il ressort d’ailleurs d’une enquête faite dans le canton de Vaud que «plus de 90 % des proches aidants sont satisfaits d’aider et veulent continuer à le faire», constate Mercedes Pône, responsable du Programme cantonal de soutien aux proches aidant·e·s du Département de la santé et de l’action sociale du canton de Vaud. Des conclusions confirmées par d’autres études, menées au niveau national, qui montrent que les personnes concernées sont nombreuses à être fières de ce qu’elles font et des connaissances qu’elles ont acquises à cette occasion. Cela renforce, disent-elles, leur estime personnelle.
Une double surcharge
Toutefois, celles et ceux qui portent assistance à un proche, sont soumis à une double «surcharge», précise Sylvie Tétreault, professeure HES honoraire à la Haute école de travail social et de la santé à Lausanne. La première, «objective», est liée aux tâches concrètes qu’ils doivent effectuer. La seconde, «subjective, vient du poids psychologique qui pèse sur eux et de leurs craintes pour le futur». Sans compter que les proches aidants – des femmes, en majorité – sont souvent obligés de réduire leur activité professionnelle, donc leur rémunération, et même parfois de renoncer à leur emploi, ce qui peut entraîner, à court ou long terme, des problèmes financiers.
Cela a également des retombées sur la santé physique des personnes concernées, qui présentent plus souvent que les autres de la fatigue chronique, des affections musculo-squelettiques (notamment des maux de dos) et des troubles du sommeil. Les proches aidants ont en effet «souvent tendance à négliger leur propre santé au profit de celle de la personne aidée et ils attendent d’avoir des atteintes sévères pour consulter un médecin», constate Annie Oulevey Bachmann. Ils deviennent alors des consommateurs de médicaments, en particulier de somnifères, d’analgésiques, d’anxiolytiques et d’antidépresseurs.
Des pensées obsédantes
Leur santé mentale peut en effet aussi être affectée. «À mesure que la pression augmente, on peut voir arriver des problèmes typiques du stress, en particulier le développement de troubles anxieux et/ou dépressifs», souligne Catherine Ludwig, professeure associée HES à la Haute école de santé à Genève. De ce fait, ajoute Sylvie Tétreault, les proches aidants ont tendance à s’isoler et «à avoir des préoccupations quotidiennes et des pensées obsédantes qui minent leur santé mentale. C’est un véritable cercle vicieux».
À cela s’ajoutent les difficultés spécifiques que rencontrent les proches aidants les plus jeunes. D’après une étude citée dans un rapport sur le sujet publié par l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), on estime en effet qu’en 2018, plus de 49 000 enfants et adolescents âgés de 9 à 15 ans s’occupaient de leurs parents ou de leurs grands-parents. Une tâche qui a souvent des répercussions sur leur parcours scolaire et leur devenir professionnel.
Ces différentes situations «peuvent parfois même conduire à de la maltraitance ou de la négligence envers la personne aidée», écrivent les trois professeures HES dans le livre collectif qu’elles ont codirigé1. Un comportement qui peut parfois s’expliquer par «l’épuisement des proches aidants qui manquent de ressources pour faire face au stress», explique Catherine Ludwig. Il peut aussi provenir de «la méconnaissance dans laquelle ils se trouvent des affections de la personne aidée, particulièrement lorsqu’elles sont évolutives, comme dans le cas des maladies dégénératives».
Prendre soin de soi
Au début, les proches aidants arrivent généralement à remplir les tâches qui leur incombent, mais cela devient de plus en plus difficile à mesure que les mois et les années passent. Et, à la longue, ils s’épuisent.
Pour éviter d’en arriver là, tous les professionnels concernés par cette problématique leur conseillent de prendre soin d’eux. En d’autres termes, comme le dit Sylvie Tétreault, ils doivent veiller «à se ménager du temps pour faire des activités valorisantes et reposantes» et «à maintenir leurs ressources de santé», ajoute Annie Oulevey Bachmann, qui leur recommande aussi de «s’appuyer sur les nombreuses associations existantes qui leur permettent de partager leurs expériences tout en leur offrant un espace de respiration». Il en va non seulement de l’équilibre des proches aidants, mais aussi de celui du reste de leur famille.
Patricia, proche aidante: «Je remplis des tâches cruciales pour l’indépendance de ma maman»
Sa mère ne souffre d’aucune maladie grave ni de handicap. Elle a «toute sa tête» mais, à 91 ans, elle entend mal, ne sort plus seule de peur de tomber et a beaucoup perdu de son autonomie. Patricia doit donc lui porter assistance.
«Il y a quatre ans, quand mon père est décédé, ma maman s’est trouvée un peu démunie et j’ai commencé à m’occuper d’elle. Je l’ai incitée à déménager dans un immeuble protégé. Au début, elle participait aux activités proposées et allait manger au restaurant installé dans le bâtiment. Puis il y a eu le Covid-19, les visites étaient interdites et j’ai pris ma maman chez moi pendant trois mois. Ce séjour a accéléré sa dépendance.
Quand elle est retournée chez elle, le restaurant était toujours fermé, elle mangeait de moins en moins et je me suis mise à cuisiner pour elle. Maintenant, je viens la voir plusieurs jours par semaine et je reste quelques heures avec elle. Je lui apporte des plats qu’une aide-soignante réchauffe à l’heure des repas. Je la conduis chez le docteur, je lui lave les cheveux, lui coupe les ongles, l’emmène se promener, je m’occupe de ses paiements, etc. Elle bénéficie de beaucoup d’aides de la part d’infirmières ou d’autres professionnels. Ces soutiens – certains sont pris en charge par les assurances, d’autres sont payants – sont absolument indispensables. De mon côté, je remplis des tâches cruciales pour son indépendance. Je me suis déclarée proche aidante et, pour qu’elle obtienne une allocation, j’ai dû remplir un dossier et calculer le temps que je passe avec elle. Je suis arrivée à cent trente heures par mois.
Il n’y a pas si longtemps encore, je travaillais. J’avais une aide à domicile plus étoffée, mais j’étais sans cesse dérangée. J’étais chez un client et voilà que maman me téléphonait pour me dire qu’elle ne se sentait pas bien. Un peu plus tard, une infirmière m’appelait pour me dire qu’elle était à l’hôpital. Ce n’était plus gérable et, lorsque mon entreprise m’a licenciée, cela m’a rendu service.
Être proche aidant, cela n’arrive pas tout à coup. C’est un processus progressif et pernicieux. Ce qui me prend le plus d’énergie relève de l’émotionnel. C’est difficile de faire face aux peurs de maman, de l’entendre dire «Qu’est-ce qui m’arrive?». On assiste à un déclin: parfois, on voit que de petites lumières s’éteignent et on sait qu’elles ne se rallumeront plus. J’ai aussi des moments de découragement, par exemple quand je suis en retard et qu’elle me le reproche. Mais j’ai aussi bien de satisfactions. Maman trouve normal que je l’aide et elle ne me prodigue pas de grands remerciements, mais dans son regard, sa façon de me chercher et d’avoir besoin de moi, je vois que tout cela crée un lien entre nous. Et quand elle partira, je pourrai me dire que j’ai fait tout ce que je pouvais.»
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Paru dans Planète Santé magazine N° 42 – Octobre 2021
1. A. Oulevey Bachmann, C. Ludwig, S. Tétreault. Proches aidant·e·s. Des alliés indispensables aux professionnels de la santé. Ed. Georg, Genève, 2021. Ce livre est disponible en accès libre sur : https://www.georg.ch/proches-aidant-e-s-allies-indispensables