La greffe de cornée permet de retrouver une vision normale
La kératoplastie, ou greffe de cornée, est la greffe la plus réalisée à l'échelle mondiale (plus de 100 000 greffes chaque année dans le monde). Pratiquée pour la première fois en 1887 par un certain Arthur Von Hippel, c’est aussi la plus ancienne greffe de tissu effectuée avec succès chez l’homme. Et celle qui a la meilleure survie au long cours (près de 70% de survie après dix ans).
Concrètement, il s’agit de remplacer la partie de cornée malade par un tissu sain, prélevé sur un donneur décédé. En Suisse, près de 580 greffes de cornées sont effectuées chaque année. «Mais ce sont 800 personnes par an au total qui en auraient besoin», déplore le Dr François Majo, médecin adjoint à l’Hôpital ophtalmique Jules Gonin à Lausanne et responsable notamment de l’Unité de cornée médicale et chirurgicale. En effet, la Suisse manque de donneurs (lire notre article La Suisse manque de donneurs de cornée).
Principales indications
«La cornée est une sorte de hublot transparent en avant de la couleur de l’œil», explique le Dr François Majo. Et c’est bien plus qu’une simple lentille. Faite essentiellement de collagène, d’eau et de cellules, il s’agit d’un ensemble complexe, ayant un rôle primordial pour la vision (lire notre article Indispensable cornée). Avec l’âge ou à cause de traumatismes, de brûlures (chimiques notamment), de diverses affections ou suite à une opération (lire encadré), sa transparence et ses courbures peuvent être altérées. Ce qui entraîne une baisse de l’acuité visuelle, voire la perte de la vision. Dans ces cas, une greffe de cornée peut être indiquée.
«La greffe de cornée peut se faire à tout âge, même à 90 ans, explique le Dr Majo. La vue permet d’établir et de préserver le lien social, il est donc indispensable d’opérer aussi les personnes plus âgées qui, sinon, perdraient leur autonomie.»
Les principales indications de greffe de cornée
Les opacités cornéennes constituent la troisième cause de cécité dans le monde, après le glaucome (hypertonie intra-oculaire) et la cataracte (opacification du cristallin).
Les greffes de cornée sont indiquées principalement lors des atteintes suivantes:
- La dystrophie de Fuchs et les dystrophies bulleuses de la cornée (45% des cas): cette maladie dégénérative provoque un vieillissement prématuré de la cornée avec diminution du nombre de cellules endothéliales qui en tapissent la couche interne. Dans ce cas, la cornée est épaissie par un œdème et l’indice de réfraction se modifie, entraînant une baisse de la vision. Une greffe de la cornée permet dans ces cas une bonne récupération fonctionnelle.
- Les kératites infectieuses (10 à 20% des cas): infections bactériennes, virales (dont la kératite herpétique, 5%), parasitaires ou fongiques de la cornée.
- Le kératocône (40% des indications) entraîne un amincissement progressif de la cornée avec une déformation progressive: la cornée prend la forme d’un cône. Cette maladie peut déjà se manifester à l’adolescence. Une greffe est réalisée si la vision ne peut plus être améliorée avec des lunettes ou des lentilles de contact spéciales, ou si la cornée est devenue opaque. Cela arrive le plus souvent vers 25-35 ans. La greffe permet de retrouver une vision à 100% en portant des lentilles de contact.
- Les échecs de greffes: en particulier le rejet du greffon.
- Le renouvellement de la greffe: après 10, 30, voire 40 ans selon les cas, quand le greffon a vieilli, il faut le remplacer.
- Les cicatrices post-traumatiques: par exemple suite à une opération des yeux, un accident du travail, un accident domestique (jardinage, bricolage, loisirs), une agression, etc.
Risque de rejet réduit
Le taux élevé de succès de ces greffes réside notamment dans le fait qu’elles ne nécessitent pas de compatibilité tissulaire et sanguine entre receveur et donneur, comme c’est le cas pour les transplantations d’organes. Le tissu de la cornée n’étant pas vascularisé (ndlr. exempt de vaisseaux sanguins), le risque de rejet est beaucoup plus faible qu’après la transplantation d’un organe comme le cœur ou un rein.
Toutefois, le receveur devra suivre un traitement antirejet (stéroïdes ou cyclosporine), sous forme de gouttes pour les yeux durant les deux années qui suivent l’opération. Par ailleurs, tous les donneurs d'organe potentiels bénéficient de tests sanguins à la recherche d’infections qu’ils pourraient transmettre au receveur (hépatite B, hépatite C, HIV, etc.).
Néanmoins, il subsiste un risque minimal d’infection, dû notamment à l’apparition de nouveaux champignons, bactéries ou virus encore inconnus et donc non décelables avec les tests habituels.
L’opération
Faute de donneurs de cornée, les patients receveurs sont inscrits sur une liste d’attente en fonction de la gravité de leur atteinte cornéenne et donc visuelle, et selon le handicap qu’elle représente dans leur quotidien, notamment dans leur vie professionnelle. L’attente peut durer un à deux, voire jusqu’à trois ans! Une fois le greffon trouvé, les patients sont prévenus une semaine avant l’intervention.
La greffe de cornée se fait sous anesthésie locale ou générale selon l’âge du patient, sa capacité à collaborer, et la durée de l’opération. Si les deux yeux sont touchés, on les opère séparément, à une année d’intervalle. Car une greffe simultanée augmente le risque de rejet.
Techniques opératoires
Ces interventions ne sont pas faites à l’aide d’un laser, mais avec des outils très spécifiques permettant d’effectuer des découpes lamellaires extrêmement précises (notamment un microkératome). Vu la précision nécessaire pour ce type d’intervention, il est recommandé de s’adresser à un chirurgien de l’œil expérimenté.
Il existe deux types de greffes de la cornée:
- La greffe perforante: dans ce cas, on remplace toute l’épaisseur de la cornée malade. L’intervention dure environ 40 minutes.
- La greffe lamellaire: dans ce cas, on remplace uniquement la partie de la cornée qui est malade. Il s’agit de lamelles qui peuvent être d’épaisseurs différentes. Si la partie malade est située en avant de la cornée (kératocône par exemple), on effectue une greffe lamellaire dite antérieure. Si c’est l'endothélium qui est atteint, on effectue une greffe lamellaire dite postérieure. Cette technique a pour avantage d’annuler le risque de rejet endothélial s’il s’agit d’une greffe lamellaire antérieure, puisque le patient garde son propre endothélium. L’opération dure environ 80 minutes.
Le greffon est ensuite suturé à la cornée du patient à l’aide d’un surjet ou par points séparés de fil non résorbable. Cette dernière technique permet d’enlever les fils progressivement, permettant ainsi de corriger l'astigmatisme postopératoire. En effet, l'incision circulaire et les sutures de la greffe favorisent la survenue d'un astigmatisme. D’où, une fois encore, l’importance de recourir à un chirurgien expérimenté.
On peut par ailleurs combiner une greffe de cornée avec une autre intervention, comme l’extraction de la cataracte par exemple.
Suivi postopératoire indispensable
Le patient greffé peut retourner à la maison après deux nuits d’hospitalisation. Le traitement postopératoire consiste en des gouttes anti-inflammatoires et antirejet.
La personne greffée devra veiller à éviter tout coup dans l’œil. Certaines activités, tels que des sports de contact et/ou violents, sont fortement déconseillées, voire interdites. Les tâches journalières seront donc réduites pendant les premières semaines, jusqu’à ce que la cicatrice ait atteint une certaine solidification.
Et, bien sûr, le patient devra consulter au plus vite un spécialiste en cas de rougeurs ou douleurs de l’œil car il peut s’agir d’un rejet.
Retour progressif de l’acuité visuelle
La vision utile dans le quotidien réapparaît après quelques jours déjà. Mais l’acuité visuelle précise revient très progressivement. La vision définitive est, elle, obtenue après neuf à douze mois en moyenne. Le patient sera d’ailleurs suivi très régulièrement pendant deux ans (trois fois durant le premier mois et demi, trimestriellement jusqu’au douzième mois, puis tous les six mois).
Risque principal: le rejet
Comme toute intervention chirurgicale, la greffe de cornée comporte certains risques. En particulier, comme déjà indiqué, le rejet du greffon, soit une réaction du système immunitaire contre ce corps étranger. En moyenne, on compte moins de 10% de cas de rejet. Ses conséquences: la destruction des cellules endothéliales – essentielles à la survie de la cornée – entraînant un œdème (accumulation de liquide) et une opacification du greffon.
Le risque de rejet dépend de l’importance de la néovascularisation de la cornée (ndlr.apparition anormale de vaisseaux sanguins alors que la cornée en est dépourvue) du patient. Plus celle-ci est importante, plus le risque est élevé.
L’organisme peut rejeter le greffon très peu de temps après l’intervention, le plus souvent dans les trois semaines, mais aussi plus d’une vingtaine d’années plus tard. Le risque est toutefois nettement plus important dans les semaines qui suivent l’opération et devient plus faible avec le temps.
Les symptômes du rejet
Dans tous les cas, le patient ayant bénéficié d’une greffe de cornée doit consulter en urgence lors de l’apparition des symptômes principaux suivants:
- une baisse de la vision;
- une douleur à l’œil;
- une gêne à la lumière (photophobie);
- un larmoiement;
- une rougeur de l'œil.
Mais attention: parfois le rejet est silencieux, sans symptômes. D’où l’importance d’un suivi postopératoire régulier.
Le traitement en cas de rejet
En cas de rejet, et quand le patient est pris en charge assez tôt –souvent dans les trois semaines après la greffe– on peut y remédier simplement avec une corticothérapie locale, soit avec des gouttes de cortisone à fortes doses.
Sans traitement, l’endothélium s’altère définitivement. Avec le temps, la vue baisse à cause de l’œdème qui envahit toute la greffe, qui est alors irrémédiablement perdue et devra dès lors être remplacée
Dernier recours: la cornée artificielle
Dans certains cas, lorsqu’une greffe de cornée ne peut pas ou plus aider le patient, il est possible d’avoir recours à une greffe de cornée artificielle, appelée kératoprothèse. «Il s’agit de prothèses en plastique, mais qui ne sont pas encore tout à fait au point», note le Dr Majo. Cette sorte de lentilles de contact permanente présente notamment des problèmes d’étanchéité, de fuites. Et l’opération est complexe, avec un risque d’infection particulièrement élevé au long cours (20 à 30% des cas).
La technique chirurgicale est d’ailleurs complexe et le suivi nécessaire très strict. Reste que dans certains cas, le bénéfice pour le patient peut être spectaculaire, par exemple si celui-ci n’a plus qu’un œil.
En savoir plus
La greffe de cornée, informations de l’Hôpital ophtalmique Jules Gonin
L’opération du kératocône, brochure des HUG (Hôpitaux universitaires de Genève)
La chirurgie de la cataracte
Cataracte
La cataracte est très fréquente. C’est la principale cause de cécité dans le monde.
C’est une maladie du cristallin (une lentille transparente à l’intérieur de l’œil) qui conduit à une dégradation progressive de la vision.