«Le centenaire typique est celui qui n’a jamais consulté de sa vie»
En dates
1984 Diplômé en médecine à l’Université de Munich (All), il arrive aux HUG, service des maladies infectieuses.
2001 Professeur ordinaire au département de gériatrie puis de pathologie et immunologie.
Dès 2006 Création de starts-up, dont Genkyotex qui développe des inhibiteurs de l’enzyme NOX.
2016 Médaille de l’innovation décernée par l’UNIGE.
Les centenaires en excellente forme sont de plus en plus nombreux à nous épater par leurs prouesses physiques. Comment font-ils? Pourquoi le vieillissement semble-t-il avoir si peu d’emprise sur eux? Le Pr Karl-Heinz Krause des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) décrypte ce phénomène biologique complexe.
Vous avez commencé vos recherches sur le vieillissement à l’âge de 40 ans. Pourquoi, encore jeune, vous êtes-vous intéressé à cette thématique?
À la base, je suis spécialiste des maladies infectieuses et je n’avais jamais vraiment pensé à la problématique du vieillissement. Ce sont mes recherches qui m’ont amené à m’y intéresser. À cette époque, mon équipe était pionnière dans les études sur les radicaux libres. Il s’agit de substances nocives, dérivées de l’oxygène, qui sont inévitablement présentes dans notre organisme et dont les fonctions biologiques sont entre autres la défense contre les microbes. Au-delà de leur mode de production, j’ai eu envie de mieux comprendre l’impact de ces radicaux libres sur le vieillissement.
Que signifie pour vous le verbe «vieillir»?
C’est une question difficile, car ce n’est pas un terme spécifiquement lié à l’être vivant. Le phénomène du vieillissement touche beaucoup de choses différentes: le soleil, par exemple, mais également des objets, comme votre voiture. Il ne s’agit donc pas d’un phénomène biologique, mais plutôt physico-chimique. Ce sont simplement des structures complexes qui se dégradent. En revanche, la biologie nous aide à rester jeune. Notre organisme est doté de mécanismes de réparation et de renouvellement, qui peuvent aider notre corps à réparer les dégâts causés par l’environnement.
Sur le plan biologique, à quoi ressemblent les manifestations de la vieillesse?
Pour répondre à cette question, il faut surtout faire la différence entre le vieillissement et la maladie. Dans le cas de la maladie, c’est souvent un organe particulier qui dysfonctionne. Lorsqu’on vieillit, ce sont tous les organes qui, petit à petit, marchent moins bien. Le vieillissement concerne donc une dégradation de multiples éléments du corps à la fois.
On dit souvent que vieillir, c’est dans la tête. Est-ce un mythe ou une réalité?
Un peu les deux. D’une part, c’est une réalité, car on constate que les personnes bien dans leur tête restent souvent plus actives. L’activité physique permet de vieillir moins vite: plus on mobilise notre corps, plus on a de chances de maintenir son bon fonctionnement. Quand les muscles sont très mobilisés, leur atrophie reste mineure. Mais cette adéquation entre le mental et le physique n’est pas une vérité générale. Quelqu’un atteint de la maladie d’Alzheimer, par exemple, peut perdre totalement son indépendance alors que le reste de son organisme fonctionne encore bien.
Certaines personnes très âgées sont encore capables de véritables exploits physiques. Comment est-ce possible?
Il faut savoir que l’âge biologique et l’âge chronologique ne sont vraiment pas la même chose. Je pense à un Français qui a dernièrement été capable de battre un record à vélo à 105 ans. Le plus étonnant, c’est qu’il n’avait pas été très sportif tout au long de sa vie. Il a attendu l’âge de la retraite pour se mettre au cyclisme. Ce qui prouve qu’il n’est jamais trop tard pour commencer le sport et que le plus important est de s’entraîner et de mobiliser ses muscles de manière intelligente. C’est d’ailleurs la même chose pour le «muscle» cérébral: regardez la reine d’Angleterre et la forme mentale incroyable qu’elle a encore aujourd’hui!
Existe-t-il une «recette miracle» pour vieillir moins vite?
Si on arrivait à créer une pilule permettant cela, ce serait sans doute le plus grand succès de l’histoire pharmaceutique, en tout cas en termes financiers ! Mais un tel médicament n’existe pas. Il y a en revanche cinq conseils, que j’appelle les «Big five», qui sont des facteurs importants pour rester jeune: ne pas fumer, être physiquement actif, éviter l’obésité, se nourrir sainement (végétaux surtout, pas de «malbouffe» ou d’excès de viande) et avoir une vie sociale active.
Les Suisses vivent de plus en plus longtemps. Quelles en sont les raisons?
C’est vrai qu’au cours des 150 dernières années, on a assisté à une véritable explosion de la durée de vie. Pour moi, c’est purement lié aux changements de notre style de vie, c’est-à-dire à un meilleur accès à une nutrition équilibrée et des conditions sanitaires améliorées. La médecine est également importante, mais il ne faut pas surestimer son impact. Car le centenaire typique, c’est celui qui n’a jamais consulté un médecin de sa vie.
Avez-vous peur de vieillir?
Il faut savoir que dans le processus de vieillissement, il existe deux cassures importantes. Tout d’abord la retraite, qui provoque fréquemment une petite dépression. C’est parfois comme une sorte de deuil qu’il faut faire, un moment douloureux à passer, mais qui s’estompe généralement après une année. Cela ne me fait donc pas particulièrement peur. On sait d’ailleurs que le sentiment de bonheur continue la plupart du temps d’augmenter jusqu’à 80 ans ! Par contre, une deuxième cassure survient lorsque l’on devient dépendant de son entourage. Comme beaucoup de monde, je crains ce moment de l’âge avancé où l’on perd la maîtrise de sa propre vie.
Les radicaux libres et le vieillissement
Le Pr Karl-Heinz Krause étudie notamment les radicaux libres, des molécules chimiques instables qui peuvent agresser nos cellules. Ils font partie des nombreux éléments responsables de notre vieillissement. Dans le cas de certaines maladies qui touchent surtout les personnes âgées, il y a une surproduction de radicaux libres dangereuse pour l’organisme. Le Pr Krause a donc mis sur pied une entreprise baptisée Genkyotex, dont l’objectif est de parvenir à inhiber cette surproduction par le développement de médicaments spécifiques. Un véritable espoir pour la recherche contre les maladies liées au vieillissement.
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Paru dans Le Matin Dimanche du 20/08/2017.