Pr Guy Vallancien: «La technologie va libérer le médecin et lui permettre de revenir à une médecine plus humaniste»
P.S.: L’intelligence artificielle va-t-elle révolutionner la médecine?
G.V.: Oui, totalement. Premièrement, chacun pourra se faire séquencer son ADN pour quelques dizaines de dollars seulement. Les gens voudront connaître leurs risques personnels. La machine (Watson par exemple) pourra analyser des bases de données riches de trois milliards de génomes. Cela va aider les médecins à faire les bons choix et à proposer des traitements plus ciblés. On va vers une mutation de la médecine.
Vers une plus grande personnalisation des soins aussi?
Oui, exactement. Avant la consultation avec son médecin, le malade lui aura au préalable envoyé ses symptômes par e-mail pour un pré-diagnostic. L’ordinateur travaillera en parallèle pour proposer des hypothèses diagnostiques qui seront discutées lors de la consultation avec le patient.
«La médecine sans médecin?» est le titre de votre dernier livre. Le médecin va-t-il céder sa place au profit de la machine dotée d’une intelligence artificielle?
Non, au contraire. Le médecin va retrouver son vrai rôle. La technologie va le libérer et lui permettre de revenir à l’essentiel, c’est-à-dire à un suivi personnel du patient et à une médecine plus humaniste. Le patient est perdu face à la masse d’informations qui circulent sur la santé. Le médecin, tel un maître d’œuvre, va l’aider à remettre de l’ordre dans tout ça. A l’écoute, il sera là pour le conseiller, lui expliquer, lui proposer des solutions, comme son «coach santé» ou son «bio-conseiller».
Pr Guy Vallancien
Auteur de nombreuses publications scientifiques ainsi que de plusieurs ouvrages grand public, Guy Vallancien est aussi, entre autres, Officier de la Légion d’Honneur. Il est l’auteur de La médecine sans médecin? Le numérique au service du malade, paru aux éditions Gallimard en avril 2015.
Quelle image avez-vous du soignant aujourd’hui?
Nos métiers sont de plus en plus balisés, normés et encadrés par les recommandations sanitaires. Demain, le rôle du médecin sera de transgresser ces règles pour mieux adapter la prise en charge en fonction des valeurs et de la personnalité uniques de son patient. 10 à 15% des malades ne rentrent pas dans le moule. Nous allons vers plus d’individualisation.
Les robots vont-ils réaliser des gestes médicaux également?
Oui, pour la plupart des tâches. Aux Etats-Unis, le robot anesthésiste ou le robot infirmier, capable de réaliser une prise de sang, existent déjà. Le robot est plus fiable que l’homme. Il ne tremble pas, n’est jamais saoul, n’est jamais fatigué. De plus, le robot a une laxité incroyable que la main humaine n’a pas. Elle ne peut pas tourner à 360°, alors que la main du robot peut s’attaquer à des tumeurs de plus en plus petites. Dans un tout autre domaine, la Google Car (ndlr la voiture autonome développée par Google) est très fiable. Elle n’a eu qu’un accident, dont elle n’était pas responsable.
Faut-il s’inquiéter du pouvoir toujours plus grand de la machine?
Attention, la machine fait mieux que nous un certain nombre de tâches, mais sous notre contrôle. Le jour où l’intelligence artificielle arrivera à créer une machine qui aura honte, l’homme sera en danger. Mais nous n’en sommes qu’aux prémices de l’intelligence artificielle. Elle va très vite, beaucoup plus que l’intelligence humaine, mais avant de réussir à créer une intelligence aussi plastique que la nôtre, nous avons le temps. Cela n’arrivera peut-être jamais. Je ne suis pas inquiet pour ça.
Le médecin va-t-il continuer à toucher son patient, à le palper, à le regarder, à le sentir?
L’examen clinique sera de moins en moins utile car les maladies à l’avenir seront de plus en plus muettes. On n’attendra pas l’éclosion des symptômes pour s’en occuper. Aujourd’hui déjà, on détecte les maladies de plus en plus tôt. On se fie à des images (mammographies, scanners, etc.), à des taux (le PSA, par exemple) qui sont des valeurs plus objectives que des sensations éprouvées par la main de l’homme. Tous ces résultats vont de plus en plus participer au diagnostic, au détriment de la clinique.
Quelles pourraient être les dérives à cela, le surdiagnostic?
Le surdiagnostic n’existe pas. Si une tumeur est détectée, c’est qu’elle est présente dans le corps. A la limite, il faudrait plutôt parler du risque de surtraitement. Mais pour moi, ce n’en est pas un. Pour ne prendre que l’exemple du cancer de la prostate, nous évitons de plus en plus les ablations totales pour privilégier des traitements plus ciblés. Les diagnostics seront certes de plus en plus précoces, mais les thérapies moins agressives.
Watson est capable de gérer des quantités infinies de données. Se dirige-t-on vers une globalisation de la médecine?
Les maladies neuro-dégénératives, comme la maladie de Parkinson. Grâce à l’imagerie, on pourra implanter de petites électrodes dans le cerveau afin de diminuer les tremblements. Les objets connectés de manière générale seront utiles pour aider les malades chroniques à gérer de façon autonome leur maladie. Pour le diabète, on peut imaginer des appareils implantables délivrant de l’insuline avant que la personne ne fasse un malaise. On passe progressivement de l’homme réparé à l’homme augmenté.
Watson est capable de gérer des quantités infinies de données. Se dirige-t-on vers une globalisation de la médecine?
Oui. On va rompre avec la solidarité qui existe aujourd’hui entre les malades et les bien portants. Il va y avoir une globalisation des maladies. C’est le côté planétaire qui va primer. Si on prend l’exemple du diabète, chaque malade va investir dans sa propre maladie, à l’échelle mondiale. La notion même de pays va exploser. Nous serons à la fois connectés au global, mais rattachés aux régions, qui vont se renforcer. Car grâce à Watson, on pourra compiler des données médicales plus locales, où on tient compte de la culture, de l’environnement et des habitudes du patient.
Y a-t-il aussi des enjeux sur le plan pharmaceutique?
Oui. Les relations entre l’industrie du médicament, du matériel et le patient vont changer. On va même assister à l’explosion du système de la pharmaceutique. Pour la première fois, la Food and Drug Administration (FDA) aux Etats-Unis a autorisé l’impression 3D d’un médicament antiépileptique directement par le pharmacien qui va le créer en fonction d’un patient particulier, de son poids, du dosage prescrit, etc. A terme, le patient recevra le principe actif sous forme de poudre et pourra imprimer sa pilule à domicile. Des pans entiers de spécialités vont disparaître. Les biologistes deviendront inutiles, les laboratoires deviendront de grandes usines à traiter des résultats. L’échographe, le stéthoscope du XXIe siècle, seront de la taille d’un smartphone.
Comment réagit le monde médical aux visions que vous nous présentez?
Il y a 10 ans, je me faisais siffler. Mais comme ce que je décris touche désormais tous les domaines, les gens commencent à y croire. Les étudiants en médecine sont très connectés aujourd’hui, et sont donc très ouverts. Nous avons par contre un grand travail à mener auprès des politiques à qui nous devrons expliquer comment tout va changer.
Sera-t-il difficile d’intégrer ces nouvelles technologies dans l’univers des patients?
Non. Les patients sont très ouverts, par exemple dans la délégation de certaines tâches du médecin aux infirmières. Ils comprennent que ce n’est pas seulement le médecin qui les prend en charge, mais toute une chaîne. La machine intervient comme une aide à l’humain, qui demeure présent pour conseiller, rassurer et qui engage sa responsabilité. La consultation avec le médecin lui-même s’en trouve plus intense et plus resserrée. Les gens ont par ailleurs l’habitude d’être confrontés à des machines au quotidien. Quand vous téléphonez et que vous devez taper «1» ou «2», vous parlez à un ordinateur, il n’y a personne au bout du fil.
Quelles questions éthiques le recours à l’intelligence artificielle et aux immenses bases de données soulève-t-il?
Nous sommes effectivement confrontés à de nouvelles questions, sur la diffusion des données médicales du patient, sur le maintien du secret médical, sur la possibilité non plus seulement de réparer l’homme, mais de pouvoir l’«augmenter».
Peut-on attendre un impact positif sur les coûts de la santé?
C’est une question très compliquée. Les innovations ont un coût très élevé jusqu’à ce qu’elles deviennent une tradition. Les coûts baissent au fur et à mesure de l’industrialisation et de la concurrence. Mais on est des pays riches, on trouvera des financements. Si nos pays ont du mal à décrocher de leur histoire, les pays émergents vont directement passer à ces technologies.