La stimulation cérébrale profonde, un espoir pour le traitement des addictions?

Dernière mise à jour 05/05/15 | Article
La stimulation cérébrale profonde, un espoir pour le traitement des addictions?
Se libérer d’une addiction tient souvent du mythe de Sisyphe, il faut sans cesse recommencer la lutte. La volonté seule n’est pas en cause. On sait désormais que des substances telles que la cocaïne induisent des modifications cérébrales. Modifications qui seraient réversibles en stimulant certaines zones du cerveau par courant électrique. Cela marche chez les souris et suscite des espoirs pour l’homme.

Les causes de l’addiction sont extrêmement complexes. Et nombre de ceux qui ont arrêté de fumer, ou tenté de le faire, peuvent témoigner à quel point il est difficile de ne pas rechuter. Il en va de même avec de nombreuses autres substances comme l’alcool ou la cocaïne mais aussi, pour certains, le sexe ou le jeu. Impossible de résister, même si l’on sait que les conséquences seront néfastes. C’est que les substances ou les comportements addictifs ont la propriété de modifier le fonctionnement du cerveau.

Grippage entre les neurones

Ces changements se passent au niveau de la transmission des informations.

Le cerveau compte en effet des milliards de neurones qui communiquent entre eux grâce aux synapses. Les synapses, zone de contact entre les neurones, permettent le passage de l’information d’une cellule à l’autre. En cas d’addiction, c’est leur fonctionnement qui est modifié, dans une zone précise du cerveau. Et cette modification déclenche un comportement compulsif. D’où l’idée des chercheurs en neurosciences d’essayer de restaurer une communication normale dans le cerveau au niveau des synapses endommagées. Des recherches sur la souris ont montré que cela était possible.

Restaurer la communication

En 2014, l’équipe du professeur Lüscher de l’Université de Genève a réussi à faire disparaître, chez les souris, un comportement lié à l’addiction à la cocaïne. Cela en utilisant une technique dite «optogénétique» (car elle combine génétique et optique) pour réparer les synapses. Toutefois, si les résultats sont probants sur la souris, la méthode n’est actuellement pas applicable à l’homme.

En février, l’équipe genevoise a publié une nouvelle étude parue dans Science1. Cette fois, les chercheurs ont normalisé le comportement addictif des rongeurs cocaïnomanes en utilisant un autre procédé: la stimulation cérébrale profonde couplée à un médicament agissant sur la dopamine. Il s’agit de stimuler certaines zones profondes du cerveau par un courant électrique de faible intensité. Avantage de ce procédé: il est utilisé depuis de nombreuses années chez l’homme, en particulier dans le traitement de la maladie de Parkinson (lire encadré).

Le rôle de la dopamine

Dans le cas de l’addiction, il faut compléter l’action de la stimulation cérébrale profonde par un médicament bloquant la dopamine, un neurotransmetteur jouant un rôle important dans les processus d’apprentissage. En effet, la stimulation profonde n’est pas assez spécifique. Elle n’agit pas uniquement sur les cellules ciblées mais aussi sur d’autres cellules qui libèrent de la dopamine, ce qui empêche la normalisation des circuits synaptiques. Le médicament permet d’empêcher cette interaction et de rétablir une bonne connexion entre les synapses, les souris sont ainsi guéries de leur comportement addictif.

Une technique qui a fait ses preuves

La stimulation cérébrale profonde du cerveau est utilisée depuis une trentaine d’années pour traiter certains symptômes invalidants de la maladie de Parkinson. Opération remboursée par les assurances dans cette indication, car la méthode a fait ses preuves même si l’on ne comprend toujours pas exactement comment ça marche!

L’intervention consiste à implanter chirurgicalement deux électrodes dans la partie du cerveau appelée noyau sous-thalamique, une pour l’hémisphère droit, une pour le gauche. Ces électrodes sont connectées à un stimulateur, un peu plus gros qu’un pacemaker, implanté sous la peau au niveau du thorax ou de l’abdomen en général.

Après avoir défini par imagerie cérébrale la zone où implanter les électrodes, celles-ci sont introduites par un petit trou fait dans la boîte crânienne. L’opération s’effectue sous contrôle IRM.

Les Hôpitaux universitaires de Genève opèrent une vingtaine de patients atteints de la maladie de Parkinson par an. Dans le monde, quelque 100 000 personnes ont été opérées.

L’indication pourrait s’étendre à terme aux troubles obsessionnels (TOC), la dystonie (contractions musculaires), l’épilepsie, les douleurs chroniques, l’anorexie et, comme le montre l’étude du professeur Lüscher, aux addictions graves. Une technique qui pourrait s’appliquer en résumé aux maladies impliquant un cerveau sain mais dont les circuits dysfonctionnent, regroupées sous le nom de maladies synaptiques. Sont exclues donc les maladies dégénératives du cerveau.

Le langage du cerveau

Pour le profane, l’idée d’une stimulation électrique du cerveau fait immanquablement penser aux électrochocs longtemps utilisés en psychiatrie, contre la dépression par exemple. Un rapprochement qui ne tient pas, si ce n’est que l’on parle d’électricité. Mais quoi de plus normal puisque le langage du cerveau est l’électricité.

«Les électrochocs s’appliquaient à tout le cerveau», précise Christian Lüscher, auteur de l’étude. «C’était un traitement extrême, qui induisait une crise d’épilepsie incontrôlable! On est très loin de la stimulation cérébrale profonde qui est une neuromodulation… Un traitement en continu, réglé de façon très fine et très ciblée.»

Quel espoir pour l’homme?

Dans la littérature médicale, on ne trouve que quelques personnes – six  en tout – qui ont été traitées par stimulation électrique profonde pour une addiction à la cocaïne. Il s’agit de cas isolés avec des protocoles très différents de celui proposé par le groupe genevois. Cela s’est fait de manière empirique, en dehors de toute étude structurée. Avant d’en arriver à l’homme, il faudrait encore tester les effets de cette méthode chez les primates non humains afin de voir si elle fonctionne chez des êtres au comportement plus complexe que celui des souris, estime Christian Lüscher. Et dans l’affirmative, poursuivre avec une étude multicentrique pour s’assurer qu’il n’y a pas d’effets nocifs sur le long terme. Il reste donc un long chemin à faire, mais des discussions sont en cours pour un projet d’envergure, selon le professeur.

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1. http://www.sciencemag.org/content/347/6222/659