Des électrodes dans le cerveau pour mettre fin à l’addiction
La stimulation cérébrale profonde a déjà fait ses preuves en neurologie. Cette méthode, qui consiste à activer des noyaux situés à l’intérieur du cerveau à l’aide d’impulsions électriques à haute fréquence, est utilisée pour traiter la maladie de Parkinson. Elle est très efficace, puisqu’elle permet de stopper les tremblements des patients. Toutefois, dès que l’on arrête la stimulation, les symptômes reprennent aussitôt. Les malades doivent donc vivre en permanence avec des électrodes plantées dans leur cerveau et reliées à une batterie.
Pour qu’elle puisse être utilisable dans le traitement de l’addiction, cette technique devait être adaptée. C’est ce qu’ont fait deux chercheurs du département des neurosciences fondamentales de l’Université de Genève (UNIGE), Meaghan Creed et Vincent Pascoli. Pour l’instant, ils n’ont encore traité que des souris, mais le protocole qu’ils ont élaboré a été jugé suffisamment prometteur pour être couronné par le Prix Pfizer de la recherche 2016.
Dérèglement de la communication entre les neurones
Quoi qu’il en coûte et quelles qu’en soient les conséquences, certaines personnes ressentent un besoin irrépressible de consommer de la cocaïne ou de l’héroïne, mais aussi de l’alcool, du tabac ou du jeu. C’est le signe qu’ils souffrent d’addiction, une maladie psychiatrique qui résulte d’un dérèglement du fonctionnement du cerveau.
La drogue, explique Vincent Pascoli «augmente la libération de la dopamine, qui est un puissant neuromodulateur», c’est-à-dire un messager chimique à l’aide duquel les neurones communiquent entre eux. Il en résulte une modification des zones de contact entre les cellules nerveuses, les synapses. Ce dérèglement se produit dans des zones particulières du cerveau (comme le noyau accumbens), qui sont impliquées dans le circuit de la récompense. «Les drogues, souligne le chercheur de l’UNIGE, détournent ce système de son fonctionnement normal» et c’est de cette manière qu’elles induisent les comportements compulsifs qui caractérisent l’addiction.
Réparer les synapses endommagées
Une fois ce mécanisme élucidé, les chercheurs ont donc entrepris de corriger les synapses qui avaient été déréglées par les substances psychotropes. Ils ont d’abord essayé de traiter des souris cocaïnomanes à l’aide de l’«optogénétique» (technique qui combine génétique et optique), qui consiste à activer des protéines introduites à la surface des neurones. La méthode est efficace. Toutefois, sa mise en œuvre nécessite l’emploi de virus et elle n’est donc pas applicable à l’être humain.
C’est alors que les chercheurs de l’UNIGE ont eu l’idée de se tourner vers la stimulation cérébrale profonde et de tester ses effets sur des souris qu’ils avaient rendues cocaïnomanes. Ils ont procédé comme le font les neurologues qui traitent les patients atteints de la maladie de Parkinson. Dans le cerveau des rongeurs, ils ont implanté des électrodes – «plus petites que celles utilisées chez les humains», note en riant Meaghan Creed – à travers lesquelles ils ont fait passer un courant électrique de basse intensité et de haute fréquence (130 Hz). Leurs premiers essais se sont révélés infructueux car l’effet bénéfique qu’ils obtenaient «disparaissait au bout de quatre heures».
Un traitement de dix minutes suffit
Tentant une autre approche, les neuroscientifiques ont analysé les raisons du succès de l’optogénétique pour s’en inspirer. Si cette technique donne de bons résultats, c’est notamment parce qu’elle «permet de contrôler spécifiquement un type particulier de neurone», précise Vincent Pascoli. Sa collègue et lui ont donc stimulé électriquement ces mêmes cellules, en utilisant cette fois une fréquence plus basse (10 à 15 Hz au lieu de 130) qui permet d'inverser le changement des synapses induit par la drogue.
Mais les expérimentateurs n’étaient pas au bout de leurs peines. En agissant ainsi, ils augmentaient la libération de la dopamine, ce qui contrecarrait les effets du traitement et empêchait les synapses de retrouver leur fonctionnement normal. Ils ont donc associé à la stimulation cérébrale profonde un médicament qui bloque la production du neuromodulateur.
Cet essai a été le bon. «Le traitement dure dix minutes, souligne Meaghan Creed, et une semaine plus tard, les souris auxquelles on a donné une deuxième dose de cocaïne ont réagi comme si elles n’avaient jamais consommé de la drogue». Leur mémoire était libérée des traces pathologiques laissées par la cocaïne, qui sont à l’origine des rechutes après le sevrage. Elles étaient guéries de leur addiction.
«A priori, cette méthode est applicable aux êtres humains», constate Vincent Pascoli. Il faudra toutefois tester ses effets sur les primates, avant d’engager les premiers essais cliniques.