Dépression: le grand retour des substances psychédéliques
Parmi les substances qui intéressent de plus en plus les chercheurs, notamment dans le domaine de la psychiatrie: la MDMA (principe actif de l’ecstasy), la psilocybine (principe actif de certains champignons hallucinogènes) ou encore le LSD et la kétamine. «Des études ont démontré leurs bénéfices dans les cas de dépressions résistantes, d’anxiété ou encore de stress post-traumatique, explique le Dr Thierry Favrod-Coune, médecin adjoint au Service de médecine de premiers recours des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). On ne peut pas s’attendre à ce que ces substances traitent seules une pathologie psychiatrique, mais elles sont facilitatrices d’une amélioration, voire d’un rétablissement.» En agissant sur le système nerveux, les psychédéliques provoquent une modification de la perception, de l’état de conscience, du comportement ou des sensations. «Ils réduisent l’activité du "mode par défaut" de notre cerveau, explique le spécialiste. La barrière conscient/inconscient est rendue plus perméable, le contrôle est relégué à l’arrière-plan et laisse place à un élargissement du champ de conscience.»
L’accompagnement psychologique est primordial
Bien sûr, utilisées à mauvais escient, ces substances qui modifient la perception peuvent entraîner des effets délétères. La question du dosage est également extrêmement importante. De nombreux protocoles ont mis en avant l’effet du microdosing (administration de faibles doses) sur le fonctionnement cognitif. «Prendre ces substances dans de mauvaises circonstances ou avec un dosage inadapté pourrait avoir des répercussions psychologiques, voire raviver un traumatisme, c’est le "bad trip", prévient le médecin. C’est là que l’accompagnement devient très important, car il tient compte de l’état du patient et lui offre un cadre favorable à la mise en confiance.»
En Suisse, ce domaine prometteur reste essentiellement expérimental, mais certains psychiatres sont déjà habilités à proposer à leurs patients des psychédéliques.
L’autorisation de prescription est octroyée au cas par cas, selon les cantons, et strictement encadrée: «Les médecins sont tenus de n’employer, remettre ou prescrire les stupéfiants que dans la mesure admise par la science», précise la Loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes. «On ne doit délivrer ces produits que dans les contours d’un accompagnement spécial, confirme le Dr Matthias Liechti, pharmacologue à l’Hôpital universitaire de Bâle, où il dirige un projet de recherche sur les substances psychoactives. À quelques rares exceptions près, les psychédéliques ne sont utilisés que dans le cadre de la psychothérapie.»
Rick Doblin, fondateur de la Multidisciplinary Association for Psychedelic Studies, a récemment présenté ses travaux sur l’action du MDMA. Il propose un modèle thérapeutique consistant à intercaler séances de psychothérapie «nues» et séances avec prise de la substance, de manière à optimiser l’assimilation et permettre au patient de «découvrir tout ce qui apparaît à l’intérieur de son esprit et de son corps». «Les effets peuvent être, a posteriori, discutés avec le thérapeute», explique Matthias Liechti. Une alternance qui semble être particulièrement adaptée à ce type de parcours thérapeutique où le patient est mis en confiance et informé des différentes conséquences possibles du traitement.
Intégrer la médecine psychédélique dans les stratégies thérapeutiques actuelles sera-t-il bientôt monnaie courante? «Il reste encore du travail à faire pour révéler tous les mystères de ces substances, tempère le Dr Favrod-Coune. Mais des recherches plus larges mèneront sûrement à des applications concrètes dans le cadre de pathologies résistantes, par exemple chez le 30% de patients qui ne répondent pas aux traitements traditionnels comme les antidépresseurs, les anxiolytiques ou les neuroleptiques.»
Les applications des psychédéliques ne se limitent pas au traitement de la dépression. Une étude menée par une équipe de chercheurs norvégiens a mis en lumière les effets du LSD sur l’alcoolodépendance. Chez des patients ayant reçu une dose unique, une réduction significative de la consommation d’alcool a été observée, jusqu’à six mois après la prise. Des résultats qui pourraient s’expliquer par le mécanisme même de l’addiction: «Une automatisation pathologique associée à un appauvrissement des autres intérêts, explique le Dr Thierry Favrod-Coune. Il semble donc très plausible que des substances qui élargissent le champ de pensée et ouvrent de nouvelles pistes dans le cerveau, comme les psychédéliques, viennent enrayer cette répétitivité.»
Malgré de fausses croyances, le LSD – comme les autres substances hallucinogènes – n’entraîne par ailleurs qu’un très faible risque de dépendance ainsi que peu d’effets secondaires... contrairement à l’alcool qui tue chaque année plus de trois millions de personnes d’après l’Organisation mondiale de la Santé.
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Paru dans Esprit(S), la revue de Pro Mente Sana, Juin 2020.