La psychiatrie 2.0: comment ça marche?
La psychiatrie est peut-être l’un des derniers bastions où l’on refuse la performance des machines. Et pourtant, depuis de nombreuses années, le rêve de la technologie est d’arriver à imiter la puissance du cerveau. Il y a un peu plus de vingt ans, le défi à relever était déjà de battre les meilleurs champions d’échecs au moyen d’ordinateurs. Une étape largement dépassée depuis.
Alors, pourquoi ne pas tenter de venir en aide à notre psychisme en utilisant des technologies? De nos jours, c’est la feuille de route que s’imposent de nombreux chercheurs à travers le monde, notamment pour améliorer les soins des troubles psychiques.
Hallucinations
Prenons l’exemple des hallucinations. La plupart du temps, le remède utilisé, lorsqu’elles sont si dérangeantes qu’elles créent une souffrance, ce sont les antipsychotiques. Ces derniers s’accompagnent bien souvent d’effets secondaires et, chez 25% des patient·e·s, ils ne réduisent pas les symptômes. Plusieurs pistes ont été lancées pour tenter de compléter les dispositifs déjà en place. Il existe notamment des programmes, comme la «Clinique des Voix» ou «Accept Voices», qui visent à aider la·le patient·e à prendre l’ascendant sur ses hallucinations auditives. Mais la technologie peut, elle aussi, apporter des solutions. Ainsi, la stimulation magnétique (rTMS) neuronaviguée excite des zones très précises du cerveau au moyen d’une bobine activée à haute fréquence. Par rapport à l’électricité, ce type de soin présente un avantage important: il se pratique en ambulatoire et est indolore. De plus, les premiers résultats montrent une réduction significative et rapide des symptômes.
Autre piste: la réalité virtuelle. Après avoir recréé la voix et l’image (avatar) associées à l’hallucination, la·le thérapeute aide sa·son patient·e à apprivoiser petit à petit les voix agressives. Au final, cela apporte une très nette diminution de la gêne et une qualité de vie grandement améliorée.
Et comme la technologie aime aller toujours plus loin, une troisième piste vise à rendre autonome la personne pour identifier ses symptômes (neurofeedback). Pour cela, un écran est installé dans une IRM afin qu’elle voie en temps réel les parties de son propre cerveau qui s’activent. La personne apprend ainsi à reconnaître ses symptômes et à mieux les apprivoiser.
Cognition
Si les hallucinations peuvent être des symptômes spectaculaires, les troubles cognitifs peuvent quant à eux être très handicapants. Ce sont ces symptômes qui, au quotidien, causent une certaine désorganisation, de la difficulté à planifier les activités, des troubles de la mémoire et un repli social. La remédiation cognitive vise à utiliser les capacités de chacun·e dans le but de contourner ces inconvénients. Et, la plupart du temps, cela passe par des exercices ludiques. Efficaces, ces méthodes ont beaucoup à gagner du soutien des technologies.
Que ce soit par des jeux de simulation en 3D, des avatars, des logiciels permettant de se confronter à ses propres difficultés ou des apps sur smartphone présentant des stratégies, la technologie offre de nombreuses approches dont les résultats sont probants. Elle propose surtout la possibilité de rendre plus accessibles ces techniques qui ne sont, hélas, disponibles que dans certaines régions du monde. C’est d’ailleurs là l’un des enjeux majeurs de l’apport des technologies: la diffusion à grande échelle des techniques mises au point dans des laboratoires de recherche.
Psychoéducation
S’il y a un domaine dans lequel la technologie a récemment pris son essor, c’est l’éducation. Les cours à distance sont devenus pratique courante, les autoformations à travers les MOOC (cours en ligne ouverts à toutes et tous) sont légion, les apps sur mobile pour guider les apprentissages sont monnaie courante. Force est de constater que la psychiatrie reste frileuse face à ce phénomène. C’est regrettable, car une majorité de personnes souffrant d’un trouble psychique et leurs proches n’ont pas accès à un matériel qui leur permettrait de mieux gérer les difficultés auxquelles elles·ils sont confronté·e·s.
Heureusement, des associations et des chercheurs et chercheuses se sont emparés du sujet et de nouvelles propositions sont en train d’émerger. Ainsi, on trouve un MOOC sur le rétablissement, une app pour smartphone ou un site internet, et toutes les techniques «classiques» de la formation à distance sont aussi applicables à la psychiatrie.
Soins précoces et prévention
Plutôt que de laisser s’installer les symptômes, affronter et gérer leurs effets, la technologie peut être utile comme outil de prévention. Contrairement aux thérapeutes, elle peut proposer un accompagnement à tout moment. Aujourd’hui, un smartphone connaît presque tout de votre journée. Les algorithmes qui analysent des informations sont capables d’identifier les petits signes qui précèdent une flambée des symptômes. Ils donnent donc des indicateurs aux patient·e·s et aux thérapeutes quotidiennement, ouvrant le champ des stratégies de prévention. C’est un domaine nouveau dont l’exploration est rendue envisageable grâce aux technologies. Ici, elles ne viennent pas imiter des techniques déjà connues, mais rendent possible ce qui était impossible jusqu’à présent. C’est probablement dans ce domaine qu’il y a le plus à découvrir. Le big data peut être effrayant et c’est compréhensible. En revanche, il peut réellement nous permettre d’améliorer notre vie dans certains domaines.
Les champs d’investigation des technologies sont nombreux: addiction, coordination des soins, systèmes prédictifs, détection, prévention, etc. Si les technologies sont parfois utilisées à mauvais escient, il est important de ne pas perdre de vue qu’elles sont également un espoir pour que, un jour, les troubles psychiques ne soient plus qu’une difficulté comme une autre dans la vie.
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Paru dans Esprit(S), la revue de Pro Mente Sana, Mai 2021.