Les antioxydants doivent être consommés avec modération
De quoi on parle?
«30 aliments antioxydants pour des recettes gourmandes et cosmétiques», de Natacha et Tatiana Thibault, vient de paraître aux Éditions Favre. Ce livre propose de concocter des plats «pour retrouver ou maintenir une bonne santé grâce aux vertus des nutriments contenus dans nos aliments». Les antioxydants sont en vogue. Cet ouvrage n’est pas le premier, et il ne sera certainement pas le dernier, à vanter leurs effets bénéfiques.
Les antioxydants sont à la mode. On ne compte plus les livres, les articles de magazines ou les sites qui vantent les vertus des aliments qui en sont riches. Ni ceux qui recommandent de prendre tel ou tel supplément alimentaire pour garder ou retrouver la forme. Attention, préviennent toutefois les médecins: ces pilules sont non seulement sans effet, mais elles peuvent même être dangereuses. A l’origine de la problématique, il y a l’oxygène.
Cette molécule est essentielle au bon fonctionnement de l’organisme, mais elle oxyde aussi de nombreuses molécules biologiques, donnant naissance à des radicaux libres. Ceux-ci provoquent des dégâts dans les cellules. Ils sont accusés de faire vieillir les tissus et de provoquer diverses maladies comme les cancers, la cataracte ou les maladies cardiovasculaires. Certes, les radicaux libres n’ont pas que des défauts, «ils ont un effet antibactérien», relève Pedro Marques-Vidal, médecin au service de médecine interne du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) et responsable de la recherche clinique. D’ailleurs, certains des globules blancs en produisent pour mieux lutter contre les infections. Il reste que, globalement, lorsqu’ils sont en excès et produisent un «stress oxydatif», ils ont des effets délétères.
L’organisme a toutefois les moyens de les neutraliser en augmentant le taux de certaines enzymes ou en utilisant des molécules présentes dans l’alimentation, comme les vitamines A, C et E ou le bêta-carotène. Ce sont les fameux antioxydants. Ces substances sont présentes en grandes quantités dans les fruits et les légumes (lire encadré), ce qui explique pourquoi les nutritionnistes recommandent d’en manger au moins cinq portions par jour. Des conseils que les Lausannois semblent avoir du mal à suivre.
D’après l’étude CoLaus –un vaste programme lancé par le CHUV et qui ausculte la santé de la population lausannoise–, les investigateurs ont constaté que «moins de 40% des personnes interrogées consomment, chaque jour, au moins deux portions de fruits et seulement 7% d’entre elles, au moins trois portions de légumes», résume Pedro Marques-Vidal.
Attention au foie d’ours blanc
Les antioxydants, souvent associés à des oligoéléments (fer, zinc, cuivre, sélénium, etc.), sont aussi proposés dans les pharmacies. Ces suppléments alimentaires peuvent être utiles «pour des malades qui sont en soins intensifs, pour des personnes dénutries ou des femmes enceintes ayant un déficit d’apports nutritionnels», précise Gérard Waeber, chef du service de médecine interne du CHUV. Mais en dehors de ces «cas extrêmes», le médecin est formel: consommées par des individus en bonne santé et qui ont une alimentation variée, ces pilules «n’ont aucun effet bénéfique».
Pire, «elles peuvent même être toxiques». En mangeant normalement, on ingurgite en effet suffisamment d’antioxydants et sous des formes variées, ce qui est préférable. Prendre un supplément de vitamine C s’avère inutile mais «n’est pas trop grave, car on élimine cette substance dans l’urine, précise Pedro Marques-Vida. Toutefois, une consommation excessive augmente, chez certaines personnes, le risque d’avoir des calculs rénaux.» Les vitamines A et E qui, contrairement à la précédente ne sont pas solubles dans l’eau, restent plus longtemps dans l’organisme et «peuvent tuer», souligne le médecin. Il évoque notamment les premiers explorateurs de l’Arctique au XVIe siècle qui sont tombés très gravement malades –certains sont même décédés– après avoir consommé du foie d’ours blanc, très riche en vitamine A.
Consommation inutile
Plusieurs méta-analyses, qui ont fait le bilan de la littérature scientifique sur ce sujet, confirment le danger d’un excès d’antioxydants. L’une d’elles a «examiné 78 études incluant au total 300 000 personnes, commente Gérard Waeber. Elle a conclu que la supplémentation en vitamine C et en sélénium n’a aucun effet significatif et que celle en vitamines A et E et en bêta-carotène augmente globalement la mortalité.» Une étude récente réalisée en Suède a en outre montré que les compléments de vitamines antioxydantes peuvent favoriser chez des souris la prolifération de cellules cancéreuses, en particulier dans le cas du cancer du poumon.
Pourtant, la population lausannoise fait un large usage de suppléments renfermant plusieurs vitamines et sels minéraux. Toujours selon l’étude de CoLaus, qui a inclus près de 6200 Lausannois, «26% d’entre eux en consomment régulièrement», résume Gérard Waeber. Les principaux adeptes sont «des femmes nées en Suisse, avec un haut niveau d’éducation, un indice de masse corporel dans la norme et qui sont en bonne santé. Autrement dit, les individus qui en ont le moins besoin.» Et le médecin conclut par ce conseil, qui ne s’adresse pas seulement aux habitants de la capitale vaudoise: «Oubliez les vitamines et suivez plutôt les recommandations des nutritionnistes.»
Que manger pour faire le plein d’antioxydants?
Outre les céréales, ce sont essentiellement les fruits et les légumes qui apportent à notre organisme les antioxydants dont il a besoin. Mais lesquels privilégier? Il y a quelques années, on nous vantait les kiwis, alors qu’aujourd’hui, les baies de goji, petits fruits rouges de l’Himalaya, tiennent la vedette. Cela correspond à «un effet de mode», selon Pedro Marques-Vidal, professeur associé au service de médecine interne du CHUV. Si certains fruits sont a priori plus riches que d’autres en antioxydants, «tout dépend de la variété». La proportion de ces substances dans les pommes n’est pas la même dans une golden, une reinette ou une boskoop.
La durée du stockage a aussi son importance: «Si vous gardez un fruit pendant une semaine, il perd une petite partie de ses vitamines.» A cela, il faut ajouter le mode de préparation. «La vitamine C se dégrade au-delà de 100 °C.» En outre, elle est soluble dans l’eau et, si l’on cuit des poivrons, du persil ou des cassis, «elle passe en partie dans l’eau de cuisson. C’est pour cette raison que l’on conseille de cuisiner ces aliments à la vapeur.»
Les vins rouges –comme d’ailleurs le thé vert ou le chocolat noir– contiennent eux aussi des flavonoïdes qui sont de bons antioxydants. Mais une fois encore, tous ne doivent pas être mis dans la même barrique: «La quantité d’antioxydants qu’ils renferment peut varier du simple au double, en fonction du cépage et des traitements phytosanitaires.» D’une manière générale, la qualité nutritionnelle des végétaux –et des produits qui en sont issus– «diffère en fonction de la nature du sol sur lequel ils sont cultivés», souligne Pedro Marques-Vidal. Il conseille donc de veiller «à varier son alimentation, ses couleurs et ses plaisirs». Et de suivre le fameux précepte nous incitant à manger «cinq portions de fruits et de légumes par jour».