Le monde scientifique se penche sur les médecines complémentaires
Pour répondre à ces questions, le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) a créé un groupe de recherche sur les médecines complémentaires, dont fait partie le docteur Pierre-Yves Rodondi.
Sa mission ? Informer la population et les médecins sur les possibilités thérapeutiques qu’offrent ces différentes médecines. Ce jeune médecin de famille de 40 ans, qui se trouve à la pointe d’un domaine médical en pleine expansion, prend ainsi part à un débat de taille dans le monde scientifique. Il répond à nos questions.
D’où vous vient cet intérêt pour les médecines complémentaires?
J’ai commencé à m’y intéresser pendant mes études de médecine, en suivant une formation en homéopathie. Mais ce n’est que lorsque je me suis installé en cabinet privé, en tant que médecin de famille, que j’ai redécouvert, en discutant avec mes patients, ce monde incroyablement riche des médecines dites complémentaires. C’est à partir de là que j’ai décidé de terminer ma formation en homéopathie, et puis, surtout, que j’ai décidé d’enquêter sur les données scientifiques portant sur ces pratiques. On ne m’avait jamais parlé, ni durant ma formation en homéopathie, ni pendant mes études de médecine, de «preuves scientifiques» sur la médecine complémentaire. Or, en cherchant, j’ai réalisé que, contrairement à ce que l’on pensait, il en existait beaucoup!
Pourquoi ces données scientifiques ont-elles été ignorées pendant si longtemps?
D’abord parce que la recherche sur les médecines complémentaires a débuté tard, au milieu des années 1980, grâce aux énormes budgets alloués aux Etats-Unis. Avant cela, très peu de recherches sérieuses portaient sur ce domaine. L’autre problème de taille a été le débat autour de « l’effet placebo » de la médecine complémentaire, qui a longtemps été le credo des facultés de médecine. Pendant nos études, on nous apprenait qu’il n’y avait pas de données scientifiques sur ce type de médecine, et qu’il fallait associer ces pratiques à un bien-être qui relevait davantage d’un soin en spa que du soin médical. Des études démontraient même scientifiquement que l’acupuncture, pour prendre un exemple parmi d’autres, n’était qu’une thérapie-placebo. A la fin de nos études, pourquoi donc aller chercher des données? Cela n’allait pas de soi.
L’attitude du corps médical envers les médecines complémentaires est-elle en train de changer?
Je le pense. De l’argent, provenant principalement des Etats-Unis et de l’Allemagne, a été investi dans la recherche et, depuis, certains résultats sont plus que probants. Des études montrent, par exemple, que l’acupuncture possède un rapport coût-efficacité qui est tout à fait bénéfique pour certaines douleurs chroniques. Avec l’académisation de la médecine complémentaire, le débat passionné du «pour» ou du «contre» ces médecines peut maintenant se focaliser sur des données scientifiques. Cela dit, je pense que l’impulsion de base en faveur de ces méthodes de soin vient davantage du monde politique et de la population que du corps médical. Aux Etats-Unis, l’attribution des moyens nécessaires pour faire de la recherche est une décision qui émane du congrès. En Suisse, la votation de 2009 a également eu des impacts positifs dans ce domaine. Depuis, un cours obligatoire a été instauré dans certaines facultés de médecine, ainsi que des cours à option pour approfondir le sujet. Ces derniers connaissent d’ailleurs un grand succès.
Comment faire le tri parmi les différentes médecines complémentaires?
Je ne crois pas que l’objectif soit de faire un tri. Je suis partisan d’une médecine intégrative. Dans les grandes lignes, il s’agit d’un courant – américain pour changer – qui consiste à prendre le meilleur de chaque pratique médicale pour l’offrir à son patient. L’idée n’est pas d’apprendre à pratiquer toutes les thérapies complémentaires, mais de les connaître le mieux possible, car il existe passablement de sectorisation au sein des médecines complémentaires. Les homéopathes connaissent souvent mal les spécificités des acupuncteurs, et la situation est la même entre acupuncteurs et phytothérapeutes. Ce n’est donc pas forcément l’homéopathe qui dira à son patient: «Pour ce problème, l’homéopathie ne marche pas, vous devriez faire de l’acupuncture ou aller voir un cardiologue.» C’est un rôle que peut, et devrait, prendre le médecin de famille : guider son patient vers le soin qui répond le mieux à ses besoins.
Les médecines complémentaires remboursées
De 2012 à 2017, l’assurance de base couvre quatre types de soins complémentaires, pour autant qu’ils soient pratiqués par des médecins certifiés:
- la phytothérapie
- la médecine traditionnelle chinoise
- la médecine anthroposophique
- l’homéopathie
Une bonne connaissance des thérapies complémentaires serait donc un des devoirs du médecin de famille de demain ?
Je pense en tout cas qu’il est important que les médecins de famille aient des connaissances dans ce domaine. Il faudrait savoir ce qui est bien, moins bien, voire dangereux, dans ces médecines, ne serait-ce que pour éviter que les gens partent dans tous les sens. A l’heure actuelle, si vous tapez sur internet «maux de dos, médecine complémentaire» vous tombez sur des sites commerciaux. Certaines personnes dépensent un argent fou dans des produits et des thérapies qui ne leur correspondent pas. Mais ce n’est pas étonnant, ils n’ont personne pour les conseiller. Nous savons que jusqu’à 70 % des patients qui ont recours à des thérapies complémentaires n’en parlent pas à leurs médecins, et que le même pourcentage des médecins ne demandent pas à leurs patients s’ils ont recours à des thérapies alternatives. Or, encore une fois, je pense que le rôle du médecin de famille est de pouvoir coordonner toutes les possibilités qu’offrent ces méthodes thérapeutiques, afin de mieux conseiller ses patients.
Pour en savoir plus
Article issu de Planète Santé magazine - No 17 - Mars 2014