En comprimés, le calcium n'a pas bon cœur
Posez ce comprimé tout de suite. Ce supplément de calcium que vous vous apprêtez à prendre pour renforcer vos os va sans doute accroître votre risque d'infarctus. Telle est la conclusion d’une étude de chercheurs allemands publiée à la fin du mois de mai 2012 dans la revue Heart. Nous la détaillons avec le professeur Nicolas Rodondi de la Policlinique de l’Hôpital universitaire de Berne.
Contrôler l’origine du calcium
Pour arriver à cette conclusion, les scientifiques ont observé pendant onze ans (durée moyenne) 23980 personnes résidant dans la région d’Heidelberg. Lors d’un entretien initial puis par le biais de questionnaires, celles-ci ont indiqué si elles prenaient des suppléments de calcium. Leurs habitudes alimentaires ont également été détaillées afin d’évaluer la proportion de calcium comprise dans leur régime habituel. Elles ont ensuite été suivies dans le cadre d’un programme de recherche européen sur l’influence qu’ont le mode de vie, l’alimentation et les facteurs environnementaux sur le cancer et les maladies chroniques.
Le verdict est sans appel: pour les 8021 personnes de l’échantillon qui prenaient des suppléments de calcium, le risque d’infarctus du myocarde est pratiquement doublé. Ce résultat n’étonne guère le docteur Rodondi, qui rappelle que cette corrélation a déjà été trouvée dans des recherches précédentes. Il analyse : «Plus l’on fait d’études, plus l’on se rend compte que ramener les gens vers des valeurs normales biologiques peut aussi comporter des effets secondaires. C’est un phénomène que l’on a aussi vu dans les traitements hormonaux de la ménopause. Ils étaient communs hier, ils sont rares aujourd’hui.»
La recherche d’Heidelberg a une originalité, celle de distinguer entre le calcium pris en compléments alimentaires et les apports de calcium dans l’alimentation. Cela permet de se rendre compte que l’effet négatif sur le cœur est lié aux compléments alimentaires, et non à un régime riche en calcium. Pour ce dernier, les auteurs ne mettent pas en évidence d’influence sur le cœur, hormis une réduction du risque d’infarctus, mais chez certains sujets seulement (ceux dont la consommation côtoie 820 mg par jour).
Les auteurs de l’étude hasardent que ce dernier effet pourrait être «causé par d’autres nutriments [que le calcium] coexistant dans les produits laitiers», une hypothèse «tout à fait plausible» pour le docteur Rodondi. Il mentionne à ce titre une étude suisse qui a montré que la composition en acides gras d’un fromage d’alpage – notamment d’omega3, bons pour le cœur – diffère de celle de son homologue provenant d’animaux nourris industriellement. Début juin 2012, une équipe de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne a également mis en évidence les effets bénéfique sur le poids et les muscles de la nicotinamide riboside contenue dans le lait. Autant donc intégrer le calcium à son alimentation.
Panacée détrônée
Mais pourquoi donc le calcium est-il nocif pris en compléments? Des chercheurs néo-zélandais expliquent dans un éditorial accompagnant l’étude que la prise de calcium en compléments s’accompagne d’un accroissement subit du taux de la substance dans le sang, au-delà même des valeurs normales. Or, des indices montrent un lien entre forte proportion de calcium dans la circulation et artères bouchées. Autrement dit, résume le docteur Rodondi, «pris d’un coup et en dose conséquente, les compléments provoqueraient plus de calcification des artères». Il ajoute pourtant: «Ce n’est qu’un hypothèse.»
Mais si l’on ne doit plus prendre de calcium, que faire pour protéger ses os et éviter ostéoporose et fractures? Tout d’abord il est toujours utile d’avoir une alimentation riche en calcium. Ensuite, les bienfaits des compléments de calcium et de vitamine D sont aujourd’hui relativisés. L’U.S. Preventive Task Force a ainsi récemment réévalué à la baisse le bénéfice de l’association des deux substances sur les fractures. Selon l’agence étasunienne, avec un tel traitement ce risque ne baisse que de 12 pour cent. De plus, elle souligne qu’il est probablement plus utile chez des personnes sortant peu et ne profitant donc pas du soleil pour synthétiser la vitamine D.
Les auteurs de l'éditorial accompagnant l’étude d’Heidelberg ont un avis encore plus tranché: «L'évidence consistante est donc que les suppléments de calcium font plus de mal que de bien et que d'autres interventions sont préférables pour réduire le risque de fractures liées à l'ostéoporose.» Et d’ajouter en conclusion: «Il faudrait revenir à la vision du calcium en tant que composante importante d'un régime équilibré et non comme la panacée à bas prix face au problème universel de la perte d'os après la ménopause.» Rideau sur les cachets.