Compléments alimentaires: prudence!
Un comprimé de vitamine C pour éliminer la fatigue, une portion de ginseng et de gelée royale pour booster ses défenses immunitaires, une tablette de spiruline pour retrouver une silhouette de rêve, une pincée de sélénium pour prévenir les effets du vieillissement, etc. A en croire leurs fabricants, les compléments alimentaires peuvent pratiquement tout faire pour nous maintenir en forme. Ces substances naturelles suscitent d’ailleurs un réel engouement puisque, selon l’étude CoLaus menée par le Centre hospitalier universitaire vaudois (qui suit l’état de santé physique et mentale de la population lausannoise), nous serions 30% à en consommer régulièrement.
Quand ils sont ingérés par le biais de la nourriture, les vitamines, protéines, sels minéraux, oligo-éléments, acides gras ou encore fibres sont indispensables au bon équilibre de notre organisme et ils protègent contre des maladies. Toutefois quand ils sont consommés en supplément de l’alimentation, ils peuvent avoir des effets néfastes voire, à très haute dose pendant une durée prolongée, augmenter le risque de mortalité.
Utiles parfois, jamais anodins
Certains compléments alimentaires sont nécessaires pour pallier les carences. C’est le cas du calcium et de la vitamine D, «que l’on prescrit fréquemment, notamment aux personnes âgées, pour prévenir l’ostéoporose», constate le Pr Pierre-Yves Rodondi, directeur de l’Institut de médecine de famille de l’Université de Fribourg (UNIFR). Il en va de même pour la vitamine B9, ou acide folique, recommandée en particulier aux femmes enceintes – car une déficience peut affecter le bon développement de leur fœtus. Ou encore pour la vitamine B12 contenue dans la viande et qui doit donc être suppléée chez les végétariens et les vegans. En revanche, l’intérêt de la vitamine C, censée booster l’immunité et protéger des infections, «fait l’objet de controverses», selon le professeur de l’UNIFR.
Dans les autres situations, les compléments alimentaires ont comme principale retombée d’amaigrir notre porte-monnaie. Certes, «on pourrait penser qu’on peut toujours essayer d’en consommer car, au pire, quand ils sont en excès dans l’organisme, ils sont éliminés, remarque le Pr Rodondi. Mais en fait, ces substances ne sont pas anodines». Certaines peuvent provoquer des allergies et d’autres, comme la vitamine C à haute dose, des troubles digestifs ou des effets délétères sur les reins.
Sans compter que bien d’autres risques guettent. Le médecin cite pour exemple la vitamine E, un antioxydant qui protège contre les maladies cardiovasculaires quand on mange des huiles, des noix etc. qui en sont riches. «Toutefois, explique le spécialiste, une étude internationale menée sur 130’000 patients a montré que chez ceux qui en prenaient plus de quatre cents unités par jour, la mortalité était plus élevée que chez ceux qui en consommaient moins. Le constat est le même au sujet du bêta-carotène qui, dans les carottes et autres produits végétaux, protège du cancer, alors que les fumeurs qui, pendant plusieurs années, en prennent 20 mg par jour sous forme de complément ont un risque accru de développer un cancer des poumons».
Prévention cardiovasculaire
L’intérêt des compléments alimentaires dans la prévention des maladies cardiovasculaires fait aussi l’objet de discussions. En prévention secondaire (pour éviter une récidive chez les personnes qui ont déjà eu un infarctus ou un accident vasculaire cérébral par exemple), «il vaut mieux recourir à des médicaments», précise le Pr Rodondi. En prévention primaire (chez celles qui n’ont jamais souffert d’accident cardiaque), leur utilisation peut en revanche s’avérer utile, en plus d’une alimentation saine et d’une activité physique régulière.
Le médecin considère que l’un des meilleurs candidats est la levure de riz rouge qui abaisse le taux de cholestérol. Elle est toutefois, interdite de vente en Suisse depuis 2004, les autorités ayant jugé qu’elle se situe dans une zone grise de la réglementation, n’étant ni un médicament, ni un complément alimentaire. «Elle peut toutefois être une option utile», estime le Pr Rodondi, notamment pour les personnes qui ne veulent pas prendre de statines. Mais elle a toutefois les mêmes effets secondaires que ces médicaments et doit donc être prise sous contrôle médical. D’autres produits naturels peuvent agir sur le cholestérol. Notamment les phytostérols, les fibres alimentaires (comme le bêta-glutamate d’avoine), ou encore le thé vert – «à condition toutefois d’en boire six à sept tasses par jour», précise le spécialiste. Et le médecin d’ajouter: « en revanche, si une alimentation riche en oméga 3 a clairement un effet bénéfique sur le risque cardiovasculaire, ces acides gras sous forme de compléments alimentaires n’ont pas d’effet démontré».
Dans certaines situations, les compléments alimentaires – qui sont en vente libre – présentent donc quelques bienfaits, mais ils sont loin d’être la panacée. D’autant que certains d’entre eux, en particulier les extraits de pamplemousse, interagissent avec des médicaments. Le professeur de l’UNIFR conseille donc à ceux qui en consomment d’en parler à leur médecin et à leur pharmacien et recommande la prudence : «Il faut se demander pourquoi on prend tel complément alimentaire, pendant combien de temps doit durer la cure et voir si cela nous fait du bien», tout en se méfiant de l’effet placebo qui nous fait parfois prendre nos désirs pour la réalité. Son conseil: varier les couleurs des aliments, car cela amène les différents nutriments nécessaires à l’organisme.
Quand complément alimentaire rime avec dopage
L’engouement pour les compléments alimentaires n’épargne pas le monde du sport. Certaines de ces substances, comme la créatine ou les prohormones, sont en effet censées améliorer les performances physiques et faciliter la récupération après l’effort. Tiennent-elles leurs promesses?
«La supplémentation de créatine peut, chez certains sportifs, augmenter la masse musculaire, la force et l’énergie disponible pour les efforts brefs et intenses, répond Norbert Baume, directeur adjoint du Laboratoire suisse d’analyse du dopage du Centre universitaire romand de médecine légale. A condition toutefois d’être accompagnée d’un programme d’entraînement spécifique et standardisé». Sinon, la substance ne sert à rien. Lorsqu’elle est en excès dans l’organisme, elle est excrétée. Elle peut toutefois provoquer des effets secondaires comme des troubles gastro-intestinaux, cardiovasculaires et musculaires, ou encore des problèmes rénaux.
Quant aux prohormones, dont le marché a explosé ces dix dernières années, ce sont des précurseurs des stéroïdes anabolisants. Elles ont donc les mêmes propriétés que ces derniers – accroissement de la masse musculaire et de la force – mais aussi les mêmes effets néfastes. «Elles engendrent des risques de dérèglements hormonaux et de troubles du rythme cardiaque, précise le scientifique. En cas d’abus, elles peuvent même conduire au développement de tumeurs, notamment de la prostate et du sein». En outre, contrairement à la créatine, elles sont considérées par l’Agence mondiale antidopage comme des substances interdites. A l’heure où «on trouve tout et n’importe quoi sur internet», Norbert Baume rappelle que «les athlètes sont considérés comme responsables de ce qu’ils consomment». Il conseille donc à ceux d’entre eux qui sont potentiellement contrôlables par les autorités anti-dopage d’être très prudents.
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Paru dans Le Matin Dimanche le 14/04/2019.