«La chirurgie de l’obésité est un coup de pouce pour les patients»
P.S.: On parle beaucoup de chirurgie bariatrique aujourd’hui, mais quel recul a-t-on face à l’efficacité de cette option thérapeutique chez les patients obèses?
B.G.: Une étude suédoise parue en 2013*, menée sur 3570 patients obèses suivis pendant 20 ans, a démontré la supériorité de la chirurgie sur les traitements conservateurs (diététique et activité physique). A long terme, la perte de poids chez les patients du groupe chirurgie se situait autour de 40 à 80% d’excès de poids, selon le type d’opération, alors que ceux du groupe témoin (traitement conservateur) n’avaient pas changé de poids.
La chirurgie est-elle ouverte à toutes les personnes en surpoids?
Non. Comme le stipule l’ordonnance fédérale de 2011, la chirurgie de l’obésité est réservée aux personnes dont l’indice de masse corporelle (IMC) dépasse les 35 kg/m2 (IMC = poids/taille2). A ce stade, on parle d’«obésité morbide», ce qui signifie que le surpoids induit ou risque d’induire d’autres problèmes de santé comme le diabète de type 2, l’apnée du sommeil, des douleurs articulaires, des reflux gastro-œsophagiens, une augmentation du risque cardiovasculaire ou encore un syndrome métabolique (hypertension, excès de cholestérol, diabète).
Y a-t-il d’autres conditions qu’une IMC élevée?
Oui. Selon cette même ordonnance, les conditions de prise en charge de la chirurgie de l’obésité sont strictes. En plus du seuil de l’indice de masse corporelle fixé à 35, il faut qu’un traitement amaigrissant approprié de deux ans soit resté sans effet pour qu’une opération chirurgicale soit remboursée. De plus, elle ne peut se dérouler que dans des centres certifiés par des médecins agréés.
Comment prépare-t-on les patients à une telle intervention?
La préparation à l’intervention dure entre neuf et douze mois. Cela s’apparente à un vrai parcours du combattant. Les médecins doivent écarter toute contre-indication (psychiatrique ou problèmes d’addiction). Les éventuels troubles du comportement alimentaire doivent être soignés. Puis, globalement, on prépare ces patients aux changements de vie qui en résultent. En apparence, ils sont en bonne santé. Avec l’opération, on les rend en quelque sorte «malades». On leur explique qu’ils ne pourront plus rester des heures à table, que leurs habitudes alimentaires vont changer. C’est la raison pour laquelle les candidats à la chirurgie sont astreints à une série de séances d’informations sur l’obésité elle-même, la chirurgie, ses risques, ses complications, ses alternatives, ses suites, etc. Des cours de nutrition et une rencontre avec un patient opéré sont également proposés.
Quels sont les risques de la chirurgie?
Dans 2 à 3% des cas, il peut il y avoir des complications immédiates (rupture des sutures, péritonites) qui peuvent nécessiter une nouvelle intervention. A plus long terme, il y a un risque d’effets secondaires divers (diarrhée, calculs dans la vésicule biliaire, occlusions intestinales, troubles et carences métaboliques). Cela implique une surveillance médicale étroite à vie. Le risque de décès est de moins de 1%. En revanche, le risque de mourir des conséquences de l’obésité est beaucoup plus élevé –neuf fois plus important pour les maladies cardiovasculaires, le cancer du sein, et du côlon.
En quoi la participation active du patient est-elle nécessaire durant tout ce cursus?
Elle est indispensable. Durant six semaines après l’opération, le patient est astreint à un régime alimentaire draconien (semi-liquide et lisse). Je passe un contrat moral avec mes patients qui s’engagent à ne pas avoir de comportements inadéquats qui les mettraient en danger. Ensuite, il y a un suivi étroit auprès de plusieurs spécialistes pour contrôler qu’il n’y a pas de carences nutritionnelles ou des complications d’ordre chirurgical. On accompagne le patient sur le plan nutritionnel et on est attentif à l’émergence ou à la poursuite d’éventuels troubles du comportement alimentaire.
Bio Express
Le Docteur Bijan Ghavami a été récemment élu membre à titre étranger de l’Académie Nationale française de Chirurgie. Cela fait de lui le troisième médecin suisse à intégrer la prestigieuse institution. Tout au long de sa carrière, il s’est impliqué dans de nombreux travaux concernant la chirurgie viscérale. Il a été un des pionniers de la chirurgie laparoscopique, et le premier médecin du canton de Vaud à effectuer des opérations bariatriques avec le robot chirurgical da Vinci, à la Clinique de la Source. Très engagé au niveau international, il préside deux associations internationales de chirurgie laparoscopique: la Fédération Internationale Francophone de Coelio-Chirurgie (FIFCC) et la Mediterranean & Middle Eastern Endoscopic Surgery Association (MMESA). Il est par ailleurs le président d’honneur de l’Association Suisse Romande de Chirurgie Coelioscopique, dont il a été le fondateur.
Combien de kilos peut-on perdre après une telle opération?
Il est impossible de prédire la perte de poids, car elle dépend beaucoup du profil du patient. Dans 80% des cas, l’opération est une réussite, c’est-à-dire que le patient atteint ou approche le poids espéré.
Cette perte est-elle définitive?
Un des effets de l’opération est la suppression de l’hormone de l’appétit secrétée par la partie de l’estomac qui va être exclue. Après deux à trois ans toutefois, le corps va se mettre à sécréter l’hormone de l’appétit ailleurs dans le corps. Dès lors, les gens retrouvent la sensation de faim, voire perpétuent des comportements déviants. Le risque de reprise de poids existe. L’opération n’est qu’un coup de pouce! Le patient doit faire attention à son hygiène de vie (alimentation et activité physique). L’échec, c’est-à-dire la reprise totale du poids au bout d’une dizaine d’années, est toutefois rare.
Qu’en est-il concrètement du changement physique?
Le changement de l’image corporelle est important et rapide. En une semaine, les patients perdent généralement 10 kg, et 15 à 20 kg en un mois. A plus long terme, suivant l’intervention subie, ils peuvent perdre entre 40 et 80% du surplus de poids. Cet amaigrissement entraîne un excès de peau disgracieux au niveau du ventre, des bras, des seins et entre les cuisses.
Est-ce à dire que c’est une opération miraculeuse?
Non. La chirurgie est là pour aider les patients en échec dans leur perte de poids et pour leur éviter des comorbidités. C’est un coup de pouce. Comme on l’a vu, subir une intervention est en soi un effort et demande une certaine adaptation, parfois à vie, de la part de ces patients.
Sur le plan médical, comment la chirurgie bariatrique a-t-elle évolué?
Il y a 20 ou 30 ans, la chirurgie bariatrique était une chirurgie lourde. Aujourd’hui, les suites opératoires sont simplifiées grâce à l’utilisation de la laparoscopie –une technique opératoire consistant en de petites incisions dans la paroi abdominale. Il existe plusieurs types de chirurgie bariatrique, mais le bypass gastrique, qui consiste à départager l’estomac en deux parties, est le standard depuis les années 2000. De manière générale, comme la chirurgie de l’obésité est aujourd’hui moins agressive et plus efficace, les gens s’intéressent beaucoup plus à ces traitements. On observe d’ailleurs une multiplication des interventions un peu partout. Par exemple en France, en 2014, plus de quarante mille interventions ont été pratiquées.
Y a-t-il des progrès à attendre du côté des techniques opératoires?
L’évolution et la recherche sont constantes pour trouver des techniques qui permettent une perte de poids efficace avec le moins de complications possibles. La recherche s’oriente également vers des médicaments «anti-gréhline (hormone de l’appétit)», c’est-à-dire des médicaments permettant de diminuer l’appétit et donc de limiter la prise de poids. Au Brésil, en Turquie et en Inde, dans le traitement du diabète, on transpose une partie de l’intestin grêle pour favoriser une sécrétion plus rapide de l’hormone de la satiété. Ce genre de procédés pourrait être intéressant dans le traitement de l’obésité, mais il faut que les mentalités évoluent. Pour beaucoup de médecins le by-pass n’est pas encore accepté, l’obésité étant pour eux une question de volonté avant tout.
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*Burza MA1, Romeo S, Kotronen A, Svensson PA, Sjöholm K, Torgerson JS, Lindroos AK, Sjöström L, Carlsson LM Peltonen M. Long-term effect of bariatric surgery on liver enzymes in the Swedish Obese Subjects (SOS) study. PLoS One. 2013;8(3): 2013 Mar 26