Les médicaments antidouleurs rendent-ils sourds?
Pourquoi? Le mystère demeure.
C’est souvent au fil du temps que l’on en sait plus sur nos médicaments. C’est le cas aujourd’hui avec deux des spécialités pharmaceutiques analgésiques les plus consommées au monde: l'ibuprofène et le paracétamol. Ingérés de manière régulière, ils augmentent de 34% le risque de perte auditive dans la deuxième partie de la vie. Telle est la conclusion d’une étude menée sur plus de 60’000 femmes, dont les résultats viennent d’être publiés dans l’American Journal of Epidemiology. Ce phénomène n’a pas été retrouvé pour l’aspirine. Soutenue par les National Institutes of Health (NIH) américains, ce travail a été mené par des chercheurs du Bingham and Women’s Hospital de Boston (Massachusetts).
Plus précisément, l’étude a porté sur les dossiers de 62’261 femmes (âgées de 31 à 48 ans) de l’étude de cohorte Nurses’Health Study II. Le point de départ a été l’année 1995 et les personnes ont été suivies jusqu’en 2009. Les chercheurs constatent que toutes celles ayant déclaré avoir consommé de manière régulière du paracétamol ou de l'ibuprofène, ce à raison de deux à trois fois par semaine ou plus, ont un risque accru de perte auditive par rapport à celles qui avaient pris ces analgésiques de manière nettement moins fréquentes, soit une fois par semaine. Il est en effet apparu que 10’012 participantes ont déclaré souffrir de pertes d’audition et les analyses statistiques ont établi un lien avec la prise de paracétamol et d’ibuprofène, mais pas d’aspirine.
Un risque accru dès deux prises par semaine
Dans les deux cas, le risque augmente dès que l’on dépasse deux prises hebdomadaires. Les chercheurs ont bien évidemment pris en compte les autres facteurs qui auraient pu constituer des biais: l'âge, l’hypertension artérielle, les accidents vasculaires cérébraux, le diabète de type 2, la surcharge pondérale, la consommation de boissons alcoolisées et de tabac, l’apport en vitamines, la pratique d’une activité physique, etc.
Ces observations faites chez les femmes font suite à un travail effectué chez les hommes et qui avait été publié en 2010 dans The Journal American of Medicine. Les conclusions, alors similaires, concernaient la prise régulière de paracétamol mais aussi d’aspirine ou d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS). Ce travail avait été mené par une équipe dirigée par le Dr Sharon Curhan de l’Université Harvard, Boston (Massachusetts). Ces chercheurs avaient travaillé sur les données de la Health Professionals Follow-up Study ; soit sur plus de 26’000 hommes pendant dix-huit ans.
Il est alors apparu que par rapport à ceux ne prenant pas régulièrement de paracétamol, les consommateurs réguliers âgés de moins de 50 ans avaient un risque deux fois plus élevé de perte d'audition, ceux âgés de 50 à 59 ans avaient un risque plus élevé de 38% et ceux âgés de 60 ans et plus, un risque supérieur de 16%.
Pour l'aspirine, le risque de perte auditive par rapport à ceux n'en prenant pas régulièrement était augmenté de 33% chez les moins de 59 ans, tandis qu'il n'y avait pas d'association chez les 60 ans et plus.
Concernant les AINS, le risque de perte auditive était augmenté de 61% chez les moins de 50 ans, de 32% chez les quinquagénaires et de 16% chez les sexagénaires et plus. «Etant donné la prévalence élevée de l'usage régulier d'antalgiques et les implications sanitaires et sociales de la perte auditive, cela représente un important problème de santé publique» faisaient alors valoir les auteurs.
Pas d’explication pour l’instant…
Telles sont les données disponibles. Il semble que l’on ne sache pas pour quelles raisons précises la consommation de ces spécialités pharmaceutiques peut avoir un tel effet sur la fonction auditive. Ce qui n’interdit en rien de mettre en garde et de se faire entendre des personnes potentiellement concernées tant qu’il en est encore temps. Et en postulant que les bénéfices attendus (et obtenus) de ces consommations chroniques médicamenteuses ne sont pas, tout bien pesé, supérieurs aux inconvénients d’une perte de l’audition. Ce qui reste à évaluer.