Peut-on se réveiller quand on est sous anesthésie générale?
Reprendre brutalement conscience durant une intervention chirurgicale? C’est rare, mais ce n’est pas impossible, ce qui effraie certains patients au point parfois de refuser une opération. Une vaste étude apporte pour la première fois des chiffres objectifs. Ces chiffres viennent d’être publiés dans la revue spécialisée Anaesthesia1 et dans le British Journal of Anaesthesia.L’étude est signée par les PrsM. S. Avidan (Department of Anesthesiology and Surgery, Washington University School of Medicine, St. Louis, Missouri) et J. W. Sleigh (Department of Anaesthesia, Waikato Clinical School, University of Auckland, Hamilton, New Zealand).
Événement traumatisant
Ces deux spécialistes ont travaillé sur des données recueillies au Royaume-Uni. Et plus précisément dans le cadre du projet NAP5 (National Audit Project) du Collège royal des anesthésistes et de l'Association des anesthésistes de Grande-Bretagne et d'Irlande. Ce travail a mobilisé la totalité des 375 hôpitaux publics du Royaume-Uni et d'Irlande. Entre 2012 et 2013, tous ont rapporté les cas déclarés spontanément par des patients, ce qui a permis de déterminer la fréquence de ces incidents ainsi que leurs causes identifiables et leurs conséquences.
Dans la plupart de ces rapports on retrouve la sensation d’une grande frayeur, la peur de mourir. «Il s'agit d'un vrai sujet, un phénomène connu et mal appréhendé, a expliqué au quotidien Le Figaro le Pr Francis Bonnet, vice-président de la Société française d'anesthésie et de réanimation. Nous savons qu'au cours de ces événements très rares, le patient a une perception réelle de son environnement pendant quelques minutes et s'en souvient à l'issue de l'opération, immédiatement ou dans les jours qui suivent. C'est presque toujours un événement psychologiquement traumatisant.»
Myorelaxants
D'après le travail mené sur les données britanniques, ce type de «réveil intempestif» surviendrait au cours d'une anesthésie générale sur 19 600. Les auteurs de l’étude précisent que certains facteurs augmentent le risque de survenu de ces épisodes, à commencer par l'utilisation de myorelaxants au cours de l'opération. Dans ces cas, le «réveil» surviendrait lors d’une intervention sur 8000. A mettre en parallèle avec le taux de 1/136 000 quand l'anesthésiste fait l’économie de ces produits.
Les myorelaxants «sont très souvent utilisés au cours des opérations pour permettre le relâchement des muscles afin d'intuber le patient, d'accéder à certains organes, par exemple dans l'abdomen, et pour éviter des gestes involontaires du patient», explique le Pr Francis Bonnet. Mais lorsqu'un myorelaxant a été donné, aucun mouvement ne permet d'alerter l'anesthésiste en cas de réveil débutant.
Situations à risque
Il existe aussi d'autres facteurs associés à ces réveils. Des éléments qui compliquent le travail de l'anesthésiste: une obésité, des voies aériennes mal dégagées ou encore une situation d'urgence. Le fait d'être une jeune femme et l'utilisation du thiopental sont d'autres éléments favorisants. Il faut ici savoir qu’une femme chez laquelle on pratique une césarienne sous anesthésie générale cumule à peu près tous les facteurs de risque. La fréquence des ces «réveils» est ainsi, selon l’étude, de 1/670. «Les traumatismes ou la césarienne en urgence sous anesthésie générale sont en effet des situations à risque de réveil, car des événements comme une hypotension liée à une hémorragie ou encore la nécessité de contrôler rapidement les voies aériennes peuvent amener à induire une anesthésie moins profonde», confirme le Pr Bonnet.
Séquelles psychologiques
Il existe des séquelles psychologiques à long terme dans environ la moitié des cas, selon l’étude menée au Royaume-Uni. «Il s'agit effectivement d'un événement traumatisant», a reconnu le Dr Soraya Chabbouh, anesthésiste à l'hôpital Cochin (Paris), interrogée par Le Figaro. Elle se souvient de deux patientes qui lui ont rapporté de telles expériences. «L'une s'est réveillée au début d'une opération pour une hernie discale après avoir été endormie dans une autre salle puis déplacée dans le bloc opératoire, explique-t-elle. Elle a senti l'incision. Dix ans après, sa qualité de sommeil était toujours altérée et elle continuait à faire des cauchemars. Il y a moins de deux ans, une autre patiente m'a raconté le même genre d'expérience à la suite d'une opération de gynécologie. Cela l'a d'autant plus effrayée que c'était la seconde fois que ça lui arrivait.»
Recommandations pratiques
Selon l’étude menée sur les données britanniques, 75% de ces réveils pourraient être prévenus. Les auteurs émettent 64 recommandations. «Nous proposons une "check-list" de tout ce qui doit être effectué et vérifié. Par exemple, il faut utiliser un stimulateur neuronal pour s'assurer que les myorelaxants n'ont pas inhibé totalement l'activité musculaire. Nous proposons aussi, quand c'est possible, de remplacer le thiopental par un autre produit. Enfin, nous insistons sur la prise en charge des patients en cas de réveil. L'indifférence du corps médical et de l'entourage peut aggraver le ressenti avec un risque de syndrome post-traumatique à long terme. Le patient doit être écouté et pouvoir bénéficier d'un accompagnement psychologique», détaille le Dr Jaideep J Pandi (hôpital universitaire d'Oxford), coordinateur de l'étude.
Restent les 25% de cas qui semblent inévitables. «Nous ne savons pas les expliquer. Il s'agirait d'une résistance du patient à l'anesthésie.» Parmi ces personnes, 5% avaient déjà connu un tel événement (elles-mêmes ou un membre de leur famille). Pourquoi? On ne le sait pas.
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1. Le texte (en anglais) de l’étude d’Anaesthesia est disponible ici