Jasmine Abdulcadir: «J’ai grandi dans le respect des différences»
1982 Naissance à Florence, Italie.
2007 Diplôme en médecine, MD.
2009 Arrivée à Genève.
2010 Ouverture de la consultation mutilations génitales féminines dont elle est responsable.
2014 FMH en gynécologie et obstétrique.
2017 Privat Docent, UNIGE.
2018 Médecin adjoint responsable des urgences de gynécologie et obstétrique.
Dans quelques heures, Jasmine Abdulcadir s’envolera pour Phoenix. Elle part enrichir son activité de recherche au sein d’une clinique pour migrantes. Malgré son départ imminent, elle accepte notre rencontre avec enthousiasme. Elle se dévoile avec ce sourire et cette douceur qui la caractérisent.
Un accent chantant. Un nom de famille à la consonance arabe. «On me demande toujours d’où je viens», s’amuse-t-elle. Née à Florence, Jasmine Abdulcadir y a aussi grandi. Elle est issue d’une famille «biculturelle et bireligieuse». Sa mère est italienne et chrétienne, son père somalien et musulman. «On fêtait Noël. Et on célébrait la fin du Ramadan.» Vivre ensemble, avec ses différences. Elle mesure aujourd’hui sa chance d’avoir grandi dans ce milieu. Bien sûr, reconnaît-elle, il y a eu des confrontations, mais la curiosité et le respect de l’autre l’ont toujours emporté. Une ouverture d’esprit qui imprégnera sa personnalité et son parcours. «C’est une personne accessible, humaine et très empathique», décrit l’une de ses internes.
Ses parents, tous deux gynécologues, lui transmettent sa passion pour la médecine. Elle fera le choix de la gynécologie après son Erasmus à Paris, où elle découvre la richesse de cette discipline. Jasmine Abdulcadir commence ses études de médecine en Italie. Très vite, sa curiosité et sa soif d’apprendre la poussent à voyager. Elle arrive à Genève en 2009 comme interne en gynécologie pour un stage de six mois. Elle y restera. Elle est encore interne quand, grâce à son impulsion, la consultation pour mutilations génitales féminines voit le jour: «Il y avait tout pour mettre en place cette consultation. J’ai eu la chance d’avoir des chefs soutenants qui m’ont donné les outils pour que ce projet aboutisse.» Car derrière cette jeune femme sympathique et accessible, il y a une travailleuse acharnée: «Elle se donne les moyens pour arriver à ce qu’elle veut, sans jamais marcher sur les plates-bandes des autres», soulève avec admiration son interne. En toute humilité, la jeune médecin dit s’être toujours sentie écoutée.
Soigner, réparer et éduquer
Ce n’est pas un hasard si Jasmine Abdulcadir s’engage contre les mutilations génitales féminines, «des pratiques illégales et dangereuses. Une violation des droits humains et de ceux de l’enfant», rappelle-t-elle. Ses tantes et sa grand-mère ont été infibulées*. «Je ne suis allée qu’une seule fois en Somalie, à l’âge de deux ans. Mais mes parents m’ont toujours protégée», raconte-t-elle. Son père est pionnier en Italie dans la prise en charge et la prévention des conséquences de l’excision. Sa mère, sexologue, sensibilise très tôt sa fille à la santé sexuelle et nourrit son intérêt scientifique. «Elle me demandait souvent de lui traduire des passages en anglais de ses livres de physiologie et d’anatomie.»
A ses yeux, l’éducation est essentielle pour éradiquer les mutilations génitales et autres pratiques ou croyances dangereuses pour la santé de la femme. Au sein de sa consultation, la doctoresse déconstruit les fausses croyances liées à ces mœurs. «Dire à nos patientes qu’elles sont normales, malgré ce qu’elles ont subi, est essentiel.» Avec délicatesse, elle accueille leur récit et leur offre une prise en charge pluridisciplinaire, incluant, ou non, la chirurgie. «Mon rôle est d’améliorer leur santé sexuelle, reproductive et globale sans victimisation ou stigmatisation. Bien prises en charge, elles reviendront pour une contraception, une grossesse ou un dépistage.»
Les violences sexuelles, physiques et psychologiques ne concernent pas que les migrantes. Jasmine Abdulcadir n’est d’ailleurs pas surprise de l’ampleur du harcèlement et des violences contre les femmes, dénoncés aujourd’hui. Elle déplore également les pressions sociales et culturelles qui pèsent encore sur le sexe féminin. Mais jamais on ne sent faiblir son optimisme, ni sa soif de connaître et transmettre son savoir pour promouvoir la santé féminine.
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* L’infibulation est la fermeture des organes génitaux externes par l’apposition des lèvres après une éventuelle excision des lèvres et/ou du clitoris.
Article repris du site pulsations.swiss