Choc toxique menstruel: le connaître pour l’éviter
Mourir ou être amputée pour avoir oublié de changer de tampon pendant ses règles: c’est à travers des histoires dramatiques que le syndrome de choc toxique menstruel (SCT) s’illustre régulièrement dans les médias. Heureusement extrêmement rare, cette maladie infectieuse liée à une mauvaise utilisation des protections périodiques à usage interne (tampons et cups) est connue depuis plusieurs décennies mais est loin d’avoir livré tous ses secrets. Les recherches menées ces dernières années ont tout de même permis de mieux comprendre les mécanismes à l’œuvre et d’orienter les messages de prévention.
Bien utiliser les protections périodiques intimes
- Se laver les mains avant d’insérer/retirer une cup ou un tampon.
- Ne pas les utiliser plus de 4 à 6 heures d’affilée.
- Ne pas les utiliser la nuit.
- Ne pas laver sa cup à l’eau seule, toujours utiliser du savon et la stériliser (en l’immergeant dans de l’eau bouillante durant 5 à 10 minutes ou en utilisant des comprimés de stérilisation pour biberons) après chaque usage. L’idéal étant d’en avoir deux, afin de toujours insérer une cup stérilisée.
- Alterner protections internes et externes pour permettre au sang menstruel de s’écouler.
Le SCT a été particulièrement médiatisé en 2015 quand l’Américaine Lauren Wasser a relaté comment un tampon gardé trop longtemps avait conduit à l’amputation de sa jambe droite. Mais le SCT avait déjà fait la une des médias aux États-Unis au début des années 1980. Plusieurs centaines de cas avaient été recensés après la mise sur le marché d’un «super tampon» produit par la société Procter & Gamble et baptisé Rely. «L’argument marketing était plus ou moins de dire aux consommatrices "Gardez-le autant que vous voulez". Plusieurs centaines de femmes ont fait un syndrome de choc toxique et, la maladie n’étant pas connue à l’époque, la mortalité a été, à ce moment-là, très importante, aux environs des 30%», se souvient le Pr Gérard Lina, microbiologiste au Centre national de référence des staphylocoques des Hospices civils de Lyon.
Changer de protection plusieurs fois dans la journée et/ou la nuit complique la vie de beaucoup de femmes en période de règles. Mettre une cup le matin et ne plus y penser jusqu’au soir ou utiliser les tampons les plus absorbants pour passer une nuit tranquille font partie des solutions pour limiter cette «charge mentale menstruelle» et sont parfois utilisés comme arguments marketing. «Le syndrome de choc toxique est lié au temps de stagnation du sang menstruel dans le vagin, explique le Pr Lina. Le SCT est une maladie infectieuse: elle n’est pas directement provoquée par le tampon ou la cup mais est liée à une bactérie présente naturellement dans le vagin et qui tire parti de l’environnement favorable que créent les protections intravaginales. Ne pas changer de protection revient à créer un milieu de culture idéal dans son vagin.»
Staphylocoque doré
La bactérie en cause est le staphylocoque doré. Homme ou femme, nous en sommes tous porteurs à un moment de notre vie, sur des périodes plus ou moins longues. «Nous développons quasiment tous une immunité contre le staphylocoque doré. Par contre, certaines personnes ne développent pas d’immunité contre la toxine TSST-1 produite par cette bactérie et responsable du choc toxique», souligne le Pr Lina. La toxine TSST-1 est capable de traverser la muqueuse vaginale et de passer ainsi dans la circulation sanguine. «Elle a la particularité de provoquer une réponse immunitaire totalement inadaptée. Cette toxine est d’ailleurs appelée "super-antigène". Elle est capable, en quelque sorte, de "pirater" le système immunitaire: celui-ci va alors produire une grosse quantité de cytokines qui va provoquer des dégâts majeurs au niveau des vaisseaux sanguins et des organes vitaux», décrit le Dr Sylvain Meylan, chef de clinique au Service des maladies infectieuses et répondant médical du programme Sepsis au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV).
Une fois la toxine dans le sang, quelques heures peuvent suffire à provoquer une défaillance des organes vitaux tels que les reins, le cœur, les poumons, le cerveau, et engager le pronostic vital de la victime. Il faut donc réagir vite. Pas toujours facile cependant tant les premiers symptômes sont peu spécifiques: fièvre, vomissements, diarrhée, sensation de faiblesse, érythème. Le SCT peut être facilement confondu avec une intoxication alimentaire ou une gastro-entérite. «La plupart des médecins généralistes ne verront jamais de SCT durant leur carrière mais ils doivent être sensibilisés à l’existence et la gravité de cette maladie pour être à même de réagir correctement face à une patiente qui demande un avis», estime le Dr Meylan.
Apparition de violents frissons
Si vous avez gardé votre protection plus de 4 à 6 heures et que vous ressentez certains de ces symptômes, il est primordial d’enlever immédiatement le tampon ou la cup puis de consulter au plus vite. «L’apparition de frissons "solennels", très violents, qui font claquer les mâchoires, doit toujours alerter», ajoute le Dr Meylan. En cas de SCT avéré, la prise en charge repose sur l’injection de liquides afin d’augmenter le volume sanguin, parfois une antibiothérapie incluant de la clindamycine qui fait chuter la production de toxine TSST-1 et surtout l’usage de médicaments vasoconstricteurs. En permettant de rétablir la perfusion sanguine des organes vitaux, ils peuvent éviter une issue fatale, mais ces médicaments provoquent aussi une réduction de l’alimentation sanguine des membres, ce qui parfois peut conduire à une amputation.
Une prédisposition génétique en lien avec le système immunitaire semble augmenter la probabilité de développer un SCT mais, pour l’heure, aucun test ne permet de déterminer de façon fiable qui sont les femmes les plus à risque. Celles qui n’ont pas développé d’immunité contre la toxine TSST-1 et qui sont porteuses du staphylocoque doré sont plus exposées mais ce syndrome est multifactoriel et résulte d’une conjonction de divers facteurs loin d’être tous connus. Le respect des règles d’hygiène lors de l’utilisation de protections intravaginales reste donc la meilleure prévention.
La cup, ni mieux ni pire que les tampons
La popularité des cups menstruelles n’est sans doute pas étrangère à la mauvaise réputation que les tampons se sont forgée au milieu des années 2010. Incriminés dans les cas de syndrome de choc toxique menstruel (SCT) qui ont été alors médiatisés, les tampons péchaient aussi par le manque de transparence sur leur composition. Sans parler de leur impact écologique. Fraîchement débarquées sur le marché, les cups répondent à toutes ces problématiques. Une étude menée en France et publiée en 2018 par le Pr Gérard Lina, microbiologiste au Centre national de référence des staphylocoques des Hospices civils de Lyon, a cependant démontré que la cup, comme tout dispositif intravaginal qui retient le sang menstruel, peut favoriser la prolifération bactérienne et être à l’origine d’un SCT. «Je me souviens très bien d’une notice qui indiquait qu’il était possible d’utiliser la cup 8 à 12 heures! explique Angela Walder-Lamas, conseillère en santé sexuelle et sage-femme à l’Unité de santé sexuelle des Hôpitaux universitaires de Genève. Nous avons depuis constaté des modifications de ces consignes et quand la cup est évoquée dans une consultation, nous rappelons les recommandations pour une utilisation sûre.»
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Paru dans Le Matin Dimanche le 09/10/2022