Lorsque maman boit pendant la grossesse, bébé trinque
Les femmes enceintes ne devraient pas boire d’alcool, pas même un verre de temps en temps. C’est du moins ce que recommandent les milieux de la prévention et les obstétriciens. Une abstinence rigoureuse qui peut sembler un peu extrême. Mais lorsqu’on regarde d’un peu plus près ce que l’alcool peut causer chez un enfant à naître, cette interdiction prend tout son sens. En voici un aperçu: malformations, troubles neurologiques, déformations faciales, poids de naissance léger, risque de prématurité ou de fausse couche. Et plus tard, d’éventuels troubles de l’apprentissage.
«Aucune étude ne permet d’affirmer qu’une consommation faible d’alcool pendant la grossesse est dénuée de risques, explique le Pr Jean-Bernard Daeppen, chef du Service d’alcoologie du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). A la fin du XIXe siècle, il y a eu beaucoup de victimes du syndrome d’alcoolisation fœtale (lire encadré) que l’on n’a pas vues venir. Ce mal touche les bébés de femmes alcooliques, mais on sait aujourd’hui que dans les premiers jours de gestation, boire de l’alcool, même en petite quantité, peut avoir des répercussions sur la santé du nourrisson.»
La règle du tout ou rien
Idéalement, il faudrait donc arrêter l’apéro en même temps que l’on décide d’abandonner la contraception. «Les quinze premiers jours suivant la conception se caractérisent par la loi du "tout ou rien", explique la Dre Frédérique Rodieux, cheffe de clinique au Service de pharmacologie et toxicologie cliniques des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Pendant cette phase peri-implantatoire (ndlr, avant la nidation), soit les agressions chimiques, induites par la substance nocive (alcool, drogue ou médicament), interfèrent avec la division et l’implantation de l’œuf, ce qui n’est pas compatible avec la vie et provoque une fausse couche spontanée; soit l’œuf est capable de compenser complètement les éventuelles lésions et est viable sans séquelles.»
Comme 50% des grossesses actuelles ne sont pas planifiées, il n’est pas rare qu’une femme consomme de l’alcool sans savoir qu’elle attend un enfant. Faut-il s’alarmer? Les deux médecins se veulent rassurants. Inutile de dramatiser, de culpabiliser et de s’inquiéter outre mesure, mais il convient de s’abstenir dans les mois à venir et même après, étant donné les risques. «Les femmes qui allaitent ne devraient pas boire, car l’alcool consommé par la mère passe dans le lait maternel, explique la Dre Frédérique Rodieux. Bien qu’un nouveau-né allaité soit exposé à une infime quantité de l’alcool consommé par la mère, il le métabolise moins vite qu’un adulte. Sa concentration dans le sang diminue donc plus lentement avec un risque d’accumulation dans son organisme lors de consommations répétées.»
Par ailleurs, l’alcool peut modifier le goût du lait maternel et produire une diminution de la prise alimentaire, un effet sédatif ou encore de l’agitation chez le tout-petit.
Lorsque le nourrisson tète à heures plus ou moins fixes, la mère peut s’accorder un petit verre, mais il faut alors attendre deux heures avant de donner le sein.
Pas besoin de boire beaucoup pour causer des dégâts
Le syndrome d’alcoolisation fœtale (SAF) touche les bébés de mères alcooliques. Il est associé à des anomalies graves du développement et à des pathologies associées. Le trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale (TSAF) désigne quant à lui les problèmes de santé des enfants dont la mère a bu pendant la grossesse, même parfois de faibles quantités. Les enfants touchés ont un visage assez spécifique. Ce dernier présente souvent des fentes aux coins des yeux, un nez effacé ou allongé, une lèvre supérieure très fine, un front bombé, un crâne petit, des os soudés. A ces caractéristiques physiques s’ajoutent parfois des retards d’apprentissage ou des troubles du comportement plus ou moins sévères.
Selon l’Office fédéral de la santé publique, dans les pays occidentaux, près de 20 enfants sur 1000 naissent avec un TSAF et deux à cinq présentent un SAF. En 2017 en suisse, sur 85’000 naissances vivantes, cela se traduirait donc par 1700 cas d’enfants souffrant d’un TSAF et entre 170 à 425 cas de SAF. Des chiffres élevés qui semblent pourtant vraisemblables, sachant qu’en comparaison internationale, la suisse est un des pays dont les habitants consomment le plus d’alcool.
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Paru dans Planète Santé magazine N° 33 - Mars 2019