Accoucher en dehors de l’hôpital
Dans un pays où le système de santé est efficace, il peut paraître incongru de ne pas y avoir recours. Pourtant, quand il s’agit de donner la vie, certaines femmes ressentent le besoin de ne pas se rendre à l’hôpital. Les maisons de naissance sont une vingtaine en Suisse (dont la moitié en Suisse romande). Elles voient leur nombre d’accouchements augmenter légèrement d’année en année. D’autres parturientes préfèrent quant à elles donner la vie sans quitter leur domicile.
Entre 2006 et 2013, les accouchements en maison de naissance et à domicile sont passés de 1663 à 2052. Ce type d’accouchement est-il particulièrement risqué? «Un accouchement conduit par une sage-femme a un pronostic comparable à celui pratiqué en milieu hospitalier, explique Patrick Holfeld, Chef du Département de gynécologie-obstétrique-génétique du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). La médecine fait beaucoup de bien, mais a ses limites. Plus de médecine n’est pas synonyme de meilleure santé.»
Critères à respecter
Ne peuvent pas accoucher hors hôpital toutes les femmes qui le désirent. «Seules les grossesses à bas risque sont éligibles, explique Yvonne Meyer, membre du comité central de la Fédération suisse des sages-femmes. La femme doit être en bonne santé, la grossesse doit bien se dérouler et ce jusqu’à son terme. Sans oublier que l’environnement psycho-social entourant la femme doit être adéquat. Il faut aussi que le suivi de la grossesse soit fait tout ou en partie par la sage-femme et que des liens se nouent entre cette dernière et le couple. Ce n’est pas que la femme qui doit s’impliquer, mais aussi son partenaire.» D’autres contraintes d’ordre pratique doivent être respectées. «Dans le cas d’un accouchement à la maison, la durée du trajet entre le domicile et l’hôpital ne devrait pas excéder 20 minutes», précise Yvonne Meyer. Et Patrick Holfeld de préciser: «Il me paraît important de privilégier des structures très proches d’un hôpital car même quand tout se passe bien, il peut y avoir des surprises.»
Olivier Irion, médecin chef du Département de gynécologie et obstétrique des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), est toutefois plus catégorique: «Un accouchement hors cadre hospitalier peut être dangereux. Même si les complications sont rares, la prise en charge de la parturiente et du fœtus peut être très urgente. Des études ont montré que lors d’une naissance à la maison, le risque de mortalité néonatale triple. La médecine a permis une chute spectaculaire de la mortalité maternelle et de la morbidité néonatale. Grâce à une bonne collaboration entre médecins et sages-femmes, la médicalisation des accouchements se limite souvent à soulager la douleur. L’épisiotomie n’est depuis longtemps plus systématique.» Et le professeur de rappeler que les femmes mettent au monde leur premier enfant a un âge plus avancé que par le passé, ce qui augmente le risque de complications.
Marylène, 35 ans
«Lors de ma première grossesse, je n’ai pas osé aller en maison de naissance. J’ai donc décidé d’accoucher à l’hôpital, en ambulatoire.» La trentenaire a eu droit à une péridurale pour la naissance d’Oscar, mais a décidé de s’en passer pour celle de Mia, deux ans plus tard. «L’hôpital donne l’impression que l’on a besoin du personnel médical et de la péridurale. A la maison, dans cette ambiance bienveillante, je savais que je ne pourrais pas y avoir recours et j’ai trouvé le courage de continuer.» La jeune femme avoue toutefois s’être posé la question avant la naissance de son 3e enfant, mais le cocon du domicile a pris le dessus sur la peur de la douleur. «C’est un luxe de pouvoir mettre son enfant au monde à la maison. Accueillir son bébé en douceur et à son rythme. C'est un cadeau pour le bébé et pour les parents. Le père peut aussi s’impliquer davantage.»Le meilleur des deux mondes
Les HUG proposent toutefois un service de suivi global et personnalisé effectué par une équipe de sages-femmes qui suivent les femmes tout au long de leur grossesse, de leur accouchement et pendant le post-partum.
De son côté, le CHUV est sur le point d’ouvrir sa propre unité de naissances physiologiques. Fin 2016, une partie du troisième étage de la maternité permettra aux femmes de vivre un accouchement non médicalisé, mais suivi par une sage-femme. «Il y a une demande claire de la population pour ce type d’accouchements, affirme Jérôme Bachelard, directeur administratif adjoint du Département de gynécologie-obstétrique du CHUV. Avec ce projet, nous pensons d’une part attirer les femmes qui recherchent des structures du type maison de naissance mais qui ont tout de même certaines craintes et d’autre part celles qui n’auraient pas spécialement envisagé de donner naissance en dehors d’un hôpital mais qui se laissent séduire par cette nouvelle structure. Nous marions ainsi les avantages d’un accouchement physiologique avec la sécurité qu’offre le cadre hospitalier en cas de complications.» Située au même étage que le bloc opératoire, la future aile du CHUV se veut donc rassurante. «Il faut reprendre confiance dans la nature, surenchérit Patrick Holfeld. Plus on va mettre de moyens de monitorage et de diagnostic, plus cela va pousser les médecins à l’intervention. Dans nos régions, le risque de décès d’une mère en cours de grossesse a diminué de 1500 fois en 200 ans!»
Et Sandy Estermann, médecin en gériatrie et maman de quatre enfants nés à domicile, de conclure: «Le fait d'accoucher à l'hôpital ne ramène pas le risque à zéro. A force de vouloir minimiser les risques il me semble qu'on surmédicalise les accouchements. En tant que médecin, j’ai toujours été émerveillée par la perfection du corps humain, l'intelligence de son fonctionnement, et j'avais envie de faire confiance à la nature qui est, la plupart du temps, très bien faite.»