«Mieux informés, les patients contribuent à une médecine plus intelligente»
Grâce à Internet, le patient est un nouvel expert de sa santé. A côté de cela, les progrès fulgurants des nouvelles technologies nous font miroiter une espérance de vie décuplée, tandis que les questions éthiques surgissent de toute part… La médecine est-elle aujourd’hui au début d’une nouvelle ère?
Absolument, et cela commence par la position nouvelle que prend le patient vis à vis de sa santé et de son médecin. Voir arriver des personnes informées, documents d’information en main, pourrait être perçu comme une menace pour le soignant, une remise en cause de son savoir. Pour ma part, j’estime que le bénéfice est important, pour deux raisons. La première est qu’aujourd’hui, face à des traitements complexes, multiples, cette connaissance constitue un atout majeur dans ce que l’on appelle les décisions partagées, celles prises entre un médecin et son patient. Le terme de «littératie en santé» recouvre cette notion d’information maîtrisée pour un choix éclairé de l’individu vis à vis de sa santé. Le second aspect est que ces patients mieux informés, de par leurs questions et comparaisons, contribuent à la pratique d’une médecine plus intelligente et efficiente, car basée sur les meilleures évidences scientifiques et rapports risques-bénéfices. Cela s’incarne plus largement dans le concept de «Choosing wisely» aux Etats-Unis, ou de «Smarter medicine»* élaboré pour la Suisse par la Société Suisse de Médecine Interne Générale.
Comment les nouvelles technologies s’inscrivent-elles dans cette dynamique?
Le développement technologique extrêmement marqué qui se vit sous nos yeux a de quoi nous réjouir pour les perspectives de traitements qu’il laisse entrevoir, mais il comporte un écueil majeur: le risque de surmédicalisation. Là également, le partenariat médecin-patient pour une décision partagée est crucial. Face à des alternatives nouvelles, le rôle du médecin est bien sûr d’informer son patient, de discuter avec lui de tel ou tel traitement, mais il est aussi de décourager des démarches certes possibles, mais inutiles, voire néfastes. Quel intérêt par exemple pour un patient de faire séquencer son ADN et découvrir qu’il a un risque de 15% de développer la maladie d’Alzheimer? Aucun traitement préventif n’existe à ce jour, alors que va-t-il faire? Au mieux, adopter une hygiène de vie irréprochable. Il me semble que d’autres arguments existent pour y parvenir, bien moins coûteux et moins anxiogènes!
L’envie d’être en bonne santé et de le rester tient aujourd’hui une place immense. Cela change-t-il l’attitude des patients?
Chez les classes moyennes et aisées, cela est certain. Le style de vie s’est amélioré, les recommandations sur l’hygiène de vie ont fait leur chemin. Le résultat est que nous voyons de plus en plus arriver des patients en pleine forme, même passé un certain âge. Leurs demandes relèvent surtout de l’envie de profiter de leur vie au maximum. S’il n’y a aucun problème à, par exemple, faire un check-up à un jeune retraité désireux de faire du sport, le risque d’une dérive de la médecine anti-âge est réel. Face à une piste qu’il estime dangereuse pour son patient, le médecin doit pouvoir s’arrêter, et ne pas franchir avec lui la barrière de la futilité.
Où se situent les garde-fous éthiques entre ce qui est acceptable, et ce qui ne l’est pas?
Face à des demandes inconsidérées, la responsabilité est sociale. On ne peut faire porter par la société –au travers de l’assurance maladie– les caprices d’une personne. Même si l’argent n’est pas en jeu, que le patient assume lui-même son énième lifting par exemple, la responsabilité médicale reste le maître-mot face à des risques opératoires qui pourraient devenir trop élevés.
L’attitude face à la maladie a-t-elle changé pour ce patient «nouvelle génération»?
Notre vision sociétale de la santé a évolué. Le fatalisme vis à vis des faiblesses du corps, de la vieillesse, de la maladie, a laissé place chez l’individu à l’envie d’être plus exigent, plus responsable, acteur de sa vie et de sa santé. C’est ce que l’on entend par «empowerment du patient». Le rapport à la maladie s’inscrit dans cette dynamique. Les bénéfices sont très clairs pour les maladies chroniques, beaucoup mieux gérées et assumées au quotidien par les patients. Cela est également vrai dans des domaines comme l’oncologie.
Nous évoquons des situations idéales de patients parfaitement informés, motivés, en synergie avec leur médecin. Qu’en est-il des autres, exclus de ces privilèges?
Dans les services publics de médecine de premier recours, qui s’adressent aux plus précaires, nous faisons face à des obstacles d’ordre intellectuel, culturel, linguistique. L’effort est permanent pour les surmonter, car les enjeux sont majeurs. Nous suivons par exemple un nombre croissant de femmes sud-américaines souffrant de diabète. Pour elles, cette pathologie est la «maladie du riche», emprunte de tabous et de dénis. Résultat, beaucoup ignorent leur traitement, et se retrouvent aux urgences dans le coma… Il y a là un défi majeur, pour nous soignants, à relever. Les progrès que représentent la littératie en santé et l’empowerment du patient doivent pouvoir se décliner dans toutes les situations.