Les biobanques au service de la médecine personnalisée
De quoi on parle?
Ce sont des banques très particulières qui se créent un peu partout dans le monde. Elles ne manient ni argent ni produit financier, mais ce qu’elles conservent n’en est pas moins précieux. Ces «biobanques» collectent et stockent des échantillons biologiques destinés à la recherche. A l’instar de la Biobanque institutionnelle de Lausanne (BIL) qui recueille le sang des patients hospitalisés au CHUV et compte participer à l’émergence de la future médecine personnalisée de demain.
Ils constituent désormais des biobanques, «des collections organisées et structurées d’échantillons biologiques à des fins de recherches», telles que les définit Vincent Mooser, chef des laboratoires du CHUV et directeur de la Biobanque institutionnelle de Lausanne (BIL).
De multiples biobanques se sont constituées à travers le monde et l’on y trouve de tout: des spécimens d’origine végétale, animale, microbienne ou humaine, comme le sang, l’urine, le sperme, les cheveux, les ongles, etc. Tout peut être récolté et conservé en fonction de l’objectif visé. Dans le domaine médical, les collections peuvent être ciblées et destinées à un projet de recherche spécifique ou concerner une pathologie particulière – les biobanques oncologiques, par exemple, accumulent des tissus cancéreux – ou inclure toute la population d’une ville (comme la fameuse cohorte lausannoise CoLaus). Elles peuvent être locales et de petite taille – «rien qu’au CHUV, nous en avons compté cinquante-neuf», précise Christine Currat, directrice opérationnelle de la BIL – ou inclure des échantillons prélevés sur des dizaines ou des centaines de milliers de personnes, comme c’est le cas en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis.
Lausanne a désormais sa biobanque hospitalière systématique. Opérationnelle depuis janvier 2013, la BIL est «unique en Europe», explique son directeur. Biobanque hospitalière, elle a été créée avec un objectif précis: anticiper l’émergence de la médecine génomique rendue possible grâce à une véritable révolution technologique. Cette médecine personnalisée a en effet l’ambition de traiter chacun en fonction des particularités de son patrimoine génétique.
Reste que le séquençage du génome humain, qui devrait devenir d’ici peu une technique de routine, pose pour l’instant plus de questions qu’il n’en résout. Nos gènes portent des mutations. Mais celles-ci prédisposent-elles à telle ou telle maladie? Nous conduisent-elles à répondre, ou à résister, à un traitement donné? C’est ce fossé dans les connaissances que les biologistes et les médecins doivent maintenant combler. La plupart de ces variantes étant très peu fréquentes dans la population, les chercheurs doivent disposer d’un très grand nombre d’échantillons d’ADN pour pouvoir les repérer. La BIL pourra les leur fournir.
La biobanque s’adresse à tous les patients hospitalisés au CHUV qui sont, bien sûr, libres de refuser toute participation. Ceux qui y consentent se voient prélever 10 millilitres de sang. Le liquide passe dans une centrifugeuse qui sépare ses composants: plasma, globules rouges et globules blancs, dont l’ADN sera par la suite extrait et séquencé. Chaque lot de globules blancs prélevé sur un patient est ensuite placé dans deux minuscules tubes munis d’un code-barres à 2 dimensions – des objets «high tech», selon Vincent Mooser – stockés dans deux congélateurs maintenus à moins 80 degrés.
Le processus n’est pas si simple qu’il y paraît. «Il faut faire des contrôles de qualité à toutes les étapes afin de s’assurer que les échantillons pourront être conservés, à long terme, dans de bonnes conditions», souligne Christine Currat.
A la disposition des chercheurs
En novembre, la BIL avait déjà recueilli le sang de 6000 patients et elle espère compter 30 000 échantillons l’an prochain, d’autant plus qu’elle va étendre la collecte aux personnes traitées en ambulatoire. La récolte est d’ailleurs ouverte aussi à toutes celles et ceux qui voudraient y participer.
Une fois séquencés tous les ADN conservés – idéalement en 2015 ou 2016 – la biobanque mettra ces informations à la disposition des chercheurs lémaniques, des secteurs académique ou industriel, «dont les projets auront le même standard éthique que le nôtre», précise Vincent Mooser.
Cette manne biologique sera utile à la recherche sur le génome, mais elle pourra aussi contribuer au développement de nouveaux médicaments. Le directeur de la BIL en donne un exemple: «Les gens ayant une mutation sur le gène LRRK2 ont 70% de risques de développer la maladie de Parkinson à 70 ans. Si l’industrie pharmaceutique trouve un moyen de bloquer ce gène, on pourra retrouver les patients porteurs de cette mutation et, s’ils ont accepté d’être recontactés, les inclure dans des essais cliniques.» On pourra faire de même pour les nombreux troubles, de la maladie d’Alzheimer à l’obésité, dont on sait qu’ils sont liés à des variantes génétiques particulières.
La biobanque lausannoise a joué les pionniers. Maintenant qu’elle a «passé le chasse-neige», comme le dit en riant Vincent Mooser, les autres hôpitaux universitaires du pays pourraient suivre la piste et s’associer en réseau. Dans le domaine de la recherche clinique, dans lequel la Suisse a pris du retard, les chercheurs devraient en revanche être bien placés pour participer à la nouvelle compétition: celle de la médecine génomique.
Un don libre et volontaire
La collecte et le stockage d’échantillons biologiques humains soulèvent de nombreuses questions éthiques. «Nous devons installer des barrières afin de ne pas trahir la confiance des personnes qui nous donnent leur sang», explique Vincent Mooser, directeur de la Biobanque Institutionnelle de Lausanne (BIL).
Les patients du CHUV, après avoir été informés des objectifs de la biobanque et donné leur accord, se voient prélever quelques millilitres de leur sang. Le liquide biologique pourra alors «être conservé pendant une durée indéterminée qui peut aller au-delà de cent ans», indique Christine Currat, directrice opérationnelle de la BIL. Il sera utilisé à des fins de recherche. Les volontaires doivent aussi accepter que leur dossier médical puisse être consulté si besoin. En effet, les échantillons ne seront pas anonymes, mais ils seront codés de manière à préserver la protection des données. «Les chercheurs n’ont d’ailleurs pas la clé pour décrypter ce code», précise Christine Currat.
Les personnes doivent aussi préciser si elles souhaitent, ou non, être contactées dans le cas où les scientifiques découvrent qu’elles ont une maladie génétique. Toutefois, ce libre choix pose un problème, admet Vincent Mooser: «On pourrait être accusé de non-assistance à personne en danger.» Le directeur de la BIL a donc confié à un comité d’éthique le soin de décider de la meilleure option, en s’adaptant à l’avancement des connaissances. «Par ailleurs, poursuit-il, un groupe de patients va être constitué pour nous aider à trouver la meilleure réponse à ce genre de questions.»
Sur le plan légal, les juristes associés à la BIL se sont aussi assuré que le formulaire de consentement signé par les patients «respecte les termes de la nouvelle loi fédérale sur la recherche sur l’être humain qui entrera en vigueur en janvier», selon Christine Currat.