Les Espagnols ont la meilleure santé du monde
Avec une espérance de vie de 85,2 années pour les femmes et 81,2 années pour les hommes, la Suisse est l’un des pays où l’on vit le plus longtemps. En toute cohérence, elle peut aussi se targuer d’être dans le top 5 des pays affichant la meilleure santé au monde, d’après le récent classement réalisé par le groupe financier et d’informations économiques américain Bloomberg. Le Bloomberg Global Health Index a en effet comparé pas moins de 169 pays en fonction de la santé de leurs habitants en tenant compte de multiples critères. L’espérance de vie et la mortalité, bien sûr, mais aussi des facteurs de risque liés au comportement individuel (hypertension, diabète, cholestérol, surpoids, tabagisme, consommation d’alcool, sédentarité, malnutrition, etc.) et à l’environnement (eau potable, qualité de l’air et accès aux soins). Si la Suisse a perdu deux places depuis 2017, elle arrive toutefois en 5e position derrière le Japon (4e), l’Islande (3e), l’Italie (2e) et l’Espagne, qui se hisse en tête du classement.
Comment expliquer ces résultats et quel est le secret des pays qui devancent la Suisse? «Les différences de scores sont minimes et aucune de ces cinq nations ne se détache véritablement», répond d’entrée le Pr Jacques Cornuz, directeur du Centre universitaire de médecine générale et santé publique Unisanté à Lausanne. Ces pays affichent tous un très bon niveau socio-économique, qui est un déterminant majeur pour la santé, de même qu’une forte cohésion sociale, l’éducation et un accès aux soins de base garanti aussi pour tous. Le Pr Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale à l’Université de Genève, confirme la performance de la Suisse sur ces aspects: «Contrairement aux Etats-Unis, qui n’arrivent qu’en 35e position, nous sommes très bons à la fois en termes de couverture sociale (assurance maladie), d’organisation et d’accès aux soins. En cas d’infarctus, quasi toute la population est à moins de 90 minutes d’un centre de soin équipé».
Une conjonction de facteurs
Vivre longtemps et en bonne santé
Vous souhaitez vivre longtemps et en bonne santé ? Voici les conseils les plus importants:
1) Renoncez au tabac.
2) Visez un poids normal et évitez l’obésité.
3) Adoptez une alimentation variée, riche en produits d’origine végétale et pauvre en produits animaux. Et limitez le plus possible votre consommation d'alcool.
4) Bougez! L’exercice physique est un excellent moyen de prévenir les maladies cardio-vasculaires, le cancer et la maladie d’Alzheimer.
Entretenez vos liens avec les autres! C’est de mieux en mieux démontré: l’intégration sociale est très protectrice pour la santé.
Mais les bons scores obtenus résultent avant tout d’une conjonction de facteurs. Élément décisif, une alimentation saine est un facteur commun aux pays classés dans le top 5. Relativement épargnée par la junk food, la Suisse adopte depuis longtemps la diète méditerranéenne, comme l’Espagne et l’Italie. Par ailleurs, «la tradition des repas familiaux, trois fois par jour, y est encore très ancrée», ajoute le Pr Flahault. Au Japon, où l’espérance de vie est très élevée et le surpoids peu répandu, l’alimentation est très différente, mais aussi très saine car riche en végétaux et en poisson.
Mais pour quelle raison la Suisse n’est-elle pas la première? Parce qu’elle est mauvaise élève en matière de prévention du tabac et de l’alcool, s’accordent à dire les experts. En effet, contrairement aux cinq autres, elle n’a pas ratifié la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac. Responsable de plus de 9000 décès prématurés en Suisse chaque année, le tabac jouit chez nous d’une certaine complaisance. «Nous vivons dans un pays très libéral où les lobbys sont puissants. Il y a peu de restrictions et les taxes sont faibles, alors que les jeunes en particulier sont très sensibles au prix», déplore le Pr Fred Paccaud, professeur honoraire à l’Université de Lausanne. Pourtant, les mesures édictées par la Convention de l’OMS (mises en garde sanitaires, paquet neutre, interdiction de la publicité et du parrainage, taxes élevées, etc.) ont fait leurs preuves dans les pays voisins.
L’alcool bénéficie lui aussi de ce libéralisme helvétique. Le fait d’être un pays producteur et la force de la tradition locale ne favorisent pas une réglementation plus stricte. Au détriment de la santé de la population? On sait que de nombreuses maladies (cardio-vasculaires, psychiques, cancers, etc.) et accidents (route, violence) sont associés à une consommation excessive. «La Suède par exemple, a su prendre des mesures efficaces, en déprivatisant la vente d’alcool, en réduisant les horaires de vente, en augmentant les taxes et en prônant une tolérance zéro sur les routes», illustre le Pr Flahault.
Pistes d'amélioration
Tabac, alcool: la Suisse peut donc mieux faire sur le plan de la prévention, le budget qu’elle y alloue étant en outre très faible. «On vit certes longtemps en Suisse, mais avec parfois de lourdes morbidités», rappelle le Pr Flahault. Tous les acteurs ont un rôle à jouer, souligne le Pr Pascal Bovet, responsable de la section maladies chroniques à Unisanté: «La création d’espaces verts et de pistes cyclables est un changement structurel qui encourage l’activité physique et a un impact positif sur la santé de la population».
Quant aux messages de prévention, ils doivent être plus ciblés afin d’atteindre toutes les couches de la population, y compris les plus défavorisées. Prenons le surpoids, l’un des facteurs de risque pointés par l’index Bloomberg. «Les enfants issus de familles avec un statut socio-économique plus bas ou dont le niveau d’éducation des parents est moins élevé sont plus touchés que la moyenne. Les mesures de promotion de la santé doivent donc particulièrement soutenir ces familles», relève Catherine Favre Kruit, membre de la direction de Promotion santé suisse.
Sur un autre plan, certaines franges de la population n’ont pas accès aux campagnes de dépistage contre les cancers du sein ou du côlon par exemple, notamment parce qu’elles n’ont pas de médecin traitant. Renforcer la médecine de premiers recours prend alors tout son sens: «Plusieurs facteurs de risque (tabagisme, cholestérol, hypertension, surpoids, etc.) peuvent être contrôlés par des interventions comportementales ou pharmacologiques», souligne le Pr Bovet. Il s’agit enfin, pour les spécialistes interrogés, de ne pas perdre nos acquis: «Ne pas oublier les messages de santé simples comme celui de se faire vacciner», poursuit-il. Plus globalement, la Suisse ne gardera son rang qu’en préservant son système de santé: «Vouloir augmenter les franchises, monétariser la santé et rendre le système toujours plus concurrentiel le mettent en danger», conclut le Pr Cornuz, qui rappelle que le marché de la santé est atypique. Selon lui, une médecine humaine où le médecin a le temps d’écouter ses patients permet d’améliorer la santé individuelle mais aussi collective.
Témoignage
Claudine, 100 ans: «Si je n’ai pas pris la bonne décision médicale et que je meurs, à mon âge, ce n’est pas une catastrophe!»
Claudine habite au 3e étage d’un coquet immeuble lausannois. Autrefois enseignante, cette fille de centenaire (son père a vécu jusqu’à 106 ans!) qui n’a eu ni mari ni enfant, nous dévoile les secrets de son mode de vie, passé et présent.«Je me réveille chaque jour en essayant d’accueillir la journée. Je commence par une heure de méditation, puis je m’occupe de mon ménage. Je traite mon courrier, je déjeune en musique, je me fais à manger, avec moi tout prend deux fois plus de temps! Je m’adonne à la lecture, je joue parfois du piano et je reçois des visites et des téléphones. J’entretiens les relations que j’ai. Je sais écrire des sms, mais c’est ma seule performance technique! J’ai une vie quotidienne très réglée, mais il y a toujours des petites choses inattendues qui me réjouissent. Il m’arrive d’aller au marché avec mon aide de ménage, au cinéma, au concert ou au théâtre, avec qui veut bien m’accompagner. J’ai même ma place pour la fête des vignerons! Toutes les deux semaines, je vais manger dans une cafétéria de quartier avec d’autres personnes âgées. Au début, les conversations étaient rares, mais j’avais la conviction que je devais y retourner. Au fil du temps, j’ai établi des liens. Je vais aussi à la paroisse. Seule, je me déplace uniquement en taxi et j’en profite pour échanger quelques mots avec le chauffeur, s’il en a envie.
J’ai eu plusieurs accidents durant ma vie, je suis toute raccommodée. Une fois, je suis allée à l’hôpital pour une blessure à la tête. Les médecins voulaient me faire faire un scanner, mais je n’ai pas voulu. Si je n’ai pas pris la bonne décision et que je meurs, à mon âge, ce n’est pas une catastrophe! Je ne suis jamais malade. Je prends très peu de médicaments, à part pour ma pression qui est trop haute, ainsi que du calcium et des compléments alimentaires pour me renforcer en hiver et au printemps. Depuis plusieurs années, j’ai des douleurs ici et là. Mon médecin m’a conseillé de voir un neurologue, mais j’ai refusé. Il y a des bons et des mauvais jours. Le corps a sa propre vie, il faut savoir l’écouter. J’ai remarqué que je me sentais mieux lorsque je sortais de chez moi. Dès que je descends les escaliers, tout va bien. Je les appelle mes escaliers thérapeutiques. Je mange très simplement, jamais de conserves ni de plats préparés, et je ne fais aucun excès. Je ne bois jamais d’alcool, ayant grandi dans une famille où on ne buvait pas. J’ai essayé la cigarette à 20 ans, mais j’ai très vite arrêté.
Avec mon père, nous faisions beaucoup de marche. Je l’ai initié au ski de fond lorsqu’il avait 80 ans. J’en ai fait moi-même jusqu’à 95 ans, après j’avais peur des descentes. Aujourd’hui, je saisis toutes les occasions pour marcher. Je ne détiens pas le secret de ma longévité, car vivre longtemps n’a jamais été le but de ma vie. Je vis un jour après l’autre en donnant une valeur et du sens à ce jour. Voire le verre à moitié plein, c’est aussi une décision que j’ai prise. Le soir, avant de m’endormir, je dis merci pour les belles choses de la journée.»
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Paru dans Le Matin Dimanche le 07/04/2019.