Une piste génétique pour traiter des maladies de l’œil
De quoi on parle?
Les faits
Un Britannique de 63 ans, atteint d’une maladie héréditaire qui lui avait fait presque totalement perdre la vue, a regagné une partie de son acuité visuelle, et il est maintenant capable d’aller faire ses courses. Enrôlé dans une étude clinique, il a été traité par thérapie génique
La suite
Cet essai préliminaire n’a porté que sur six personnes. Il en faudra d’autres pour confirmer l’intérêt de cette nouvelle technique en médecine de l’œil.
«J’ai vécu les vingt-cinq dernières années de ma vie en étant persuadé que j’allais devenir aveugle. Maintenant, après l’opération, il est possible que je puisse conserver ma vue et j’espère que je pourrai voir grandir mes petits-enfants.» Wayne Thompson est optimiste. Cet homme est atteint d’une maladie dégénérative de la rétine, la choroïdérémie, qui le condamnait à la cécité. Après avoir participé à un essai clinique de thérapie génique, mené par des chercheurs britanniques de l’Université d’Oxford, il a retrouvé une partie de son acuité visuelle. S’il est encore trop tôt pour crier victoire, le recours aux gènes-médicaments s’avère une bonne piste pour traiter certains troubles de la vision.
Maladie rare (elle affecte environ une personne sur 50 000), la choroïdérémie provoque une perte progressive de la vue, car elle détruit peu à peu certains composants de la rétine. Notamment les photorécepteurs, ces cellules en forme de cônes et bâtonnets qui captent les signaux lumineux et les transforment en influx nerveux, lesquels sont ensuite traités par le cerveau. Toutefois, son «évolution est lente», comme le précise Yvan Arsenijevic, chef de l’unité de thérapie génique et de biologie des cellules souches de l’Université de Lausanne, à l’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin. D’où l’idée d’intervenir pour sauver les photorécepteurs qui ne sont pas encore détruits. Comment? Ce trouble héréditaire étant dû à la défaillance d’un seul gène, il était tentant d’essayer de «réparer» celui-ci à l’aide de la thérapie génique.
Pallier le gène défaillant
Les chercheurs et médecins britanniques ont donc tenté l’aventure. Dans les photorécepteurs de la rétine de leurs volontaires, ils ont injecté un virus inoffensif portant une copie «saine» du gène en question, avec l’espoir qu’elle viendrait pallier le gène défaillant. Six hommes, âgés de 35 à 63 ans, ont participé à cet essai clinique préliminaire, qui était surtout destiné à tester l’innocuité de la méthode. Six mois plus tard, tous les patients avaient augmenté leur sensibilité à la lumière et deux d’entre eux, dont Wayne Thompson, amélioré leur acuité visuelle – ils pouvaient lire trois lignes de plus sur les panneaux de lettres avec lesquels les opticiens contrôlent la vue.
Devant ces résultats, Yvan Arsenijevic reste «très prudent». Ces effets «pourraient résulter de l’opération elle-même. En outre, il faudra voir si ces bénéfices persistent à long terme». Malgré tout, le chercheur lausannois juge ces essais «encourageants», notamment parce «qu’ils n’ont pas eu d’effets négatifs. Contrairement à ce que l’on pouvait craindre, l’intervention n’a en effet pas provoqué de dégâts sur des rétines qui étaient déjà en souffrance.»
Des cellules de rechange sont implantées sur des rétines endommagées
Quelle que soit son efficacité future, la thérapie génique ne pourra donner de bons résultats dans les troubles qui affectent les yeux «que si l’on intervient assez tôt dans la progression de la maladie», souligne Yvan Arsenijevic, spécialiste de la question à l’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin, à Lausanne.
Quand la pathologie atteint déjà un stade avancé, une solution serait d’avoir recours à la thérapie cellulaire. Elle consiste à utiliser des cellules souches (ces «cellules à tout faire» présentes dans l’embryon et qui ont la capacité de se transformer en pratiquement n’importe quelle cellule de l’organisme) pour fabriquer des «pièces de rechange». Par exemple des photorécepteurs qui, transplantés au fond de l’œil, pourraient se substituer aux cellules de la rétine détruites.
Diverses études sur des souris montrent que «cela commence à bien marcher», constate le chercheur lausannois. Surtout depuis qu’une équipe japonaise a réussi à fabriquer in vitro «des amas de cellules en trois dimensions», sortes de portions de rétines qui sont ensuite greffées.
Un premier essai de thérapie cellulaire sur l’être humain a déjà été mené à Los Angeles, en 2011, sur deux patients atteints de dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA). Il consistait à implanter des cellules permettant aux photorécepteurs de fonctionner, «plus faciles» à générer que les photorécepteurs eux-mêmes. Les chercheurs ont constaté que la greffe avait pris au bon endroit et que la zone abîmée avait régressé.
Depuis, quelque vingt personnes ont testé ce genre d’intervention. Dans leur majorité, elles ont estimé que leurs capacités visuelles avaient augmenté. Les prochains essais cliniques devront confirmer que ce n’est pas une simple réaction subjective.
Mais déjà, des chercheurs japonais envisagent de franchir une nouvelle étape et d’utiliser des cellules souches qui seront prélevées non plus sur des embryons, mais sur la peau des patients. Une fois reprogrammées, elles devraient se transformer en cellules rétiniennes qui pourraient alors être greffées. Rien ne dit encore que cela fonctionnera, mais c’est un autre signe de l’effervescence qui règne dans la recherche en ophtalmologie.
Des enfants retournent à l’école à vélo
C’est déjà un bon point pour la thérapie génique, qui fait aussi l’objet de tests concernant diverses autres maladies héréditaires de la vision. Une trentaine d’adultes et d’enfants souffrant d’une pathologie rare mais grave – l’amaurose congénitale de Leber – ont déjà été enrôlés dans des essais en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis et en France. Globalement, on note «une amélioration de la fonction visuelle», dit Yvan Arsenijevic qui explique qu’ainsi deux petits Américains «ont pu retourner à l’école, à vélo». Autre signe, selon lui, que cette méthode est prometteuse: «Un chien qui a été traité il y a plus de sept ans a toujours une bonne vision.»
L’équipe de l’hôpital Jules-Gonin, soutenue par le Généthon et le Téléthon français, tente d’ailleurs actuellement «d’améliorer le vecteur», c’est-à-dire le virus utilisé comme transporteur du gène, et elle compte lancer à son tour des essais cliniques.
D’autres tentatives de thérapie génique visent à traiter la maladie de Stargardt (une dégénérescence de la macula, au centre de la rétine) et celle du syndrome d’Usher (qui affecte les cils situés dans l’oreille interne et provoque une dégénérescence de la rétine, menant à la surdité et à la cécité). Les essais cliniques ont commencé, mais aucun résultat n’a encore filtré.
Avec la thérapie génique, «on dispose maintenant d’outils très efficaces pour traiter diverses maladies, y compris celles de l’œil», constate Yvan Arsenijevic. Certes, «on n’en est qu’au tout début de l’histoire». Il faudra en particulier «prendre le temps de mieux comprendre les divers troubles et de trouver le bon vecteur pour la bonne pathologie». Mais le mouvement est lancé et, dans ce domaine, la recherche explose. Avec en ligne de mire la lutte contre des maladies beaucoup plus fréquentes, comme la dégénérescence maculaire due à l’âge (DMLA) qui affecte un très grand nombre de personnes âgées.