Tests génétiques: risques et promesses
Cracher dans un petit tube, le mettre dans une enveloppe et poster le tout. Des millions de personnes dans le monde ont déjà réalisé ces gestes. Le marché des tests génétiques direct to consumer (DTC) est en pleine expansion: le nombre de personnes y ayant eu recours a doublé en 2017 par rapport à l’année précédente. Et pour l’année 2018, les différentes sociétés qui commercialisent ces kits d’analyse génétique devraient se partager 12 millions de clients, dont la plupart sauteraient le pas pour… en apprendre plus sur leurs ancêtres! La généalogie arriverait en effet à la deuxième place des hobbies les plus populaires aux Etats-Unis. Mais la démarche, aussi simple qu’elle puisse paraître, n’est en rien anodine.
Plus de questions que de réponses
23andMe est sans doute une des sociétés les plus connues sur le marché des tests DTC. En 2013, elle a été contrainte par l’autorité sanitaire américaine, la Food and Drug Administration (FDA), à suspendre la commercialisation de ses kits, vendus à une centaine de dollars et qui promettaient de révéler les risques de développer diverses maladies. Après quatre années de travail pour satisfaire les critères instaurés par la FDA, 23andMe a obtenu en 2017 le feu vert pour un nouveau test. Celui-ci propose entre autres des informations sur le risque de souffrir de la maladie de Parkinson et d’Alzheimer ou encore d’un cancer du sein. Des maladies fréquentes et qui génèrent beaucoup d’angoisse dans la population.
Mais quels types de résultats reçoit réellement le client? Des exemples sont consultables sur le site (américain) de la marque. «Jamie, vous n’avez pas le variant e4 que nous avons testé», peut-on lire pour la maladie d’Alzheimer. De quoi laisser plus d’un client perplexe.
«Il y a souvent des confusions quand il est question d’analyses génétiques, souligne le Pr Jacques Fellay, chef du service de médecine de précision au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Le consommateur peut penser que l’entier de son génome va être séquencé. Or un séquençage complet est plus long, plus cher et trop complexe. Ce sont donc des mutations connues qui sont recherchées à des endroits bien précis.»
Sur les 3 milliards de bases que compte l’ADN humain, plusieurs millions de variants génétiques sont déjà connus. Certains sont très fréquents, d’autres beaucoup plus rares, et surtout tous ne sont pas associés de manière directe à une maladie en particulier. Actuellement, il n’y a pas de gène unique connu pour être responsable de la maladie d’Alzheimer, mais le variant testé par 23andMe est effectivement plus fréquemment présent chez les patients atteints. Qu’en tirer donc? «C’est toute la complexité de l’analyse génétique. Les données actuelles ont en fait un sens à l’échelle de la population. Mais on est encore très limité pour en tirer des informations à l’échelle d’un individu», rappelle Jacques Fellay.
S’il est facile aujourd’hui de faire réaliser un test génétique à l’étranger (en Suisse seule l’analyse génétique médicale est autorisée), l’interprétation des résultats reste donc souvent problématique. «Nous voyons arriver des patients avec des résultats de tests réalisés à l’extérieur, qu’ils ne comprennent pas, et souvent ils ont imaginé le pire, rapporte Thomas von Känel, chef du Service de génétique médicale à l’Hôpital du Valais. Les connaissances des citoyens en génétique ne sont pas très étendues. Nous ne sommes pas que le produit de nos gènes, or beaucoup de personnes pensent que ceux-ci ont un effet déterminant. Saisir toutes les nuances sur les associations, les probabilités, les risques n’est pas facile.» Un point de vue partagé par Jacques Fellay qui renchérit: «La génétique va prendre une part de plus en plus importante dans la médecine de demain, il faudra donc donner les clés nécessaires aux citoyens. Pourquoi ne pas enseigner des notions de statistique déjà en primaire?»
Le produit, c’est vous
Aussi, le bas coût des tests DTC séduit les clients potentiels. Mais comment est-il possible de proposer des tests génétiques pour 200$? «Ces sociétés vendent un service en dessous du coût du revient, mais le consommateur doit comprendre qu’en fait le produit, c’est lui!», insiste Mathias Humbert, informaticien spécialiste des données à l’EPFL. Les contrats signés entre le client et la société stipulent en effet souvent la cession de certaines données personnelles. «Beaucoup de clients consentent car ce sont les collaborations avec la recherche académique qui sont mises en avant, mais c’est l’arbre qui cache la forêt!», prévient le spécialiste. Si plusieurs études ont en effet été menées grâce à des données de 23andMe, la société a aussi vendu plusieurs fois des lots de données à des laboratoires pharmaceutiques. En août dernier, GlaxoSmithKline a déboursé 300 millions de dollars pour acquérir les données de 5 millions de clients. Outre ces transactions, les données peuvent aussi fuiter de manière malveillante. En juin dernier, la société MyHeritage a annoncé que 92 de ses 96 millions de comptes utilisateurs avaient été piratés. Et la société aurait mis plus de six mois à se rendre compte de la fraude. Enfin, faire séquencer son ADN revient aussi à partager un peu du patrimoine génétique de ses proches, et donc à laisser une «trace» familiale. Aux Etats-Unis, une affaire criminelle vieille de 40 ans a ainsi été élucidée cette année: le tueur a été confondu grâce à l’ADN d’un membre de sa famille, présent dans une base de données privée.
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Publié dans le supplément «Votre santé» de La Côte Hebdo en novembre 2018.