La génomique personnalisera les soins donnés aux patients
De quoi on parle?
Le séquençage complet, en 2001, du génome humain a fait naître beaucoup d’espoirs. Si les retombées en matière de santé n’ont pas été aussi rapides qu’on le pensait alors, la génomique a ouvert la voie à une nouvelle ère, celle de la médecine personnalisée. Ce mois-ci, deux événements, le Colloque Wright pour la science et le Salon Planète Santé Live, mettent ce thème à l’honneur en Suisse romande. L’occasion pour les experts de souligner que la médecine de demain commence à s’écrire aujourd’hui.
Treize années et trois milliards de dollars. Voilà le temps et le budget qu’il aura fallu pour mener à bien le Human Genome Project qui a permis de décrypter l’entier du génome humain. Que s’est-il passé depuis? Beaucoup d’avancées dans différents domaines, de la recherche fondamentale à la médecine clinique. Mais, somme toute, moins que ce que scientifiques, politiques et simples citoyens en attendaient au début des années 2000. Aujourd’hui, pourtant, le séquençage de l’ADN fait toujours rêver, et c’est maintenant une médecine de précision, appelée aussi médecine personnalisée, que beaucoup espèrent voir se concrétiser dans les prochaines années.
Améliorer les diagnostics, adapter les traitements mais aussi prévenir, voire prédire les maladies: autant d’attentes qui promettent d’être comblées, à grand renfort d’analyses biologiques et de collecte de données grâce au Big Data. Dans le même temps, les questions se multiplient sur le devenir de ces données personnelles, générées par milliards: qu’en sera-t-il de leur confidentialité? Par ailleurs, comment la relation patient-praticien sera-t-elle modifiée, alors que l’approche basée sur l’analyse des données prendra de plus en plus de place? Enfin, cette médecine personnalisée coûtant cher, le défi sera de garantir l’accès aux soins pour tous.
Un domaine en pleine expansion
A travers le monde, les états misent sur la médecine personnalisée. En 2015, le président américain Barack Obama a lancé la Precision Medecine Initiative. Financé à hauteur de 200 millions de dollars en 2016, le programme ambitionne de rassembler, à terme, le génome et les données de santé d’au moins un million d’Américains. L’Europe n’a pas tardé à emboîter le pas aux Etats-Unis, avec l’European Alliance for Personalized Medicine. En 2016, la Suisse s’est pour sa part engagée dans le projet Swiss Personalized Health Network.
Des campagnes de prévention ciblées
Collecter et analyser des données individuelles en grande quantité présente des avantages en termes de diagnostic et de traitement. Mais cette approche comporte également des bénéfices en matière de santé publique.
Par exemple: alors que les campagnes de prévention ont souvent du mal à atteindre leur cible, des chercheurs proposent d’adapter les messages localement. «Nous avons récemment cartographié la relation spatiale de la corpulence entre habitants, à Lausanne et Genève, illustre Idris Guessous, médecin et épidémiologiste aux HUG et à la PMU de Lausanne. Cela pourrait conduire à une santé publique de précision en ciblant mieux les prochaines actions de prévention en matière d’obésité et de diabète, par exemple.»
Soutenir la recherche, développer de nouveaux outils et nourrir les biobanques, tels sont les objectifs de tous ces programmes qui se fondent sur les «omiques». Un terme générique qui regroupe tous les types d’analyses pouvant aujourd’hui être menées sur les caractéristiques biologiques d’un individu. Michael Snyder, chercheur à l’Université de Stanford, les a détaillées lors de sa conférence le 8 novembre dernier dans le cadre du Colloque Wright. Ces «omiques» sont la génomique, bien sûr, mais aussi la transcriptomique, la protéomique, la métabolomique. Autrement dit, les disciplines qui scrutent les détails (ADN, ARN, protéines, métabolisme) du fonctionnement de nos organismes.
Michael Snyder est lui-même un fervent adepte de cette médecine. Elle lui aurait permis de découvrir des facteurs de risques imprévus. «Le séquençage de mon génome a mis en évidence un risque augmenté de diabète, et les analyses de mon métabolisme ont confirmé quelques semaines plus tard que j’avais effectivement un début de diabète de type 2», a-t-il expliqué. Idem pour une prédisposition à un type de cancer de la peau. «J’ai découvert que certains de mes frères et sœurs avaient déjà eu des lésions, mais n’avaient rien dit, explique encore Michael Snyder. L’analyse de votre biologie permet d’accéder à vos antécédents familiaux même sans interroger la famille elle-même!»
Contextualiser et intégrer
L’exemple, extrême, de ce chercheur est-il un avant-goût de ce nous devrons subir demain, pour bénéficier d’une médecine sur mesure? Peut-être. Mais même sans recourir aux «omiques», la médecine peut améliorer sa personnalisation. «La médecine actuelle est pleine d’imprécisions, relève Idris Guessous, médecin et épidémiologiste aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) et à la Policlinique médicale universitaire (PMU) de Lausanne. L’admettre et essayer de faire une médecine "moins imprécise", c’est déjà un pas important.» Adopter la décision partagée lors d’un dépistage, renoncer à certains soins inutiles, revoir régulièrement si un traitement prescrit de longue date est toujours nécessaire: autant de petits gestes à la portée de tout praticien. «Il ne faut pas tout attendre de la technologie, insiste Idris Guessous. La médecine de précision est avant tout un changement de philosophie, qui doit s’appliquer tous les jours, et dès maintenant.»
Personnaliser la médecine c’est s’appuyer sur la biologie mais aussi voir plus loin. Améliorer la prise en charge d’un patient nécessite de le prendre en compte dans son ensemble, avec les paramètres sociaux et environnementaux notamment. «Ce n’est pas parce qu’on a un diagnostic plus fin qu’on traite forcément plus finement le patient, prévient Nicolas Senn, médecin et directeur de l’Institut universitaire de médecine de famille à la PMU. Quel que soit notre degré de connaissances, nous serons toujours confrontés, par exemple, au problème de non-observance des traitements, ou à des patients qui ne veulent pas savoir!» Et c’est peut-être bien là le plus grand défi que devra relever la médecine de précision: garantir l’autonomie des patients et le respect du choix de chacun d’utiliser, ou non, la masse de données que les «omiques» nous offrent.
La révolution oncologique
En une dizaine d’années, l’oncologie clinique a vécu une véritable révolution. C’est également l’un des domaines où la médecine personnalisée a le plus progressé. La génomique a été pour beaucoup dans ces avancées.
La recherche de mutations des gènes BRCA1 et BRCA2, par exemple, permet aujourd’hui un dépistage génétique du cancer du sein chez les femmes à risque. Par ailleurs, pour différents types de cancers, des thérapies ciblées en fonction du génome de la tumeur peuvent désormais être proposées.
Pour renforcer cette approche, les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) et l’Institut suisse de bioinformatique (SIB) viennent d’annoncer le déploiement d’une nouvelle plateforme d’analyse génomique, Oncobench. Les nombreuses données seront collectées aux HUG. Pour autant que les patients y consentent et dans le respect de leur anonymat, elles seront partagées avec d’autres centres. «Il existe des centaines de types de cancers différents, avec des mutations très spécifiques. Il est très rare de trouver deux cancers identiques, explique Thomas McKee, médecin adjoint au service de pathologie clinique des HUG. Etablir des collaborations et croiser nos données est donc essentiel pour faire avancer la recherche.»