La génétique aide à tracer l’arbre généalogique
De quoi on parle?
Les faits
Le prince William a des origines indiennes, titrait il y a deux semaines le quotidien britannique The Times. Un scoop fourni clés en mains par une entreprise qui propose aux particuliers des tests génétiques permettant de déterminer leur généalogie.
La date
Dans les années 1810, Theodore Forbes, ancêtre écossais de Lady Diana, vit en Inde à Surat. Il y a deux enfants de sa gouvernante Eliza Kewark, rencontrée sur place. Cette femme appartient donc à l’arbre généalogique du prince William. On a longtemps dit qu’elle était d’origine arménienne. The Times prétend, lui, qu’elle était Indienne.
La génétique contribue, de plus en plus précisément, à éclairer notre passé. Pour ce faire, les spécialistes se fondent sur la manière dont se transmet le patrimoine génétique de générations en générations.
Au cœur du processus se trouve l’ADN, qui compose les 23 paires de chromosomes que contiennent les cellules. Dans chaque paire, un chromosome provient de la mère et l’autre du père. Même principe à la génération précédente: les parents ont reçu des chromosomes des grands-parents. Chacun a donc des portions du patrimoine génétique de ses ancêtres (voir infographie).
Pour tester le patrimoine génétique de William, BritainsDNA, qui a réalisé l’analyse, a toutefois utilisé un subterfuge permis par une exception au déroulement habituel de l’hérédité. Les mitochondries, sortes de centrales énergétiques à l’intérieur des cellules, contiennent aussi de l’ADN. Mais celui-ci est exclusivement transmis par la mère. Lors de la fécondation, le spermatozoïde n’apporte que ses chromosomes. L’ADN non-mitochondrial est donc une entité spéciale à l’intérieur de la cellule: il est le seul élément composé à la fois des informations du père et de celles de la mère.
Réplique imparfaite
William descend seulement à travers des femmes d’Eliza Kewark, la maîtresse de l’ancêtre écossais de Lady Di. Il doit donc posséder le même ADN mitochondrial qu’elle. De même que des cousins issus eux aussi d’une lignée maternelle continue jusqu’à Eliza Kewark. Or qu’a trouvé BritainsDNA lorsqu’elle a analysé leur ADN mitochondrial? Que celui-ci porte un marqueur précis (baptisé R30B), observé chez 14 personnes, presque toutes indiennes. Ce serait la preuve que l’aïeule de William l’était aussi. «Une extrapolation assez grossière étant donné le petit nombre de personnes de référence», critique Ariane Giacobino, généticienne aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).
Mais la société britannique justifie ses affirmations par un autre test, bien plus exhaustif. En plus d’analyser l’ADN mitochondrial, elle a décodé le génome complet des 46 chromosomes, à la recherche de «mutations». La réplique de l’ADN des parents n’est en effet pas parfaite. Le code génétique peut se modifier légèrement lors de sa transmission d’une génération à l’autre. On parle alors de mutation, un phénomène courant et souvent sans conséquences, à l’origine de l’évolution. En effet, les mutations génétiques portent le plus souvent sur des régions de l’ADN qui ne sont pas exprimées. Et comme elles ne sont pas néfastes pour la survie ou la reproduction de l’individu, elles peuvent se transmettre à sa descendance, assurant une plus grande diversité à l’espèce humaine que ne le permettrait la simple transmission des chromosomes.
On appelle ces mutations «variants», puisqu’elles représentent une variation dans le code d’un gène. Elles sont différentes selon les populations. «Tel variant est, par exemple, quasi absent en Europe mais fréquent dans les pays asiatiques, tel autre souvent présent chez les habitants de la Finlande mais pas au centre de l’Europe», détaille Vincent Mooser, chef du département des laboratoires au CHUV. Autrement dit, certaines mutations tendent à se répandre au sein d’un groupe de population de même origine. En regardant les variations que comporte le code génétique d’une personne donnée, «on peut donc approximativement déterminer son origine génétique», poursuit le médecin.
Mutations ethniques
Et c’est ce qu’a tenté le laboratoire britannique qui a voulu décrire l’origine de William. Elle a utilisé des bases de données construites par les généticiens dans lesquelles sont répertoriées des mutations spécifiques à certains groupes ethniques. Leur verdict? L’ADN de Wiliam est «entre 0,3 à 0,8%d’origine d’Asie du Sud».
Pour le Pr Alicia Sanchez-Mazas, du département de génétique et évolution de l’Université de Genève, le résultat est toutefois peu concluant. «On peut arriver à ce genre de proportion en prenant n’importe quel individu européen au hasard, les populations européennes ayant des origines communes récentes avec les populations du Proche-Orient et d’Inde.»
On peut donc dire que les tests génétiques peuvent servir à une certaine compréhension de la généalogie. Mais il faut accepter qu’ils ne donnent pas de réponses absolues, seulement des probabilités ou de forts soupçons.«Il n’y a pas un marqueur génétique indien et un marqueur européen, conclut Alicia Sanchez-Mazas. Il y a des proportions différentes selon les régions du monde de tout un ensemble de marqueurs. Et puis, on s’imagine trop souvent que l’histoire est statique et que les individus n’ont pas bougé. Il y a toujours eu des migrations. Avec un test génétique, on a une forte probabilité de se tromper sur le lieu d’origine de quelqu’un.»
L’environnement influence le génome
Les mutations caractéristiques des populations sont-elles la conséquence de leur environnement? En partie. Un groupe installé près d’une mine d’uranium connaîtra ainsi plus de mutations qu’un autre du fait de la radioactivité. Mais c’est surtout une fois les mutations apparues, quelles que soient leurs causes, que l’environnement joue un rôle, explique Mathias Currat, biologiste au département de génétique et évolution de l’Université de Genève. «Dans un milieu donné, leur effet peut même se révéler avantageux, ce qui va conduire à les diffuser rapidement dans la population. Par exemple, on trouve en Europe, en Afrique du Nord et dans l’ouest de l’Asie de nombreux adultes qui peuvent digérer le lactose contenu dans le lait. Une «anomalie» au niveau mondial que nous lions à l’apparition de l’élevage.»