Épigénétique, quand les gènes s’allument ou s’éteignent

Dernière mise à jour 22/06/16 | Article
epigenetique
Comme tout être vivant, l’homme est déterminé par son héritage biologique, mais pas seulement. Il est aussi marqué par les multiples expériences qu’il fait en lien avec son environnement, depuis les tout premiers moments de son développement et durant toute son existence. On commence à comprendre comment ces interactions sont capables de modifier l’expression de son bagage génétique, donc de ses gènes. Les données de cette science –assez jeune– qu’on appelle épigénétique, pourraient bien donner de nouvelles clés pour la compréhension des maladies et, dans un futur encore lointain, pour leur traitement.

LEXIQUE

Le gène

Le gène est un segment d'ADN qui conditionne la synthèse d'une ou de plusieurs protéines. C’est lui qui, de ce fait, est responsable de la manifestation et de la transmission des caractères héréditaires déterminés. Il se peut qu’un gène demeure silencieux, c’est-à-dire qu’il ne soit pas exprimé, selon des mécanismes de régulation épigénétiques.

L’épigénétique

L’épigénétique est l’ensemble des mécanismes de régulation des gènes de notre patrimoine génétique. Des mécanismes qui sont fortement influencés par notre environnement, au sens large du terme.

La méthylation

La méthylation est l’un des processus chimiques de l’épigénétique les plus connus, pouvant modifier l’expression des gènes. Ce type de modification consiste en la fixation de groupes chimiques particules («groupes méthyles») sur l’ADN. L’ADN va alors se compacter de telle sorte que les gènes vont être rendus inactifs. Car plus l’ADN est compact, moins les gènes peuvent s’exprimer.

Les cytosines

Seules les régions de l’ADN riches en cytosine (qui est une des quatre bases, ou lettres, du code génétique) peuvent subir des méthylations, qui sont des mécanismes de régulations épigénétiques.

La chromatine

La chromatine est la structure que prend l’ADN dans le noyau de la cellule. Elle est une association entre l’ADN et des protéines internes au noyau, appelées histones. Selon sa forme, plus ou moins ouverte ou fermée, elle permettra au gène de s’exprimer, ou non.

Les histones

Les histones sont des boules de protéines autour desquels l’ADN s’enroule.

Et si, en matière de santé, ce qu’on a vécu avait tout autant d’importance que le bagage génétique qu’on a reçu à la naissance? C’est l’une des pistes qu’ouvre l’épigénétique. Cette jeune discipline très en vogue, «sœur» de la génétique, étudie les effets de l’environnement –au sens large– sur l’expression des gènes. Autrement dit, pourquoi telle ou telle information portée par un gène est lue, tandis que telle autre reste silencieuse.

Pendant vingt ans, la génétique a connu un très grand intérêt, comme si cette science pouvait enfin tout expliquer: nos caractéristiques individuelles, l’origine des maladies non transmissibles (celles qui ne sont ni bactériennes, ni virales) et la vulnérabilité à certaines d’entre elles. Le séquençage complet du génome humain, dans les années 2000, n’a fait que démultiplier cette promesse.

Depuis plus de cinq ans, les regards ont dévié vers l’épigénétique. Toutes les branches de la médecine s’y intéressent. Il s’agit de comprendre comment nos gènes s’expriment et comment des facteurs extérieurs agissent sur eux. Ce qui revient à s’intéresser à des questions diverses. Pourquoi des jumeaux ayant le même génome sont néanmoins différents? Pourquoi ne développent-ils pas les mêmes maladies et n’ont-ils pas les mêmes vulnérabilités? Pourquoi des personnes ayant vécu dans des conditions similaires –mais avec un bagage génétique différent– développent-elles une même pathologie? Ces questions, comme de nombreuses autres, ouvrent tout un champ de recherches et d’explorations. La médecine est aux avant-postes, mais l’épigénétique concerne aussi bien l’ensemble des plantes et des animaux.

Les cellules, toutes les mêmes

Avant de nous intéresser à ces phénomènes, revenons à un stade plus fondamental, au cœur même de nos cellules, là où les mécanismes épigénétiques de base sont à l’œuvre, de façon tout à fait normale et physiologique. Toutes nos cellules ont en effet le même matériel génétique, et le même programme de vie. Elles naissent, utilisent de l’énergie, se développent, se dupliquent, etc. Mais malgré ces points communs, elles n’ont pas toutes le même destin: certaines deviendront des cellules du foie, d’autres du cerveau, d’autres encore des cellules de l’œil, pour ne citer que quelques exemples. Au cours du développement, les cellules dites «totipotentes» vont se spécifier et devenir ainsi «pluripotentes». Comment cela s’explique-t-il? «Cela est dû à un maquillage épigénétique normal et indispensable. Ces modifications superficielles sur les gènes des cellules vont déterminer leur devenir et attribuer ainsi à chacune d’elles sa fonction propre», explique la Dresse Ariane Giacobino, spécialiste en génétique médicale aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Ainsi, malgré des génotypes semblables, nos cellules auront un phénotype, soit des apparences, des caractères et des fonctions différents.

Au niveau cellulaire, l’épigénétique est d’abord la restriction des possibilités de nos cellules. «C’est comme si nous avions entre les mains une encyclopédie de la vie. Les phénomènes épigénétiques font que nos cellules vont lire telle ou telle page de l’encyclopédie et pas une autre», image le Pr Alexandre Reymond, directeur du Centre intégratif de génomique de l’Université de Lausanne.

L’ADN, une bobine

De manière concrète, l’épigénétique renvoie à des mécanismes purement mécaniques et chimiques en lien avec notre ADN. Pour rappel, l’ADN porte l’information génétique de l’individu et assure le contrôle de l’activité de la cellule. Il est constitué de deux brins enroulés en double hélice, formés chacun d'une succession de nucléotides, dans le noyau de la cellule. D’une longueur de deux mètres, les brins d’ADN se présentent de façon très ramassée, comme une pelote de laine, dans la cellule. Or, pour être lu ou retranscrit, il faut que le segment particulier de la chaîne d’ADN, porteur du message, se déroule. Le degré d’entortillement de ces brins –soit leur degré de compaction– rendra, ou non, possible la lisibilité du gène, soit l’expression de son caractère ou, autrement dit, sa capacité à être fonctionnel. Tout cela est très mécanique: plus l’ADN est compacté, moins on peut l’atteindre, donc moins les gènes peuvent être transcrits; et, donc, les caractéristiques qu’ils portent s’exprimer.

Les mécanismes de régulation des gènes, ceux-là même qui gouvernent le déroulement, la transcription, ou autrement dit la lecture des gènes, sont influencés par l’environnement et l’histoire personnelle (le vécu) de l’individu. Aussi, des perturbations chimiques environnementales (les toxiques, comme les pesticides, par exemple), des directives envoyées par notre cerveau ou par le système hormonal, des facteurs situationnels ou relationnels, vont influencer l’expression des gènes. Et cela en ne touchant que les couches d’informations superficielles des gènes, donc sans modifier le code génétique lui-même. Contrairement aux mutations génétiques, ces phénomènes sont donc facilement réversibles.

La méthylation

Parmi les différents types de modifications réversibles pouvant toucher la surface des gènes, la méthylation est la plus connue. Il s’agit de l’adjonction d’un groupe chimique, un «groupe méthyle», sur l’une des bases (le « C ») de l’ADN: la cytosine. Cette méthylation diminue l’expression des gènes affectés. Trop embobinés, ces gènes ne peuvent pas être transcrits. Ils demeurent silencieux.

L’impact de l’environnement

S’intéresser à ces phénomènes épigénétiques, c’est tenter de mieux comprendre l’origine des maladies et autres syndromes dans l’espoir, un jour, de mieux pouvoir les traiter et s’en prémunir. Beaucoup d’études ont été réalisées sur les plantes, les souris et les vrais jumeaux –parce que ces derniers partagent le même patrimoine génétique. Les chercheurs ont découvert que le stress au sens large (maladies, conditions de vie difficiles, stress divers, y compris psychiques), l’exposition à des toxiques, mais aussi la nutrition, sont susceptibles d’entraîner des modifications épigénétiques chez l’individu. On s’est aperçu par exemple que les enfants de femmes enceintes ayant vécu une période de famine durant la Seconde Guerre mondiale sont nés avec un faible poids et ont davantage souffert de maladies métaboliques plus tard (diabète de type 2, obésité).

Autre exemple: «des études ont montré que l’exposition à des pesticides pouvait entraîner des modifications épigénétiques en amont avec de graves troubles de la fertilité ou une augmentation du risque de développer certaines affections comme des malformations du système uro-génital», explique la Dresse Giacobino. Parmi les toxiques, on sait que le tabagisme entraîne des modifications épigénétiques (méthylations), même si on ne sait pas encore les effets concrets: «Une différence dans l’expression de certains gènes par exemple chez les nouveau-nés dont la mère a fumé durant la grossesse, en comparaison de ceux où il y avait une absence de tabagisme maternel, a été démontrée», relate la Dresse Giacobino.

Sur le plan psychologique, les individus exposés à des situations de grand stress social, les migrants par exemple, présentent une plus grande vulnérabilité psychiatrique. C’est le cas aussi des vétérans de conflits armés, marqués jusque dans leurs cellules par le stress des conflits (lire encadré), ou des personnes ayant subi des maltraitances durant leur enfance…

Pistes épigénétiques autour du cancer

Des processus épigénétiques seraient également impliqués dans le développement de pathologies multifactorielles (dont les maladies neurodégénératives telles que la maladie de Parkinson, d’Alzheimer, etc.), mais aussi des cancers. Dans leur cas, des perturbations épigénétiques semblent perturber les mécanismes de contrôle de la prolifération cellulaire. «Néanmoins, dans certains cas, il est difficile de faire la différence entre le processus épigénétique comme cause ou comme conséquence des modifications tissulaires au sein de la tumeur», nuance Ariane Giacobino. Une fois que ces mécanismes seront mieux compris, on pourra imaginer des thérapies qui consistent à «renverser les modifications épigénétiques dans les gènes en cause, afin de stopper la multiplication de cellules cancéreuses. Une sorte de déprogrammation des gènes. Aujourd’hui, des pistes sont explorées, mais on n’arrive pas encore à cibler spécifiquement les régions du génome sur lesquelles il faut agir», explique la spécialiste.

L’évolution des mentalités

Ces nouvelles connaissances pourraient faire évoluer notre vision du futur individuel. D’une société remplie de déterminisme «où tout est inscrit dans les gènes», on passe à une société où la responsabilité individuelle est forte. «L’environnement est un domaine sur lequel l’individu peut agir. Nous avons une plus grande marge de manœuvre, et dans le bon sens», se réjouit Ariane Giacobino. Le danger toutefois réside dans les discriminations potentielles qui pourraient peser sur l’individu en fonction de son mode de vie et dans les prédictions trop nombreuses sur sa santé. De plus, l’épigénétique risque de ne pas tout expliquer: «On ne sait pas toujours dans quel sens vont les choses. Pour prendre l’exemple du tabagisme, à l’origine de modifications épigénétiques: est-ce la société, la publicité, etc. qui déclenche le tabagisme ou est-ce une vulnérabilité individuelle propre, inscrite dans nos gènes?, s’interroge le Pr Reymond. De même, un individu ayant des gènes de l’obésité restera mince s’il mange de manière équilibrée et qu’il bouge suffisamment…». En résumé, le rôle des facteurs génétiques par rapport à des facteurs culturels, psychologiques, d’éducation ou d’environnement, reste toujours très difficile à évaluer.

La clinique, une musique d’avenir

Aussi passionnante soit-elle, l’épigénétique est une discipline médicale qui est, aujourd’hui encore, à l’état de recherche. «Cela signifie qu’elle n’est pas encore entrée dans la génétique clinique, soit ni dans les discussions avec les patients, ni dans leur prise en charge», commente la Dresse Giacobino. En attendant, elle pose des questions existentielles tant sur l’origine des maladies, aussi bien somatiques que psychologiques, que sur la possibilité de chacun de nous à s’autodéterminer.

La possible transmission des marques épigénétiques

Les événements d’une intensité exceptionnelle, comme les attentats, les massacres de guerre, les catastrophes naturelles, mais aussi les viols, les braquages ou les accidents de voiture, sont susceptibles de créer un traumatisme profond chez les victimes et les témoins. Dans 3 à 4% des cas, la peur de mourir ou d’être sérieusement blessé mène à un état de stress post-traumatique (flashbacks, nervosité, anxiété, troubles du sommeil, etc.). Certains chercheurs postulent que ces traumatismes pourraient s’inscrire profondément dans nos cellules et entraîner des modifications épigénétiques. Pour le comprendre, il faut savoir que toute exposition à un stress, physique ou psychologique, entraîne une série de réponses immédiates dans notre organisme. Or nos gènes y participent directement par la production de protéines et de l’hormone cortisol, par exemple. «Dans le cas d’un stress important, explique Ariane Giacobino, généticienne aux hôpitaux universitaires de Genève, les gènes impliqués dans la réponse au stress subissent des modifications chimiques que l’on appelle "méthylations génétiques"». Si ces modifications touchant uniquement la lecture des gènes (et non le code génétique) sont en principe réversibles, elles pourraient devenir permanentes dans certains cas. C’est ce que tendent à démontrer des études menées sur des vétérans américains chez qui les symptômes persistent.

Plus étonnant encore, certains postulent que ces méthylations génétiques pourraient se transmettre aux générations suivantes. En suivant la descendance des victimes de traumatismes, on remarque qu’elle présente des symptômes de stress post-traumatique semblables à ceux de ses parents, alors même qu’elle n’a rien vécu de tel. Ces enfants sont plus déprimés, plus anxieux et risquent davantage de développer un trouble psychiatrique. Des traces de ces méthylations pourraient même persister jusqu’à trois, voire quatre générations, chez les souris du moins. Mais ces hypothèses restent très controversées, notamment parce qu’à chaque nouvelle génération, les gènes sont «nettoyés». Cela signifie qu’ils passent par une déprogrammation qui efface les méthylations, qui sont par nature réversibles. Les réponses au stress sont faites pour être effacées. Aussi, à part chez les plantes, il n’y a pour l’instant aucune évidence convaincante quant à la transmission héréditaire des caractères acquis.

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