Chambre fermée: une mesure de contrainte vraiment utile?

Dernière mise à jour 10/12/20 | Article
PMS_chambre_fermee
Plongée au cœur d’un dispositif particulièrement réglementé, avec le Dr Alexandre Wullschleger, médecin adjoint au Service de psychiatrie adulte du Département de psychiatrie des Hôpitaux universitaires de Genève.

À retenir

  • La mise en place d’une mesure de contrainte peut être envisagée en l’absence d’alternative thérapeutique immédiate.
  • Le patient ne doit pas présenter de risque suicidaire ou d’automutilation.
  • La prescription médicale pour un placement en chambre fermée est réévaluée toutes les 24 heures.
  • Le patient et ses proches doivent être informés du droit de recours.

La «contrainte» est un terme que l’on associe difficilement à l’idée de prise en charge thérapeutique. Sans preuve réelle d’efficacité chez un patient et souvent traumatisantes, certaines mesures (limitation de mouvements ou de liberté, médication forcée…) sont pourtant parfois le seul moyen d’éviter un danger pour le patient, ses proches ou le personnel soignant. Parmi ces mesures, le programme de soins en chambre fermée, qui peut être instauré en cas d’échec d’autres alternatives. Une mesure qui interroge.

L’idée même peut faire froid dans le dos. Pourtant, le recours à une chambre fermée est une option légalement possible chez certains patients agités. Selon les données les plus récentes, des mesures limitatives de liberté sont utilisées dans environ 8% des séjours en psychiatrie aiguë en Suisse, avec d’importantes disparités entre les hôpitaux. Des chiffres qui varient en effet selon les pays, les régions et les institutions, car dépendant de différents facteurs: le profil des patients, l’organisation et la culture des soins, l’architecture des unités ou encore la formation du personnel.

Protéger le patient et les tiers

Une mesure de contrainte n’est pas proposée à la légère et sa mise en place est soumise à plusieurs conditions. «La principale indication est la prévention d’un danger aigu et imminent, qui peut mettre en péril l’intégrité du patient ou des tiers (entourage, soignants, etc.)», précise le Dr Alexandre Wullschleger, médecin adjoint au Service de psychiatrie adulte du Département de psychiatrie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Dès lors que ce risque est présent, le recours à l’isolation en chambre fermée peut être proposé. Parmi les différentes mesures de limitation de liberté, celle-ci est la plus utilisée en Suisse. Concrètement, il s’agit d’une pièce sécurisée, comprenant souvent un sas de portes vitrées, de laquelle tout objet présentant un risque pour le patient a été retiré, à l’exception d’un matelas. À Genève, chaque unité de l’hôpital psychiatrique possède une chambre fermée de ce type. Une personne en situation de crise peut y être accompagnée pour une durée toujours limitée dans le temps et proportionnelle au risque encouru.

Sur prescription médicale

Quels droits pour le patient?

Si l’utilisation des mesures de contrainte est si encadrée, c’est que son application est juridiquement restreinte. En effet, la loi sur la santé de 2006 interdit «toute mesure de contrainte à l’égard des patients». Mais à titre exceptionnel, «si d’autres mesures moins restrictives de la liberté personnelle ont échoué ou n’existent pas ou si le comportement du patient présente un grave danger menaçant sa vie ou son intégrité corporelle ou celles d’un tiers», ces mesures peuvent être imposées, sur décision médicale et dans le respect du cadre légal. Un recours juridique contre cette décision est possible – par le patient lui-même ou par ses proches – auprès du Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant. Cette institution, après expertise indépendante, peut approuver ou contester les décisions médicales prises.

Cette mesure est instaurée sur prescription médicale, après réflexion éthique et concertation interdisciplinaire, afin de rechercher la prise en charge la plus appropriée pour préserver la sécurité du patient et celle d’autrui, tout en respectant sa dignité et, si possible, en tenant compte de ses préférences. «On explique toujours au patient – tant bien que mal – ce qu’il se passe et pourquoi cette décision a été prise», explique Alexandre Wullschleger. S’il ne peut pas s’exprimer ou n’est pas en mesure de comprendre ce qu’il lui est dit, une discussion est menée avec une personne de confiance qu’il aura désignée.

Les profils des patients peuvent varier, mais les hommes souffrant de troubles psychotiques, de type schizophrénie, associés à une consommation de substances sont plus à risque de vivre la contrainte. «Ce sont des situations où il y a une perception altérée de la réalité, des personnes qui peuvent se sentir très menacées, extrêmement angoissées, ceci associé parfois à un effet désinhibant des drogues qui peut mener à des réactions violentes en début d’hospitalisation», ajoute le spécialiste des HUG.

Une surveillance est alors mise en place pour suivre l’évolution de l’état du patient et la mesure est réévaluée régulièrement. «Les prescriptions ne dépassent pas une période de 24 heures et peuvent éventuellement être reconduites si nécessaire, explique le médecin. À moins d’être dans une situation particulièrement extrême, on va permettre rapidement au patient de quitter la chambre, avec un infirmier, pour se promener un peu dans l’unité ou le jardin par exemple. Cela permet un apaisement, de renouer la confiance et d’évaluer l’état général du patient ainsi que l’effet des traitements.»

Une expérience souvent traumatisante

L’enfermement, comme toute privation de liberté, est la plupart du temps vécu de manière extrêmement négative par les patients. Il n’a, de plus, pas été établi de preuve scientifique de l’efficacité thérapeutique d’une chambre fermée. Les conséquences psychologiques de l’enfermement ont, elles, pu être mesurées. Selon les études, 25 à 47%1 des patients développent un stress post-traumatique après ce type d’intervention. «Chez certaines personnes, cela peut même réactiver un traumatisme déjà vécu par le passé, constate Alexandre Wullschleger. Il y a un risque de compromettre la relation thérapeutique, la confiance avec les soignants, mais aussi le parcours des soins.»

La chambre fermée ne peut donc pas s’imposer comme une thérapie en soi. «Fermer une porte n’est en aucun cas un traitement. La question, c’est comment la contrainte est mise en œuvre, comment elle est expliquée, comment elle est vécue par le patient en termes d’accompagnement humain.» Utiliser ce moment d’enfermement comme un moyen d’aider le patient à sortir d’une crise, en travaillant avec les proches, différents thérapeutes, en y prodiguant des soins, tel est l’intérêt que peut présenter le dispositif.

Des pistes pour améliorer la prise en charge

Utiles en cas de situations extrêmes face à certains patients agités, les mesures de contrainte doivent rester du domaine de l’exceptionnel. Pour cela, les équipes médicales mènent une réflexion au quotidien sur l’usage de la chambre fermée : comment l’utiliser moins souvent, moins longtemps, de façon plus ciblée et avec un meilleur accompagnement. Si tous les membres du personnel ont une formation de gestion de la violence, «on peut encore progresser sur certains éléments, notamment sur le renforcement des équipes, l’intensification de l’accompagnement des patients durant ces moments de crise, la collaboration avec les familles ou encore l’aménagement des chambres fermées pour qu’elles restent des lieux apaisants», ajoute le Dr Wullschleger.

Pour répondre à ces besoins, un vaste programme est actuellement mis en place à Genève. Il devrait allier communication auprès du grand public et projets de recherche menés autour de cette thématique. «Il faut démystifier le sujet des mesures de contrainte, sans pour autant les banaliser», conclut l’expert.

La prise en charge continue également d’évoluer. En Allemagne par exemple2, un modèle de soins proposant un accompagnement multidisciplinaire (psychothérapeute, travailleur social, ergothérapeute, art-thérapeute…) semble mettre en évidence l’efficacité d’une approche plus complète permettant de réduire le nombre et la durée des interventions coercitives. Si ces résultats doivent être étayés par des études randomisées sur des périodes d’observation plus longues, ils présentent néanmoins une perspective intéressante dans l’alternative aux mesures d’isolement.

Les mesures de contrainte, une pratique ancienne et contestée

La pratique de l’enfermement est, depuis toujours, intrinsèquement liée à la psychiatrie. «Durant la Renaissance et la période classique, cette pratique a été largement utilisée», relate le Dr Alexandre Wullschleger, médecin adjoint au Service de psychiatrie adulte du Département de psychiatrie des Hôpitaux universitaires de Genève. Personnes agitées, souffrant de troubles sévères ou présentant des difficultés à s’insérer dans la société, mais aussi personnes atteintes de maladies vénériennes, nombreux sont alors ceux à être enfermés dans des institutions, sans bénéficier d’accompagnement ou de traitements. «L’hôpital psychiatrique a longtemps été un lieu de ségrégation entièrement fermé, perçu comme un moyen de protection, de mise à distance», poursuit le spécialiste. Aujourd’hui, en Suisse, ces lieux sont ouverts la journée, mais le sujet de la contrainte soulève toujours de nombreuses questions aussi bien éthiques que juridiques. «Notre vision des risques et du rôle de la psychiatrie dans la gestion du risque a évolué, explique Alexandre Wullschleger. Mais les pratiques varient sensiblement selon les pays, les régions et les institutions.»

_____

1 Effects of Seclusion and Restraint in Adult Psychiatry: A Systematic Review, Marie Chieze, Samia Hurst, Stefan Kaiser, Othman Sentissi, Frontiers in Psychiatry, Juillet 2019.

2 Can “Model Projects of Need-Adapted Care” Reduce Involuntary Hospital Treatment and the Use of Coercive Measures?, Alexandre Wullschleger, Jürgen Berg, Felix Bermpohl, Christiane Montag, Frontiers in Psychiatry, Mai 2018.

________

Paru dans Esprit(S), la revue de Pro Mente Sana, Novembre 2020.