Auto-mesure: un outil médical d’avenir?
Les données personnelles récoltées par le biais d’objets connectés et autres applications smartphone sont parfois partagées avec la communauté, mais rarement avec son médecin. En Suisse, si une curiosité existe du côté des praticiens, cela reste plutôt confidentiel. Pour être clair, le corps médical ne voit pas encore d’intérêt clinique au Quantified Self (QS).
Pourtant, ces objets intelligents, ludiques, pratiques et le plus souvent esthétiques pourraient servir d’intermédiaire entre le patient et son médecin. Par exemple, en se substituant à l’ordinaire «journal de bord», parfois préconisé par les spécialistes pour relever le contenu de l’assiette, le poids, les déplacements, la durée et la qualité du sommeil, etc. Il n’est pas impossible que ces valeurs soient un jour au cœur de la consultation médicale.
Au Royaume-Uni et aux Etats-Unis on préconise déjà l’auto-mesure encadrée médicalement. Le but? Autonomiser le patient et réduire le nombre de consultations médicales. En attendant, le QS est utilisé à des fins personnelles, à un but plus préventif. La prévention qui, souvent, est désignée comme le parent pauvre du système suisse de santé. De son propre chef et à ses frais, l’individu investit et s’implique pour se maintenir en forme.
L’argument économique
Mais de cette pratique ludique et tendance, des intérêts économiques pourraient naître, comme l’explique le Pr Christian Lovis, chef de service des Sciences de l’information médicale aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG): «Il y a une nécessité économique et sociale à faire évoluer le paradigme de santé actuel. Pour réaliser des économies, il ne s’agit pas de soigner moins cher, mais de rendre le patient autonome et développer des outils pour qu’il reste en bonne santé». Selon Jocelyn Corniche, médecin anesthésiste-urgentiste au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), à long terme, on pourrait assister à une véritable révolution: «Pour les suivis simples, on peut imaginer que le patient aille moins souvent chez son médecin ou reste moins longtemps à l’hôpital, ce qui pourrait contribuer à diminuer les coûts de la santé.»
Un smartphone dans la blouse blanche
Et si le smartphone entrait dans la trousse du médecin ? Il semblerait que la révolution soit déjà en marche. Le smartphone peut servir de support administratif: le médecin peut avoir accès en tout temps aux données de ses patients, aux résultats de ses analyses médicales via des applications. Mais c’est aussi un véritable outil dans la pratique médicale. Jocelyn Corniche, médecin anesthésiste-urgentiste, s’est servi de son expérience pour imaginer des applications mobiles à l’usage des professionnels: calcul du dosage des médicaments pour les enfants, en fonction de l’âge et d’une estimation du poids. Ou encore, aide au calcul de la fréquence cardiaque et respiratoire comme alternative au calcul à la main durant 30 secondes. Mais aussi, en présence d’un patient présentant des douleurs thoraciques, la possibilité pour l’urgentiste de transmettre à l’hôpital l’ECG du patient.
Le suivi médical à distance
Le QS serait en effet très prometteur pour le suivi des maladies et des traitements. Et c’est déjà d’actualité. Les maladies cardiovasculaires et le diabète pourraient être les premières à bénéficier de cette technologie. A l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), on développe des dispositifs médicaux portables pour le suivi des patients après une intervention en réhabilitation cardiaque à domicile. L’intérêt principal étant de pouvoir diminuer le temps d’hospitalisation.
S’intéressant à une autre catégorie de population, des chercheurs développent également des systèmes pour la prévention à long terme des troubles cardio-vasculaires dans les pays sous-développés, pour les patients à risque qui vivent loin d’un hôpital. David Atienza, professeur associé de génie électrique et électronique et directeur du Laboratoire des systèmes embarqués (ESL) à l’EPFL, nous explique: «Il s’agit de systèmes embarqués discrets, légers, pas intrusifs et dont le coût est intéressant (moins de 150 CHF). Ces petites boîtes de 3 à 5 cm sont fixées ou intégrées aux vêtements. Commercialisées par SmartCardia, une start-up de l’EPFL, elles analysent en temps réel la fréquence cardiaque, la tension artérielle et la mobilité, pour les cas d’arythmie, par exemple. Dans le cadre du projet Solar Impulse, des dispositifs sont capables de mesurer de manière indirecte le niveau de stress du pilote et son état de fatigue en fonction de la qualité de son sommeil, mesures qui, traditionnellement, sont réalisables seulement avec des électroencéphalogrammes (EEG), une technologie très intrusive.»
Autres exemples déjà existants: des manchettes connectées pour surveiller la pression artérielle chez les patients hypertendus ou des glucomètres avec clé USB intégrée pour vérifier le taux de sucre des personnes diabétiques.
De grands espoirs pour la recherche
Mais sur le plan médical, c’est certainement du côté de la recherche que l’enthousiasme pour la mesure de soi est le plus grand. Elle offre en effet aux chercheurs des possibilités inédites d’avoir accès à des données épidémiologiques, comportementales et environnementales.
Katarzyna Wac, directrice du Centre de recherche pour la qualité de la vie à l’Université de Genève, nous en livre un exemple concret. La chercheuse pilote actuellement un projet avec l’Unité d’épidémiologie populationnelle des HUG qui, chaque année, invite la population genevoise à participer à une enquête et un examen de santé par l’intermédiaire du «Bus santé». Jusqu’ici, les participants répondaient à des questionnaires sur la santé, l’activité physique et la nutrition. Le projet, maintenant, consiste à obtenir ces mêmes données grâce à des applications smartphone: «Je vois le QS comme une valeur ajoutée. C’est la possibilité de pouvoir récolter un plus grand nombre d’informations sur l’activité physique, les heures de sommeil ou d’interactions sociales par exemple, mais surtout des données de meilleure qualité. En étant chiffrées, celles-ci sont plus objectives que celles rapportées uniquement par le patient via des questionnaires», déclare-t-elle. Une perspective d’autant plus intéressante que beaucoup de pathologies sont liées au style de vie et à l’environnement.