Prendre son cœur en main
Chacun est libre de mener sa vie plus ou moins sainement, mais lorsque l’on sait que plus de 80% des décès liés à un infarctus du myocarde ou à un accident vasculaire cérébral (AVC) auraient pu être évités, cela pousse à réfléchir. D’autant que la plupart des personnes ne présentent aucun symptôme avant-coureur.
Réadaptation au long cours
Après un infarctus du myocarde ou un AVC, il est important de suivre un programme de rééducation physique. Pour entraîner le cœur à se remettre en forme, les physiothérapeutes proposent des exercices qui augmentent progressivement les capacités cardiovasculaires. «Pour l’AVC, le principe est le même. Par l’entraînement de la mobilité et de la parole, entre autres, par des ergothérapeutes – depuis le premier jour après l’AVC –, le cerveau est stimulé et crée de nouvelles synapses», explique le Pr Patrik Michel, médecin-chef au Centre cérébrovasculaire du Service de neurologie du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). L’hôpital vaudois propose également des séances d’éducation thérapeutique avec des groupes de parole. Cette approche permet aux patients de mieux comprendre ce qui leur est arrivé et les raisons des traitements qui leur sont proposés. Ils apprennent aussi quelles attitudes adopter pour éviter une récidive. «Après une telle épreuve, les personnes se sentent vulnérables. Un accompagnement psychologique peut s’avérer nécessaire», poursuit le spécialiste. Et de conclure: «La rééducation ne doit pas se terminer après un mois ou deux, il est important que le patient change durablement ses habitudes.»
Le Pr Christoph Huber, chef du Centre cardiovasculaire et médecin-chef du Service de chirurgie cardiovasculaire aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), explique: «Afin de simplifier, on peut décrire le système cardiovasculaire un peu comme la tuyauterie d’une salle de bains. Avec le temps, des dépôts de calcaire s’accumulent dans les tuyaux. Au début, cela ne gêne presque pas le débit, puis petit à petit cela devient problématique. Pour un individu, les signes commencent seulement quand un seuil critique de rétrécissement des artères par les plaques d’athérome, ces dépôts graisseux, est atteint. Cela se traduit d’abord par un essoufflement à l’effort, une fatiguée inexpliquée, jusqu’à ce qu’il ressente les symptômes typiques de l’infarctus: oppression thoracique, douleur dans un des bras ou dans le cou, parfois mal d’estomac.» Les femmes peuvent présenter des symptômes moins spécifiques comme des nausées, des vomissements, des sueurs froides, des vertiges, entre autres. Le Pr François Mach, chef du Service de cardiologie des HUG, précise: «Malheureusement, avec un infarctus, le premier symptôme peut aussi être le dernier! D’où l’importance de faire un bilan régulier chez un ou une généraliste à partir de 40 ans. En fonction des valeurs sanguines et de la pression artérielle, il ou elle pourra évaluer les risques de son patient et agir en conséquence.»
Bouger davantage
Les deux experts rappellent l’importance cruciale de l’hygiène de vie dans la prévention de l’infarctus ou de l’AVC. Ce dernier est provoqué par l’obstruction d’une artère du cerveau. Les symptômes sont une paralysie faciale ou des membres, des vertiges, des problèmes d’élocution ou encore des maux de tête. «Il faut inciter les gens à bouger davantage. L’activité physique permet de réduire cholestérol et sucre sanguins, elle diminue la tension artérielle et aide à perdre du poids», précise François Mach.
La Fondation suisse de cardiologie, entre autres, propose des programmes d’activités physiques adaptées pour les personnes cardiaques. Quant à Unisanté, à Lausanne, il dispose d’un bus santé, historiquement mis en service par la Ligue vaudoise contre les maladies cardiovasculaires (LVCV). Le Pr Roger Darioli, membre de cette ligue, explique: «Ce véhicule se rend dans les entreprises qui en font la demande et propose un bilan individuel qui comprend une prise de sang. Les résultats sont obtenus instantanément et sont présentés sous forme de graphique. La personne voit ainsi son profil de facteurs de risque. On peut faire l’analogie avec quelqu’un qui s’apprête à partir en vacances en voiture. Si un voyant s’allume sur le tableau de bord, il sera plus réticent à prendre la route et essayera de régler le problème.»
Comprendre les risques que l’on prend réellement permet ainsi de changer certaines habitudes. «Inutile de tout vouloir bouleverser d’un coup. Pour un fumeur qui ne souhaite pas abandonner la cigarette, marcher jusqu’au kiosque pour les acheter est déjà un premier pas vers une activité physique régulière», explique le Pr Darioli. La LVCV propose des balades guidées ou encore des promenades ludiques pour les enfants. Bouger, dès le plus jeune âge, est indispensable.
Manger sainement, éviter alcool et tabac, réduire les sources de stress font aussi partie des habitudes à mettre en place.
Appeler le 144
Que faire lorsqu’un infarctus ou un AVC se manifeste? Comme le rappelle le Pr Huber: «Il faut tout de suite appeler le 144. Chaque minute compte, les urgentistes peuvent faire appel à un premier répondant bénévole qui se trouve à proximité et qui est dûment formé aux gestes de premiers secours[1]. Il connaît aussi l’emplacement du défibrillateur le plus proche. Il permet de gagner du temps avant que l’ambulance n’arrive et prenne en charge le patient.»
Pour rappel, en Suisse, les maladies cardiovasculaires causent 133000 hospitalisations et 20000 décès par an[2].
«Je pensais avoir mal digéré quelque chose»
Karim*, 48 ans, n’a pas le profil habituel des personnes victimes d’un infarctus. Pourtant, il a vécu cette douloureuse expérience en juin dernier. Il se souvient que son taux de cholestérol était légèrement en dessus des normes lors de son dernier contrôle, mais rien d’alarmant. Il mange sainement, ne fume pas et bois avec modération. «Dans mon cas, l’infarctus est certainement lié à différents facteurs, dont le stress. Cela faisait des mois qu’il s’accumulait.» Un soir, en rentrant chez lui, Karim sent un poids sur l’estomac. «J’avais mal depuis quelques jours. Je pensais avoir mal digéré quelque chose. La douleur est devenue si forte que j’ai préféré sortir de l’autoroute et m’arrêter dans un restaurant.» Ce Chablaisien a eu une bonne intuition, car la douleur a vite envahi sa poitrine. Des clientes du restaurant ont appelé les secours et il s’est retrouvé au CHUV. «Je n’ai jamais perdu connaissance, même lorsque l’on m’a posé un stent pour déboucher l’artère.» Karim a ensuite suivi une rééducation intensive à raison de trois séances de physiothérapie par semaine, pendant plus de dix semaines. Aujourd’hui, il utilise des stratégies pour mieux gérer son stress. Il s’est inscrit dans un fitness pour poursuivre sa rééducation par lui-même.
* Prénom d’emprunt.
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Paru dans Le Matin Dimanche le 05/11/2023
[1] Dans le canton de Genève, l’association Save a life (save-a-life.ch) peut compter sur un réseau de 2000 premiers répondants formés aux gestes qui sauvent et à la réanimation cardiaque. Dans les cantons de Vaud, Fribourg et Jura, c’est la fondation First responders (fondation-first-responders.ch) qui s’en charge. Ces bénévoles sont contactés par le 144.
[2] Source: Observatoire suisse de la santé, obsan.admin.ch.