Traitement du cancer: quels progrès?
Réalités et idées reçues
Il est souvent admis que le cancer serait une «nouvelle» maladie, et qu’il serait en augmentation constante. La réalité est plus complexe. La maladie existait déjà dans l’Egypte des Pharaons. Quant à l’incidence des cancers, s’il est vrai que certains d’entre eux augmentent, comme celui des poumons chez la femme ou celui du sein, d’autres ont purement et simplement disparu: ainsi, autrefois, les jeunes ramoneurs, qui se mettaient nus pour effectuer leur travail plus aisément, développaient le cancer du scrotum; l’abandon de cette habitude a provoqué la fin de la maladie qui lui était associée. Plus récemment, le cancer de l’estomac a régressé avec l’usage généralisé du réfrigérateur qui a éliminé les bactéries les plus dangereuses. Mais, surtout, d’énormes différences géographiques subsistent, rappelle le Pr Cavalli (Conférence du cinquantième de la Ligue vaudoise contre le cancer à Lausanne le 4 mars au CHUV). Le cancer le plus fréquent en Mongolie est celui du foie – provoqué par les virus de l’hépatite –, alors qu’en Inde, c’est celui de la bouche, car on y mâche abondamment le tabac. Enfin, l’élément le plus déterminant demeure le vieillissement démographique: les risques de développer un cancer augmentent sensiblement avec l’âge.
Selon l’orateur, le fait le plus préoccupant est l’augmentation des cas de cancer dans les pays pauvres. Contrairement à l’opinion selon laquelle le cancer serait une «maladie de civilisation» (la nôtre), on peut prévoir que, en 2020, les trois quarts des décès qui lui seront imputés seront enregistrés dans les pays en voie de développement, ceux-ci étant en outre pénalisés par des moyens de prévention et de traitement très inférieurs aux standards occidentaux.
Un siècle de progrès
Le progrès se mesure dans le temps: le conférencier esquisse les avancées thérapeutiques depuis un siècle. C’est après 1900 que l’on assiste aux premières interventions chirurgicales (ablation du sein, des ovaires, de l’estomac). Les découvertes des Curie vont rendre possible la radiothérapie dans les années 20. Les années 50 voient, elles, les débuts de la chimiothérapie, qui trouve des prolongements très utiles dès 1980 en tant que thérapeutique adjuvante (après intervention chirurgicale). Enfin, dans les années 2000 apparaissent les premiers médicaments dits intelligents.
Les tumeurs ont un temps d’avance
Franco Cavalli le souligne: le problème principal des tumeurs est qu’elles ont un temps d’avance sur nos capacités de diagnostic. Elles commencent souvent à produire des métastases (responsables dans 90% des cas de la mort des patients) lorsqu’elles atteignent la taille d’un million de cellules (environ 1 mm3). Or, en règle générale, elles ne sont détectables que plus tard, lorsqu’elles atteignent 1 cm3, soit un milliard de cellules malades. Autre phénomène: c’est au début de leur existence que les tumeurs croissent le plus vite; donc c’est à ce moment-là que la chimiothérapie est la plus efficace – c’est pourquoi elle est souvent employée après une opération ou une radiothérapie même si les examens n’ont révélé aucune métastase apparente.
Mesurer le progrès: difficile…
A-t-on réellement fait des progrès dans le traitement des cancers ? La réponse, insiste l’orateur, dépend du type de tumeur. Les progrès sont réels pour le cancer du sein, pour celui du côlon ou encore pour les lymphomes; c’est beaucoup moins vrai pour les cancers du foie, du pancréas ou des poumons. L’un des critères pour mesurer ce progrès est la survie à cinq ans. Pourtant, ce critère n’est fiable que pour les tumeurs à croissance rapide, par exemple le cancer des testicules. Dans ce cas, la survie à cinq ans équivaut pratiquement à la guérison. A contrario, certaines femmes peuvent présenter des rechutes du cancer du sein après vingt ans… Autre piège statistique: de nouvelles méthodes de diagnostic précoce – par exemple dans le cas du cancer de la prostate – permettent d’avancer la découverte de la maladie de près de dix ans: il va sans dire que cela améliore beaucoup les statistiques de la survie à cinq ans…
Les trois piliers de la lutte contre le cancer
Si les trois piliers de la lutte contre le cancer sont la prévention, le diagnostic précoce et le traitement, Franco Cavalli montre qu’ils ont une importance différente selon le type de tumeur. Chez l’enfant, le traitement a le rôle le plus décisif, alors que la prévention (certaines tumeurs sont découvertes à la naissance!) n’a pour ainsi dire aucune influence. Chez l’adulte, le tableau change: près de la moitié des cancers sont liés à des facteurs externes – qui peuvent donc être combattus par des mesures simples d’hygiène de vie: le tabac, l’alimentation et les infections. Leur influence varie évidemment en fonction de la géographie: les infections ont beaucoup plus d’impact en Afrique subsaharienne qu’en Europe. Ce qui varie aussi beaucoup, c’est le poids subjectif que chaque culture attribue aux différents facteurs : aux Etats-Unis, on pense que le stress est un facteur essentiel de cancer; et si l’alcool est montré du doigt dans les pays islamiques, il est considéré comme inoffensif en France…
Traitements: où progresse-t-on ?
Dans les traitements, Franco Cavalli distingue sept facteurs de progrès:
- le diagnostic est plus précis;
- la différenciation des stades de la maladie est plus fine;
- la chirurgie est moins mutilante;
- la radiothérapie est plus ciblée;
- la chimiothérapie a moins d’effets secondaires;
- l’immunothérapie commence à fonctionner;
- l’invention de remèdes «intelligents», comme ceux qui permettent de bloquer les stimuli biochimiques engendrant certaines leucémies ou encore ceux qui tentent de faire mourir les tumeurs en freinant leur vascularisation. Prometteurs, ces nouveaux médicaments mettront néanmoins de longues années avant d’atteindre leur pleine efficacité.
Un défi d’envergure mondiale
Est-ce à dire que la bataille scientifique et médicale peut être gagnée ? A long terme, c’est possible. Mais à quel prix ? Toute la question est là, dit le Pr Cavalli. Car, dans le même temps où l’on doublait la survie à cinq ans au cancer du côlon, le coût des traitements était multiplié par 50 ou 60 ! Financièrement parlant, certains médicaments risquent de devenir hors de portée, y compris pour les systèmes de santé des pays les plus riches où, comme en Suisse, chaque adulte consacre entre 7000 et 8000 francs par an à leur financement; le problème paraît d’autant plus insoluble dans les pays où cette somme ne dépasse pas 50 francs. Ainsi, la bataille scientifique et médicale peut être gagnée, mais la bataille globale risque d’être perdue: aujourd’hui déjà, les décès imputés au cancer sont plus nombreux que ceux causés par le sida, la malaria et la tuberculose pris ensemble. Et Franco Cavalli de conclure: un tel défi ne pourra être relevé que si les politiques de santé deviennent une priorité absolue au niveau mondial.
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Pour en savoir plus...
Cet article est extrait d'Entre Nous, no 25 paru en juin 2010, publication de la Ligue vaudoise contre le cancer. La vidéo de la conférence, accompagnée d’un enregistrement audio du débat avec le public, est disponible sur le site de la Ligue: www.lvc.ch