Pierre-Yves Dietrich: «L’intensité des relations humaines m’a poussé vers l’oncologie»
Vous avez été élu «Cancer researcher of the year» aux Etats-Unis. Que vous apporte cette prestigieuse récompense?
Il s’agit d’un prix de 30 000 dollars qui n’est pas un prix personnel, mais une récompense destinée à la recherche. La fondation Gateway nous offre également une somme d’un demi-million de dollars visant à soutenir les débuts d’une étude clinique dans laquelle nous allons effectuer les premiers tests de vaccins anti-tumoraux sur l’être humain. Ils débuteront dans quelques semaines et se répartiront sur une durée de 18 à 24 mois. Les tests porteront sur une vingtaine de patients souffrant de tumeur cérébrale (gliomes).
En 1994, vous avez fondé le premier laboratoire d’immunologie des tumeurs aux HUG. Qu’est-ce qui vous a amené à penser que l’immunologie deviendrait, vingt ans plus tard, un allié important dans la lutte contre le cancer?
«En oncologie, la question n’est pas de savoir qui fait quoi, mais comment faire face ensemble»
L’idée, pour simplifier les choses, c’est que notre système immunitaire est là pour nous défendre du monde extérieur, c’est-à-dire des agressions externes au corps. Mais depuis un peu plus d’un siècle, des chercheurs se demandent si notre système de défense ne pourrait pas aussi nous protéger contre des dangers internes et ainsi être utilisé pour soigner les cancers. Lorsque je suis arrivé aux HUG, j’ai créé un laboratoire dans lequel nous avons étudié les relations qui existent entre les tumeurs et le système immunitaire. Nous avons appris comment notre système de défense peut effectivement reconnaître et détruire des cellules tumorales dans le cerveau. L’objectif est désormais d’exploiter cette propriété naturelle pour développer des nouveaux traitements: l’immunothérapie. Il s’agit toutefois d’une approche expérimentale. Il nous faudra encore probablement une dizaine d’années pour pouvoir évaluer ce que l’on pourra obtenir de ces nouveaux concepts thérapeutiques.
Ce prix international vient en fait couronner l’ensemble de ces recherches commencées il y a vingt ans?
Oui. Et indéniablement, c’est un prix qui fait plaisir. Il permet d’apporter un peu de visibilité à un projet de recherche de longue haleine. Vingt ans de travail en souterrain, il faut de la patience ! Puis il met aussi en lumière d’un côté un travail accompli dans l’ombre par une équipe de chercheurs, et de l’autre, une structure hospitalo-universitaire dans laquelle, il faut le rappeler, des choses remarquables se déroulent.
Avez-vous choisi d’être oncologue pour faire de la recherche?
Non. Initialement, je voulais être pédiatre. Puis, comme c’est souvent le cas dans cette profession, mes choix se sont faits en fonction des hasards et des rencontres. Ce qui m’a plu dans l’oncologie, c’est la qualité et l’intensité des relations humaines. Elles sont en effet extrêmement vraies et intenses, avec un échange très fort. Je pense qu’en exerçant ce métier le mieux possible, on donne beaucoup, mais on reçoit aussi énormément. Et c’est probablement cette intensité-là qui m’a le plus plu et qui, après six ans de médecine générale, m’a fait «basculer» dans l’oncologie.
Qu’est-ce qui a changé dans votre métier depuis que vous avez commencé à l’exercer?
Au début, les patients cancéreux ne vivaient souvent que quelques mois. Maintenant, ils vivent souvent plusieurs années, mais dans des conditions difficiles. Ils n’ont plus les mêmes capacités physiques ni la même résistance. Un des défis majeurs de notre société par rapport au cancer va être de maintenir ces personnes dans une situation familiale stable, dans un environnement sociétal correct et dans une activité professionnelle où ils ne sont pas dénigrés ou mis de côté.
On parle aussi beaucoup de traitements personnalisés. De quoi s’agit-il?
L’idée c’est de mettre au point des traitements spécifiques adaptés aux caractéristiques de chaque cellule tumorale. Le cancer du poumon de Madame X et celui de Madame Y, bien qu’ils portent le même nom, sont différents. Une analyse approfondie de chaque tumeur devrait permettre d’établir une sorte de code-barres, avec un traitement personnalisé. Nous pourrions donc choisir le ou les traitements en fonction de plusieurs centaines de millions d’informations émanant des cellules malades. Cela dit, la complexité du traitement est diabolique. Les progrès en imagerie, en techniques chirurgicales et en radiothérapie, ainsi que le développement sans précédent des médicaments (on estime que l’on aura à disposition près de 500 molécules en 2020) rendent chaque choix thérapeutique difficile. Comment utiliser au mieux toutes les ressources à disposition et déterminer quelle est la meilleure séquence des différents traitements ? Ce sont-là, indiscutablement, les défis actuels de la lutte contre le cancer.
En 2016, l’Institut suisse de recherche expérimentale contre le cancer (ISREC) inaugurera à Lausanne un nouveau centre pouvant accueillir 400 chercheurs et cliniciens. Ce sera indéniablement le plus grand centre d’excellence dédié au cancer jamais construit en Suisse. Quel regard portez-vous sur un tel projet?
«C’est grâce aux centres de compétences que la Suisse aura accès aux médicaments du futur»
C’est simplement formidable. On ne peut qu’applaudir des deux mains. Le projet est ambitieux, mais il répond de manière intelligente à la problématique des cancers dans nos sociétés. Compte tenu de la vitesse à laquelle avancent les connaissances et les possibilités de traitement, c’est vraiment un bon moment pour investir dans un centre de recherche. Dans les prochaines décennies, ce sont ces centres de compétences qui nous permettront de faire de nouvelles découvertes. C’est aussi grâce à eux que l’on assurera à la Suisse l’accès à des médicaments de pointe dont le développement est compliqué. C’est en devenant acteur du développement de ces nouvelles thérapies qu’on pourra y avoir accès.
Dans ce contexte de centralisation des compétences, comment percevez-vous le statut de l’oncologue indépendant?
Un centre d’excellence ne peut pas tout faire. D’autant plus que le volume de patients est en explosion. D’abord parce que la population vieillit et que le facteur de risque principal du cancer c’est l’âge. Et ensuite parce que si l’on guérit encore relativement peu du cancer, les gens vivent de plus en plus longtemps avec. Si l’on cumule ces deux phénomènes, les cancers sont indiscutablement le problème de santé publique numéro un de nos sociétés. La question n’est donc pas de savoir qui fait quoi, mais comment faire face ensemble!