La radiothérapie FLASH: l’espoir d’une nouvelle arme contre le cancer

Dernière mise à jour 25/06/19 | Article
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Utilisant des faisceaux d’irradiation ultra-brefs, cette technique pourrait venir à bout de certaines tumeurs résistantes aux traitements.

Rien n’est gagné, mais il est permis de rêver. Bien qu’elle n’ait pas encore fait l’objet d’essais cliniques, la radiothérapie FLASH (RT-FLASH) semble avoir un énorme potentiel, au point qu’un radio-oncologue de l’Institut de recherche sur le cancer de Londres, Kevin Harrington, estime qu’elle sera capable de «révolutionner» la radiothérapie. «Si tout se passe bien, elle pourrait permettre de traiter les tumeurs qui actuellement résistent à ce type de traitement», estime le Pr Jean Bourhis, chef du Service de radio-oncologie du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), qui dès le départ a contribué à son développement.

La radiothérapie bombarde les tumeurs à l’aide de faisceaux de rayons ionisants (généralement des rayons X ou des électrons), dont l’énergie fragilise ou détruit les cellules cancéreuses et entrave leur division. Les techniques utilisées ont considérablement évolué au cours des dernières années et elles permettent désormais de cibler avec une grande précision les rayons sur la tumeur. Malgré tout, les tissus sains sont eux aussi affectés, ce qui provoque des effets secondaires (fatigue, irritation de la peau ou des muqueuses, nausées, etc., selon la zone irradiée). En outre, environ un tiers des tumeurs résistent au traitement. La RT-FLASH vise tout particulièrement ces dernières, tout en promettant une diminution des effets indésirables.

Des rayons ultra-brefs

Découverte par hasard (lire encadré), cette technique utilise «un accélérateur linéaire (Linac) qui a des caractéristiques très particulières», précise Jean Bourhis. Son principal intérêt est de délivrer des faisceaux de rayons pendant un temps ultracourt: quelques millièmes de seconde, au lieu de plusieurs minutes pour la radiothérapie conventionnelle.

Cette brièveté fait toute la différence, car c’est elle qui limite les dommages «collatéraux». En effet, dans ce laps de temps, «l’oxygène naturellement présent dans les tissus sains est consommé en quasi-totalité, alors que le flux sanguin n’est pas assez rapide pour le remplacer», poursuit le spécialiste. L’oxygène étant à l’origine de la création de radicaux libres, la méthode permet de réduire la formation de ces composés très réactifs et néfastes. En conséquence, il est possible d’utiliser de fortes doses d’irradiation qui, dans la radiothérapie classique, se révéleraient trop toxiques. En revanche, les tumeurs renferment peu d’oxygène (et produisent peu de radicaux libres toxiques) et elles réagissent de la même manière, quelle que soit la durée de l’irradiation. En d’autres termes, la RT-FLASH épargne les tissus sains, mais non les tumeurs.

De nombreux travaux ont été menés au CHUV, pionnier dans ce domaine, chez quatre espèces animales: des poissons-zèbres, des souris, des cochons et ce que les chercheurs nomment des «chats-patients», c’est-à-dire des chats souffrant d’une tumeur au nez qu’ils avaient spontanément développée. «Tous les résultats concordent», constate Jean Bourhis. Chez les souris, à dose égale de rayons délivrés, «toutes les tumeurs disparaissent de la même façon qu’avec la RT classique, mais avec nettement moins d’effets secondaires». Quant aux six chat-patients, ils ont tous été débarrassés de leur cancer et un seul a récidivé – ce qui a incité l’Hôpital vétérinaire de Zurich à lancer un essai clinique pour ces animaux.

Ces conclusions prometteuses ont d’ailleurs été confirmées récemment par plusieurs groupes de chercheurs qui se sont à leur tour lancés dans l’aventure. On observe désormais «une véritable effervescence dans le monde pour développer cette technique, surtout aux Etats-Unis où plusieurs centres sont en train de s’équiper d’accélérateurs linéaires pour faire de la RT-FLASH», ajoute le Pr Bourhis.

Essais cliniques programmés

En Suisse, au CHUV, un patient souffrant d’un cancer de la peau a déjà bénéficié de cette technique. L’une de ses lésions a été traitée et elle a disparu «quasiment sans effets secondaires», selon le médecin. Il reste que l’appareil utilisé «délivre des électrons de faible énergie qui ne peuvent pas pénétrer profondément dans l’organisme» et qui ne permettent de traiter que des tumeurs très superficielles de la peau.

L’équipe du CHUV attend maintenant l’arrivée d’un deuxième prototype de Linac utilisant des faisceaux d’électrons plus puissants, donc à plus fort pouvoir de pénétration, pour faire la preuve de la faisabilité de la méthode dans la radiothérapie intra-opératoire. L’idée est de délivrer une dose de rayonnement au cours d’une intervention chirurgicale. En effet, «certaines tumeurs ne peuvent pas être ôtées en totalité, car elles adhèrent à de gros vaisseaux ou nerfs. La partie restante pourrait être traitée par la RT-FLASH». Ce serait une bonne manière de parachever le geste du chirurgien. «Si tout va bien, le premier patient pourrait être traité en 2021», se réjouit le spécialiste.

Par ailleurs, le Service de radio-oncologie du CHUV contribue à l’élaboration, avec le CERN, d’une machine capable de délivrer des électrons très énergétiques pénétrant profondément dans le corps. «Nous avons déjà simulé les effets que cela provoquerait chez un patient, c’est très prometteur», souligne le médecin qui espère pouvoir disposer de l’appareil au CHUV en 2022 ou 2023. Une autre solution serait d’utiliser des rayons X qui, eux aussi, peuvent atteindre les organes situés au centre du corps, mais «la production de RX en mode flash est complexe et n’est pas disponible actuellement».

Le chemin est encore long, car il faudra ensuite entreprendre des essais cliniques. Mais la tâche en vaut la peine. En cas de succès, il devrait être possible de traiter par RT-FLASH des tumeurs résistantes, quelle que soit leur localisation. Ce qui serait une réelle révolution.

Une découverte fortuite

Les avancées scientifiques sont souvent le fruit du hasard, de découvertes exhumées après avoir été mises en veilleuse. C’est le cas de la radiothérapie FLASH.

Au début des années 1970-80, «des chercheurs américains et européens ont décrit l’effet-FLASH», explique le Pr Jean Bourhis, chef du Service de radio-oncologie du CHUV. Ils ont constaté que des faisceaux de rayons ionisants ultra-brefs avaient un effet protecteur sur les tissus sains. Mais ils ont alors pensé qu’ils protégeraient aussi les tumeurs et n’ont pas poussé leurs investigations plus loin.

Le phénomène est tombé dans l’oubli pendant une trentaine d’années. Jusqu’à ce que l’histoire rebondisse à l’Institut Curie à Paris qui disposait d’une machine capable de produire ce rayonnement FLASH avec laquelle les scientifiques menaient des expériences n’ayant rien à voir avec la recherche sur le cancer. C’est alors qu’un chercheur de cet Institut «s’est aperçu que ce rayonnement produisait moins d’effets sur les souris que ce qu’on attendait». Il a partagé cette observation avec la Dre Marie-Catherine Vozenin, spécialiste des tissus sains irradiés qui travaillait à l’Institut Gustave-Roussy, dans le laboratoire que dirigeait alors Jean Bourhis. «Sans connaître les recherches qui avaient été faites trois décennies plus tôt, ces chercheurs ont eu l’idée de mettre dans le faisceau une souris ayant une tumeur, explique le spécialiste. Et celle-ci a disparu. Nous étions alors persuadés que nous tenions là un phénomène hors du commun».

Lorsqu’en 2012 Jean Bourhis est venu travailler au CHUV, rapidement rejoint par Marie-Catherine Vozenin, il a fait construire un premier prototype pour poursuivre ces recherches. Il a mis en place une équipe multidisciplinaire composée de biologistes, physiciens et médecins qui a permis à l’hôpital vaudois de prendre le leadership international dans le développement de la radiothérapie FLASH.

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Paru dans Le Matin Dimanche le 09/06/2019.