Immunothérapie: où en sommes-nous?

Dernière mise à jour 21/08/19 | Article
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Moins d’une décennie après son arrivée, l’immunothérapie suscite les espoirs les plus vifs, mais fait aussi des déçus. Explications.

Parvenir à dresser le système immunitaire contre la tumeur : les chercheurs en rêvaient, c’est désormais chose possible. Cette révolution porte un nom – l’immunothérapie –, mais elle n’en est qu’à ses débuts. Résultat: aujourd’hui, seuls 20 à 30% des patients atteints d’un cancer sont «éligibles» et répondent favorablement au traitement. Si l’immunothérapie est le plus souvent proposée en cas de mélanomes et de cancers du poumon (lire encadré), sa liste s’élargit à certains cancers de la vessie, du côlon, du rein ou encore à des lymphomes. «L’arrivée de l’immunothérapie dans l’arsenal thérapeutique est bien sûr une avancée majeure, mais le chemin est encore long et semé d’embûches, souligne le Pr Pierre-Yves Dietrich, chef du Département d’oncologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) et professeur à la Faculté de médecine de l’Université de Genève (UNIGE). Cela tient à la diversité des tumeurs, à la nature des cellules cancéreuses, hautement instables et changeantes, mais également à l’immunothérapie elle-même, qui reste un traitement fragile.»

Pour rappel, son principe repose sur la capacité naturelle de l’organisme à repérer les cellules étrangères et à les affronter. Les tumeurs ayant leur propre code génétique, différent de leur hôte, elles devraient déclencher une réaction immunitaire massive de l’organisme. Mais bien souvent, il n’en est rien. Les cellules cancéreuses avancent masquées, sont donc peu ou pas repérées, et quand elles le sont, parviennent à déjouer les attaques de leurs adversaires. Les adversaires en question sont des acteurs-clés du système immunitaire: les lymphocytes T. Munis de freins naturels empêchant des actions tous azimuts, ils ne font pas toujours le poids face à des cellules cancéreuses virulentes et fines stratèges.

Parmi les différentes stratégies pour y faire face, se développe actuellement la thérapie cellulaire. Son principe: extraire de l’organisme les lymphocytes T présents sur les lieux de la modeste confrontation avec la tumeur, les démultiplier en laboratoire, supprimer leurs freins et les réinjecter dans le corps de la personne malade.

Oncologie de précision

Car-T Cells: les nouvelles stars

Objet de toutes les attentions lors du congrès qui s’est tenu à Chicago en juin dernier, les Car-T cells font franchir un pas de plus à l’immunothérapie et aux thérapies dites «cellulaires». L’idée, avec ces cellules «nouvelle génération», n’est plus seulement de renforcer le système immunitaire pour l’aider à affronter la tumeur, mais de modifier génétiquement certains de ses agents – les lymphocytes T – pour les équiper de «radars armés» capables de détecter les cellules cancéreuses et les anéantir. Ainsi naissent en laboratoire les Car-T cells. «Les premiers résultats sont spectaculaires, se réjouit le Pr George Coukos, chef du Département d’oncologie de l’UNIL CHUV. Le taux de succès dans certains cas de leucémies aiguës chez l’enfant et le jeune adulte peut atteindre 90%.» Les défis restent toutefois nombreux, notamment pour étendre l’usage de cette nouvelle technique aux tumeurs dites «solides», son application étant actuellement limitée à certains cancers du sang et aux lymphomes.

Les résultats qui en découlent sont inégaux: spectaculaires chez certains, modestes chez d’autres, ils restent nuls pour nombre de patients. «Une partie essentielle de la recherche réside dans le fait de pouvoir déterminer à l’avance les patients pour qui l’immunothérapie peut présenter un intérêt», précise le Pr George Coukos, chef du Département d’oncologie de l’Université de Lausanne/Centre hospitalier universitaire vaudois (UNIL CHUV).

C’est là tout l’enjeu de l’oncologie de précision, l’autre révolution en cours. Son objectif: donner le bon traitement au bon patient, afin de multiplier les chances de succès, tout en évitant les traitements inutiles. «Car si l’immunothérapie est un vrai pilier, elle n’éclipse pas les autres méthodes que sont la radiothérapie, la chimiothérapie et la chirurgie, poursuit le Pr Dietrich. Un exemple: l’immunothérapie est aujourd’hui sans effet sur le cancer du testicule, pour qui la chimiothérapie est efficace dans plus de 95% des cas. C’est donc tout un arsenal qui doit se mettre en place, profilant les options au cas par cas selon des critères cliniques et biologiques qui restent encore à affiner.»

Etudes cliniques impliquant des patients sous traitement, recherches actives dans les laboratoires du monde entier, analyses de biomarqueurs propres à chaque individu: la recherche bât son plein, et avance. En 2011, seul 1,5% des patients étaient susceptibles de recevoir un traitement par immunothérapie, une proportion qui passait à 43,6% en 2018.

«Le cancer reste aujourd’hui le plus gros tueur auprès de la population active, rappelle le Pr Dietrich. Mais ce que nous vivons est sans précédent: les résultats obtenus ne sont pas le fruit de la chance ou du hasard, mais de décennies de recherches aboutissant à une meilleure compréhension des mécanismes cellulaires et moléculaires à l’œuvre. Et cela fait toute la différence.» L’immunothérapie découle directement de ces avancées. Et le Pr Coukos de conclure: «Beaucoup reste à faire pour élargir l’immunothérapie à davantage de cas, gérer les effets secondaires liés au fait que le système immunitaire ainsi stimulé peut se retourner contre des cellules saines, et traiter la question des coûts élevés des traitements (100'000 à 200'000 Chf par patient, ndlr), mais les réponses extraordinaires obtenues chez certains patients autorisent vraiment à être optimiste.»

Pourquoi mélanomes et cancers du poumon sont-ils les meilleurs candidats à l’immunothérapie?

Traduite sous la forme de six médicaments différents applicables à quatorze types distincts de cancers, l’immunothérapie reste particulièrement attendue dans les cas de mélanomes et de cancer du poumon. La raison? Deux facteurs entrent en ligne de compte. Le premier est lié aux caractéristiques de la maladie elle-même. Or, le mélanome par exemple, s’est révélé particulièrement vulnérable aux attaques du système immunitaire transformé et renforcé par l’immunothérapie. Le second facteur est le paysage thérapeutique dans lequel arrive une nouvelle thérapie. «Pour les mélanomes comme pour les cancers du poumon, le monde médical était relativement démuni il y a encore une décennie, rappelle le Pr Pierre-Yves Dietrich, chef du Département d’oncologie des HUG et professeur à la Faculté de médecine de l’UNIGE. L’immunothérapie n’est pas l’arme absolue, mais elle peut modifier l’espérance de vie d’un grand nombre de personnes souffrant d’un cancer. En 2010, elle était en moyenne de six mois pour un patient atteint d’un mélanome métastatique, elle est aujourd’hui de plusieurs années. Pour le cancer du poumon, l’espérance de vie est passée d’un an en moyenne à plus de deux ans.» Et le spécialiste d’ajouter: «L’immunothérapie apporte beaucoup, mais elle a encore des limites. Il est par exemple important de tenir compte de son délai pour agir, qui est en moyenne de deux mois, alors que la chimiothérapie agit instantanément ou presque. L’immunothérapie constitue donc un outil thérapeutique de plus, prodigieux par certains aspects, mais reste perfectible et à envisager au cas par cas.»

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Paru dans le Quotidien de La Côte le 17/07/2019.

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