Cancer: contourner la résistance
Anéantir dans l’organisme la moindre cellule cancéreuse pour guérir définitivement la maladie: tel est l’objectif ultime de la lutte contre le cancer. Si, grâce aux avancées de la science, les taux de rémission sont en constante augmentation pour de nombreux cancers, les cas de rechute ne sont pas rares. Cette résistance, qu’elle survienne dès le départ ou après des mois de traitement, est un problème central en oncologie et concerne aujourd’hui encore une partie importante de malades. «Chaque année dans le monde, on compte environ vingt millions de nouveaux cas de cancers et dix millions de décès», déplore Mikaël Pittet, professeur au Département de pathologie et d’immunologie de l’Université de Genève (UNIGE) et titulaire de la Chaire en onco-immunologie de la Fondation ISREC. Malgré des années de vie gagnées, la maladie peut soudain se réveiller à cause de quelques cellules résiduelles qu’on peine aujourd’hui à détecter. Parfois, dès le départ, la maladie s’adapte au traitement et le met en échec. Certains cancers sont d’ailleurs plus difficiles à soigner: ceux du poumon, du pancréas, du foie ou de l’estomac, par exemple.
Pourquoi certaines tumeurs sont-elles plus récalcitrantes et quelles sont les pistes de recherche pour y faire face? Plusieurs déterminants sont en cause et peuvent assombrir le pronostic. La charge tumorale d’abord, comprenez le nombre de cellules cancéreuses (taille de la tumeur). Plus celle-ci est importante, plus le risque est grand que l’une ou l’autre de ces cellules continue à se reproduire, à se transformer ou à se disséminer dans l’organisme. La vitesse de progression de la tumeur joue également un rôle, de même que l’hétérogénéité des cellules qui la composent.
Il est également important de s’intéresser aux cellules saines, qui coexistent avec les cellules tumorales, explique Mikaël Pittet: «Les cellules malignes sont en quelque sorte capables de prendre en otage des cellules saines environnantes, qui permettent alors à la tumeur de croître.» Par exemple, une tumeur peut créer autour d’elle un réseau de vaisseaux sanguins pour pouvoir s’oxygéner et se nourrir, ou recruter des cellules «écran» qui font obstacle au travail de défense des cellules immunitaires. Enfin, le fait même d’initier un traitement peut parfois créer un malheureux effet de chaîne. «Une tumeur est composée d’un grand nombre de cellules malignes qui ne sont pas toutes les mêmes. Un traitement qui parvient à éliminer la plupart de ces cellules peut aussi faciliter l’amplification de celles qui sont génétiquement résistantes au traitement», note le professeur.
Quel que soit le cancer, identifier et combattre, le plus tôt possible, ces facteurs de résistance apparaît comme une nécessité pour augmenter l’efficacité des traitements. Plusieurs voies thérapeutiques se dessinent.
Combiner ou non les traitements
Faut-il appliquer un seul traitement ou en combiner plusieurs (chimiothérapie, radiothérapie, etc.) dans l’espoir de minimiser les risques de résistance et potentialiser les effets? Cette question complexe fait l’objet d’études cliniques. Pour le Pr Olivier Michielin, médecin-chef du Centre d’oncologie de précision du Département d’oncologie au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), «cela dépend des caractéristiques de la tumeur et du type de résistance». Pour augmenter les chances de succès de l’immunothérapie, des études montrent l’intérêt, dans certaines situations, de l’associer à d’autres traitements, comme la chimiothérapie ou la thérapie anti-angiogenèse. Cette dernière consiste à cibler les vaisseaux sanguins nourrissant la tumeur et à potentialiser l’effet des cellules immunitaires. C’est du moins la conclusion d’une revue de la littérature, opérée par des chercheurs de l’Université de Genève, parue récemment dans Nature Reviews Clinical Oncology1.
L’oncologie personnalisée
Prédire la meilleure combinaison de traitements pour chaque patient est justement l’objectif de l’oncologie personnalisée. À ce jour, celle-ci est surtout réservée aux patients pour lesquels les traitements standards n’apportent plus de bénéfices. Idéalement, il faudrait, dès le départ, pouvoir mener de larges analyses chez le patient afin d’anticiper la résistance. Néanmoins, commente le Pr Olivier Michielin, «il manque encore de solides évidences scientifiques avant de remplacer les standards de traitements. Des études avec des patients sélectionnés doivent être menées pour déterminer l’efficacité de ces thérapies personnalisées».
Parmi les autres révolutions en marche, le suivi en temps réel de l’évolution du cancer pour adapter au mieux le traitement. «Si on peut rapidement évaluer comment la tumeur évolue, on est alors dans une position favorable non seulement pour définir le meilleur traitement possible mais aussi pour le prescrire au moment où il est le plus efficace», illustre le Pr Pittet. Pour cela, il faudrait pouvoir analyser avec précision la tumeur, une difficulté si elle se loge en profondeur, si elle fait des métastases ou si on ne veut pas multiplier les biopsies. Mais des prélèvements sanguins pourraient, à l’avenir, apporter des réponses, poursuit le chercheur: «On est en mesure de retrouver dans le sang du matériel provenant de la tumeur. Ceci pourrait nous donner des informations sur ses caractéristiques afin de mieux la combattre.»
L’immunothérapie
Quant à l’immunothérapie, elle pourrait bien être la solution la plus à même de combattre les résistances et d’obtenir de vraies guérisons: «Aujourd’hui, seule une fraction de patients y répond, mais lorsque c’est le cas, ses effets peuvent être durables», se réjouit le Pr Pittet. «Le mélanome est un cas d’école. Grâce à l’immunothérapie, on arrive aujourd’hui à contrôler la maladie au-delà de 5 ans dans 50% des cas, même à un stade avancé», relève le Pr Michielin.
L’immunothérapie thérapie consiste à stimuler le système immunitaire pour détruire les cellules cancéreuses. Un autre avantage est qu’elle peut, en théorie, être utilisée pour combattre différents types de cancer. «En effet, on retrouve souvent les mêmes cellules immunitaires dans les tumeurs de patients. On peut ainsi prescrire la même immunothérapie pour traiter un mélanome ou un cancer du poumon», ajoute le Pr Pittet. Mais elle n’est pas encore efficace pour tous les cancers: «Quand les cellules perdent leur capacité à montrer leurs mutations au système immunitaire, celui-ci ne peut plus les reconnaître», illustre le Pr Michielin. Néanmoins, les approches se multiplient dans le monde pour réussir à faire de l’immunothérapie l’arme fatale contre le cancer. Récemment, une équipe de recherche du Swiss Cancer Center Léman a découvert, grâce aux nanotechnologies, que les lymphocytes T CD4 – des cellules immunitaires de soutien – étaient capables de tuer les cellules cancéreuses, au même titre que les lymphocytes T CD8 qui sont en première ligne. Une découverte2 qui pourrait étendre les perspectives thérapeutiques pour les patients résistants aux thérapies classiques.
Thérapies utilisant des nanoparticules
Afin d’augmenter la précision de l’immunothérapie et d’en limiter les effets secondaires, une équipe de l’Université de Genève, en collaboration avec l’Université Ludwig-Maximilian de Munich, a mis au point des nanoparticules de silice – un minéral naturel – pour transporter le médicament directement dans les ganglions lymphatiques où l’on désire initier la réponse immunitaire. Encapsulé par ces nanoparticules, l’antitumoral ne peut se répandre dans l’organisme, ce qui diminue les effets secondaires. «Il peut faire effet jusqu’à six fois plus longtemps, ce qui permet d’envisager l’administration de doses plus faibles et plus facilement supportables», déclarent les auteurs de l’étude3. Utilisées notamment dans les vaccins à ARN messager, les nanoparticules pourraient être employées plus largement dans les thérapies contre le cancer, moyennant des recherches supplémentaires._________
*Nowak-Sliwinska P, Griffioen AW, et al. Anti-angiogenic agents — overcoming tumour endothelial cell anergy and improving immunotherapy outcomes. Nature Reviews Clinical Oncology 2021.
** Jandus C, et al. Tumor-specific cytolytic CD4 T cells mediate immunity against human cancer. Science Advances 2021.
*** Wagner J, Gößl D, et al. Mesoporous silica nanoparticles as pH-responsive carrier for the immune-activating drug resiquimod enhance the local immune response in mice. ACS Nano 2021.
Paru dans Le Matin Dimanche le 18/07/2021.