Comme une odeur de maladie: l’odorat, un outil de diagnostic

«Odeur de foin: diabète»; «De pain cuit: scarlatine»; «De musc: hépatite». La liste des odeurs associées à des maladies est longue, comme en témoigne une édition du Larousse médical du début du XXe siècle. Pourtant, ces connaissances ont été progressivement écartées au profit d’approches qu’on estimait plus cartésiennes. Mais, aujourd’hui, les médecins commencent à les utiliser à nouveau, grâce à des techniques modernes.
Sentir les humeurs
En fait, cette pratique remonte au moins jusqu’à l’Antiquité, lorsque médecins grecs et romains examinaient les humeurs du malade aussi bien avec leurs yeux qu’avec leur langue ou leurs narines. Mais par la suite, l’odorat a été négligé par rapport aux autres sens. Que de nos jours un médecin écoute le bruit de l’air pénétrant dans nos poumons, cela n’étonne personne. Mais qu’il tente d’établir un diagnostic en reniflant l’air expiré entraînerait une toute autre réaction!
A la fin du XXe siècle, on assiste toutefois à un retour en grâce de l’odorat dans le diagnostic médical. En 1989, des dermatologues du King’s College Hospital à Londres rapportent un cas médical surprenant dans la revue The Lancet: un chien, doberman croisé avec un border collie, reniflait avec insistance une protubérance apparue sur la cuisse de sa maîtresse de 44 ans. Après analyse, cette protubérance se révéla être un mélanome, autrement dit une tumeur de la peau. Détectée à un stade précoce, la maîtresse a pu être sauvée à temps. Cette histoire quelque peu insolite a donné matière à réfléchir aux médecins. Le chien a-t-il réellement détecté la tumeur? Si oui, comment? En la voyant, en la reniflant?
Après de nombreuses études visant à élucider ces questions, les scientifiques sont parvenus à la certitude que des molécules sont sécrétées uniquement par certaines cellules cancéreuses. Et que l’odorat des chiens, plusieurs centaines de milliers de fois plus sensible que le nôtre, est capable d’en déceler au moins quelques-unes.
Nez électroniques
A l’hôpital Tenon, à Paris, l’urologue Olivier Cussenot a justement mené de tels travaux. Il a réalisé des tests avec des chiens spécifiquement dressés pour reconnaître, à l’odeur, les urines des patients atteints d’un cancer de la prostate. Avec plus de 91% de réussite, leur efficacité est déroutante. Pour autant, il ne faut pas s’attendre à voir débarquer ces animaux en salle de consultation! «Il s’agit plutôt d’une preuve de concept, précise Olivier Cussenot. On sait désormais qu’après une période d’entraînement, ces animaux sont capables d’identifier une certaine signature odorante, propre aux cancers de la prostate».
Cette preuve établie, les scientifiques ont commencé à développer des nez électroniques pour faire le travail à la place des chiens. Il s’agit de machines capables de «sentir» artificiellement l’odeur de l’air exhalé par un patient, ou de son urine. En fait, les odeurs détectées par les chiens ou les nez électroniques sont émises par des composés organiques volatiles (COV), qui font partie de la famille des métabolites, dont l’étude (une branche récente de la médecine) se nomme la métabolomique. Il s’agit de molécules aux rôles très variés (des sucres, des graisses, etc.) qui participent au fonctionnement de la cellule. Les cellules saines et les cellules cancéreuses ne fonctionnant pas de la même manière, elles ne possèdent pas les mêmes métabolites, ou en quantités différentes. Elles exhalent donc des COV –et des odeurs– différents.
Suffit-il donc de sentir les patients pour les diagnostiquer? Ce serait aller vite en besogne. Car la quantité de métabolites dans une cellule est phénoménale. «Toute la difficulté, pour les nez électroniques, consiste à interpréter l’immense quantité de données qu’ils reçoivent, explique Olivier Cussenot. Il faut en effet pour cela toute une intelligence artificielle capable de déchiffrer les données mesurées par ces nez. Comme le chien, le nez électronique doit également passer par un apprentissage», poursuit le médecin. L’idée est d’établir des «profils odorants» pour chaque type de cancer, à partir d’une centaine de COV. Ensuite, la machine doit apprendre à comparer ce qu’elle a «senti» avec ces profils, pour en déduire la probabilité que le patient soit malade ou non. Une fois bien maîtrisé, ce type de diagnostic constituerait un bénéfice important pour les malades: il peut en effet être réalisé très tôt dans le développement de la maladie, à l’inverse des tests actuels qui sont réalisés plus tardivement, voire parfois trop tard.
Les odeurs sont partout
Les utilisations des odeurs ne se limitent pas au diagnostic médical. D’après Olivier Cussenot, «elles sont contemporaines de l’essor des neurosciences» et de cette volonté de comprendre l’action subtile des odeurs sur notre cerveau. Parmi les plus courantes, on trouve bien entendu l’utilisation des chiens – encore eux! – pour la détection de stupéfiants ou d’explosifs, ou encore les «nez», ces professionnels qui composent les parfums. Plus insolite, les odeurs sont aussi utilisées à des fins marketing. L’odeur de café torréfié devant le rayon des cafetières, ou celle des viennoiseries à proximité d’une boulangerie, est souvent émise par des diffuseurs d’odeurs situés à proximité. Et ça marche, même si on ne sait pas très bien comment cela fonctionne. En tout cas le recours à ces odeurs ouvre une voie directe pour des zones intimes du cerveau. Elles sont en effet interprétées dans des régions liées aux souvenirs et aux émotions : parfait pour nous préparer à sortir le porte-monnaie.

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