Autour du monde, le cancer varie
Dans les pays industrialisés, au moins une personne sur trois développe un cancer. Chaque année connaît 13 millions de nouveaux cas et 8 millions de décès. Mais le cancer ne frappe pas pareil suivant la région de la planète.
Tour d’horizon avec le Dr Pierre Chappuis, responsable de l’Unité d’oncogénétique et de prévention des cancers aux Hôpitaux universitaires de Genève.
Suivant où l’on réside, on ne développe pas les mêmes cancers
Pierre Chappuis: Les disparités sont multiples. Par exemple, près de 60% de l’ensemble des cancers colorectaux surviennent dans la population des régions développées. Au niveau mondial, le nombre de nouveaux cas sur une période donnée (incidence), varie donc de 1 à 10 fois. Le cancer de l'utérus, pour sa part, est le troisième cancer le plus fréquent chez les femmes dans le monde (530000 nouveaux cas par an et 250000 décès) alors qu'il est rare en Suisse (300 nouveaux cas et moins de 100 décès/année). Les causes de ces disparités sont multiples et complexes: exposition à différents facteurs environnementaux, habitudes de vie, inégalités d’accès à la santé, comme par exemple aux mesures de dépistage systématique ou à certains programmes de vaccination.
Quel rôle joue la génétique dans ces inégalités?
Il y a deux niveaux de discussion. Le premier concerne ce que l'on appellerait les cancers héréditaires, soit un risque génétique majeur de développer un cancer lié à des mutations dans certains gènes de prédisposition au cancer qui peuvent se transmettre d’une génération à l’autre. Cinq pour cent de tous les cancers sont concernés.
La répartition mondiale de ces prédispositions est mal connue mais nous n'avons pas de raison de penser que, globalement, des populations soient épargnées par ces formes de tumeur. On observe cependant que certaines mutations dites ancestrales sont plus fréquentes chez certains groupes ethniques, une illustration de la génétique des populations.
Et le deuxième plan?
Il existe des facteurs génétiques plus modérés, certainement multiples, qui pourraient influencer la réponse de votre organisme, en particulier à certaines agressions ou à certains facteurs de l’environnement.
Nous avons tous un vieil oncle qui a fumé toute sa vie et qui a vécu jusqu’à un grand âge sans même tousser. Son organisme serait donc moins sensible quand il s'expose aux carcinogènes du tabac. Mais l'inverse est vrai: on peut imaginer que vous soyez plus sensible à un élément donné.
Cela concerne tous les facteurs de risques: le tabac, la poussière, l'alcool, l'alimentation, certains agents infectieux, etc.
Certaines personnes partent-elles donc condamnées?
Non. C'est en associant la génétique et de multiples facteurs environnementaux que l'on arrive ou pas au cancer. D'ailleurs, l’âge demeure le facteur de risque numéro un. L'amélioration de l'espérance de vie dans les pays développés s'est en effet accompagnée d'une augmentation dramatique des cancers. C'est logique dans la mesure où une cellule met du temps à acquérir les mutations qui lui donneront les avantages de croissance et d'envahissement qui caractérisent la cellule cancéreuse.
Le combat est d’autant moins perdu d’avance qu'environ un cancer sur six dans le monde est causé par un facteur infectieux, contre lequel on peut généralement activement lutter. Quatre tumeurs très répandues sont liées à un tel agent: le papillomavirus humain (HPV) peut causer le cancer du col de l'utérus, les virus de l’hépatite B et de l'hépatite C le cancer du foie et la bactérie Helicobacter pylori le cancer de l'estomac.
Si l'on pense à la péninsule ibérique où ce dernier cancer est très répandu, on peut formuler les hypothèses suivantes: la population pourrait être exposée plus précocement à la bactérie, celle-ci serait peut-être d'un type plus virulent. Enfin, on peut imaginer une vulnérabilité génétique dans cette population face à ses attaques.
Néanmoins, j'ai, individuellement, un risque différent d'avoir un cancer que mon voisin de palier
Peut-être, et, dans ce cas pour mieux déterminer votre risque de développer un cancer, ce sont alors vos antécédents familiaux dont il faudra tenir compte. En effet, outre l’âge, l’histoire familiale est le second facteur de risque reconnu de cancer. C’est une évaluation de votre histoire familiale qui permettra de déterminer la possibilité d’une prédisposition génétique et de quelle nature. Néanmoins, à l'heure actuelle, nous n'avons pas la capacité de faire un dépistage personnalisé complet – ce qui, éthiquement, est peut-être mieux. On en reste donc souvent aux recommandations générales lorsque l’anamnèse familiale ne suggère pas l’existence d’une prédisposition au cancer.
Recommandations qui consistent en…?
L’abstinence stricte à l'égard du tabac (alors même qu'on observe une véritable épidémie de tabagisme dans les pays en voie de développement), une consommation d’alcool modérée (1 à 2 verres de vin/jour), avoir une alimentation saine et lutter contre le surpoids, pratiquer une activité physique modérée mais régulière et se protéger efficacement (surtout les enfants) contre les ardeurs du soleil.
Sans oublier le levier très important que constitue le facteur infectieux. On l'a vu à Taïwan avec une réduction très importante des cancers du foie après l’introduction d’un programme de vaccination contre l'hépatite B. De même, chez nous, le bénéfice du dépistage du cancer du col de l'utérus a été largement démontré, ainsi que celui du dépistage du cancer du sein par la mammographie.