Le sexe oral peut transmettre le cancer de la gorge
De quoi on parle?
Les faits
Dans une déclaration au journal anglais The Guardian, qu’il a ensuite contestée, l’acteur américain Michael Douglas déclarait que l’origine de son cancer de la gorge, aujourd’hui guéri, était due à un papillomavirus (VPH) suite à un cunnilingus
Le bilan
Dans leur globalité, les cancers ORL (nez, bouche, gorge) diminuent dans les pays développés (1 nouveau cas pour 10000 personnes entre 2005 et 2009 en Suisse). Or le nombre de cancers de la gorge reste stable, voire augmente. Ces derniers sont le plus souvent liés aux virus VPH, localisés également dans la sphère anogénitale.
Haro sur le cunnilingus? C’est la conclusion que l’on pourrait tirer des déclarations de Michael Douglas au Festival de Cannes 2013. L’acteur y révélait qu’une infection par un type de virus de la famille des VPH (lire encadré) avait causé son cancer de la gorge. Comment? Les chercheurs avancent l’hypothèse que le virus a été transmis par les sécrétions sexuelles lors de rapports oraux-génitaux. L’infection est d’ailleurs possible quel que soit le sexe des deux partenaires.
La transmission entre les organes génitaux et la bouche est donc possible, même si elle «est probablement bien moins efficace que celle qui survient par contact direct des organes sexuels», explique Roland Sahli, coresponsable du laboratoire de référence VPH de l’OMS pour la région Europe. Michael Douglas aurait-il pu être contaminé par un baiser? Autrement dit, les rapports de bouche à bouche transmettent-ils aussi le virus VPH? «On l’ignore, mais c’est probablement rarissime», juge Yan Monnier, oto-rhino-laryngologue au CHUV. La cause de cette incertitude? Quelques rares cas sont mentionnés dans des études américaines où des personnes portaient le VPH dans la bouche et pratiquaient le french kiss mais pas le sexe oral.
Activité sexuelle précoce
Il est par contre certain que le risque de cancer de la gorge est plus important si l’on a commencé sa vie sexuelle tôt, si l’on a eu des relations vaginales avec plus de vingt-cinq partenaires et des rapports oraux avec plus de cinq personnes, car on a alors multiplié les chances d’être en contact avec une personne porteuse du VPH.
Pour autant, infection par le VPH et cancer sont très loin d’être synonymes. «Le cancer est une cascade d’événements», rappelle Assma Ben Aïssa, oncologue aux Hôpitaux universitaires de Genève. L’infection ne suffit pas. Le virus n’entraîne pas dans tous les cas des lésions précancéreuses. Ces lésions ne se transforment pas non plus toutes en cancer. Et la présence de tabac ou d’alcool joue aussi un rôle dans le développement d’une éventuelle tumeur.
Pour les cancers de l’oropharynx causés par le VPH, le pronostic est heureusement bon et une guérison est obtenue dans quatre cas sur cinq. Cette tumeur répond en effet mieux au traitement que celles causées seulement par l’alcool et le tabac. La thérapie n’est cependant pas anodine, détaille le Dr Monnier: elle consiste en une radiothérapie ou une chirurgie si le cancer est dépisté tôt (stade 1 ou 2, voir infographie) et une radiothérapie associée à une chimiothérapie dans le cas d’une tumeur plus avancée comme celle qu’a eue Michael Douglas (stades 3 et 4). Dans tous les cas, la déglutition et l’articulation peuvent être touchées. La radiothérapie attaquant les glandes salivaires, elle cause aussi souvent une sécheresse buccale.
Impact vaccinal
Comment éviter d’en arriver là? En s’efforçant de ne pas contracter le VPH. Et pour cela, un bon moyen consiste à privilégier les relations sexuelles protégées: utilisation du préservatif pour la fellation, de digues dentaires pour le cunnilingus. Il vaut par ailleurs mieux s’abstenir de sexe oral en cas de blessure dans la bouche ou d’un saignement de gencives.
Une autre stratégie repose sur la vaccination. Depuis 2008, la Suisse a mis en place un programme pour réduire les cas de cancer du col de l’utérus liés au VPH. Le vaccin est principalement proposé aux jeunes filles à partir de 11 ans, de manière à les immuniser avant l’entrée dans la sexualité et les premiers risques de contact avec le virus. On ne dispose pas de chiffres pour toute la Suisse, mais le programme est bien suivi à Genève où 80% des filles sont vaccinées.
La vaccination aura-t-elle un impact sur les cancers de la gorge? On le soupçonne fortement. «Il existe des vaccins contre plusieurs types de virus VPH. Je serais donc surprise que ces vaccins VPH ne protègent pas aussi contre les infections de la gorge», résume Claire-Anne Siegrist, professeur de vaccinologie à l’Université de Genève.
Se pose donc la question: faut-il aussi vacciner les jeunes hommes? Le professeur Siegrist tempère: «A titre personnel, je comprends parfaitement tous ceux qui offrent déjà le vaccin à leur fils pour le protéger contre les verrues génitales, un risque bénin mais fréquent, ou contre les cancers, rares mais graves, dus aux VPH inclus dans les vaccins. Sur le plan de la santé publique, il nous faut encore des réponses avant de déterminer si ce vaccin doit être recommandé aux garçons qui le souhaitent…»
Un virus très répandu
Il existe de nombreux types de papillomavirus humains (VPH). Ils infectent la peau ou les muqueuses génitales, provoquant dans ce dernier cas des verrues, l’une des maladies sexuellement transmissibles les plus fréquentes. Très répandus, ces types de VPH sont souvent bénins. «Une personne sur deux a connu une infection génitale par le VPH, généralement sans gravité, souvent sans même s’en rendre compte», commente Roland Sahli, coresponsable du laboratoire de référence VPH de l’OMS pour la région Europe. Mais d’autres types de VPH sont beaucoup plus dangereux.
Et notamment ceux de types 16 et 18, à l’origine de la majorité des cancers du col de l’utérus chez la femme, qui reste rare grâce au dépistage par frottis (5 nouveaux cas chaque année pour 100000 femmes en Suisse). Pour lutter contre ces formes dangereuses, deux vaccins existent. Les deux protègent contre les VPH de types 16 et 18, et l’un protège en plus contre les types 6 et 11, qui peuvent causer des verrues génitales.
Le sexe oral est de plus en plus courant
Le sexe oral est extrêmement fréquent, explique le Dr Francesco Bianchi-Demicheli, du département de gynécologie aux HUG. «On peut compter que les trois quarts de la population le pratiquent occasionnellement ou fréquemment, les couples mariés dans une moindre mesure, révèle-t-il. Le cunnilingus est légèrement plus courant que la fellation.»
Cette proportion est-elle nouvelle? «Oui. On ne dispose pas de chiffres sur le sexe oral avant les années 1950. Mais alors, seul un individu sur six déclarait s’y livrer très fréquemment.»
Cancer de la cavité buccale
Chaque année en Suisse, on dénombre quelque 1100 nouveaux cas de cancer de la cavité buccale ou de la gorge, ce qui représente environ 3 % de toutes les maladies cancéreuses. Le cancer de la cavité buccale touche plus souvent les hommes (70 %) que les femmes (30 %). Il peut aussi survenir chez des personnes jeunes : 12 % des patients ont moins de 50 ans au moment du diagnostic, 58 % ont entre 50 et 70 ans.
Cancer de l’œsophage
Chaque année en Suisse, près de 500 personnes développent un cancer de l’œsophage (carcinome œsophagien), ce qui correspond à 1,5% de toutes les maladies cancéreuses.
Cancer du larynx (carcinome laryngé)
Chaque année en Suisse, environ 280 personnes développent un cancer du larynx. Les hommes sont nettement plus touchés que les femmes (88% contre 12%).