«Les avancées de la génétique vont changer la pratique de la médecine et l’éthique de la procréation»
Planète Santé: Votre diplôme de médecine en poche, vous vous êtes spécialisé d’abord dans la pédiatrie, puis vous avez bifurqué vers la génétique médicale et la recherche sur les maladies génétiques. Pourquoi ce choix?
Bio express
1974 Diplôme de médecine de l’Université d’Athènes (Grèce).
1982 Doctorat puis post-doctorat en génétique médicale au John Hopkins University School of Medicine, Baltimore (États-Unis).
1991 Nommé professeur dans ce même établissement.
1992 Arrivée à Genève pour y développer la génétique médicale.
2000 Fin du séquençage du chromosome 21.
2011 Création de la «Clinique du génome».
Pr S. Antonarakis: Je voulais m’orienter vers l’inconnu, car les choses qui sont acquises ne m’intéressent pas. Or, en médecine, à l’époque –années 1970–, on ne connaissait rien aux bases génétiques des maladies héréditaires. Je suis donc allé me former à la génétique médicale dans le plus grand institut existant dans ce domaine, le John Hopkins University School of Medicine, à Baltimore aux États-Unis. J’en suis parti quinze ans plus tard, professeur et responsable d’un grand laboratoire.
Pourquoi êtes-vous venu vous installer à Genève?
Ma femme et moi, nous voulions revenir en Europe car le café y est meilleur (rires). Je voulais travailler dans un pays où je pourrais développer la génétique médicale. J’ai constaté que l’Université de Genève avait la volonté de développer cette discipline et était prête à s’en donner les moyens. J’ai donc choisi de m’installer ici.
D’ailleurs, bien plus tard, en 2011, vous avez créé à Genève la «Clinique du génome». De quoi s’agit-il?
C’est une clinique avant-gardiste en Suisse et en Europe où les individus peuvent recevoir un diagnostic de leurs maladies génétiques sur la base du séquençage de leur génome. Pour les pathologies monogéniques, liées à la défaillance d’un seul gène, nous avons un très bon taux de détection. Nous pouvons offrir un diagnostic précis à 30% des patients, contre 4 à 5% auparavant.
Revenons à votre carrière de chercheur. Vous avez étudié plusieurs maladies héréditaires, notamment l’hémophilie, un trouble de la coagulation sanguine. Pourquoi?
D’abord parce que c’est une maladie génétique assez fréquente. Mais aussi parce qu’elle est liée à la défaillance d’un gène (celui du facteur VIII) situé sur le chromosome X, l’un des deux chromosomes sexuels. C’est pour cette raison qu’elle n’affecte que les garçons, qui ont un seul chromosome X –les filles en ont deux exemplaires, donc si l’un d’eux renferme le «mauvais» gène, l’autre peut pallier cette défaillance. Cette maladie était donc un bon modèle pour répondre à la question que l’on se posait: quels sont les types de mutations qui causent les maladies génétiques?
Nous avons ensuite créé une souris porteuse de la maladie que nous avons traitée en lui donnant la protéine qui lui manquait, le facteur VIII, produite par génie génétique. Cela a été une grande victoire car après, nous n’avons plus eu à nous battre pour prouver l’utilité du génie génétique à visée thérapeutique.
Cela dit, c’est à la trisomie 21 que vous devez votre plus grande renommée.
Les enfants trisomiques portent trois copies du chromosome 21, le plus petit du génome, au lieu de deux. Il y a trente ans, quand on a compris que pour pouvoir étudier les maladies génétiques il fallait pouvoir «lire» le génome humain, j’ai participé au séquençage de ce chromosome. Une fois connue l’infrastructure de ce matériel génétique, on a pu identifier des gènes responsables de la maladie.
Quelles ont été les implications cliniques?
Le travail était difficile, car il y a plus de deux cents gènes impliqués dans la trisomie 21 et chacun d’eux pourrait contribuer à la maladie. Toutefois, le décryptage de ce chromosome a permis de faire des progrès dans la détection de la maladie chez le fœtus. Il a permis aussi de mieux comprendre certains symptômes, comme la maladie d’Alzheimer précoce chez les personnes trisomiques. Mais on ne connaît toujours pas les gènes responsables de la déficience intellectuelle. Mon plus grand souhait serait de les découvrir.
Au rythme où va la génétique, dans le futur, on pourra prédire à un enfant les maladies dont il souffrira dans sa vie ou celles auxquelles il sera prédisposé. Ce déterminisme génétique n’est-il pas effrayant?
Il existe un déterminisme important pour les maladies monogéniques. Cependant, la plupart des pathologies sont polygéniques (liées à plusieurs gènes). Dans ces cas, on pourra seulement indiquer à l’enfant qu’il a un certain risque statistique de développer l’une ou plusieurs d’entre elles. Il y a toujours une part d’inconnu et de hasard.
En outre, si une personne sait qu’elle est prédisposée à souffrir de telle ou telle pathologie, elle peut modifier son mode de vie pour diminuer l’effet de ses «mauvais» gènes et accroître celui des «bons». Toutefois, cela va changer la pratique de la médecine et l’éthique de la procréation. Dans un lointain futur, les individus choisiront peut-être le partenaire avec qui ils veulent concevoir un enfant en fonction de son patrimoine génétique.
N’est-ce pas la porte ouverte à l’eugénisme?
Ce n’est pas un eugénisme imposé. Vous savez bien qu’aucun couple ne souhaite que son futur enfant souffre d’une maladie sérieuse. S’il y a un moyen médical, éthiquement accepté par la société, de corriger les erreurs de la nature, pourquoi ne pas l’utiliser?
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Paru dans Planète Santé magazine N° 26 - Juin 2017