Lever le tabou du suicide chez les jeunes
En Suisse, même si les chiffres sont en baisse*, y compris chez les jeunes, le suicide reste la première cause de décès chez les 15-24 ans. Ces dernières années, les spécialistes observent une hausse de la détresse psychologique et des pensées suicidaires dans cette tranche d’âge. De plus en plus de jeunes sollicitent en effet les lignes d’écoute et de conseil** qui leur sont destinées, comme le 147. Comment lutter contre leur mal de vivre et prévenir ces actes dramatiques? L’association Stop Suicide prône des mesures de prévention universelles et accessibles à toutes et tous. «L’essentiel est de lever le tabou autour de la thématique du suicide, déclare Alyzée Haahtio, sa responsable recherche de fonds et médias. Oser en parler n’est ni plus ni moins une devise qu’il faut garder à l’esprit pour permettre un dialogue ouvert sur le sujet, car le mal-être n’est pas quelque chose de rare et encore moins une problématique dont on doit avoir honte.» Pour Eugénie Felber, psychologue au secteur prévention de Malatavie unité de crise, un dispositif des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) en partenariat avec la fondation Children Action, offrir un espace de dialogue est essentiel: «La crise du Covid a montré que les jeunes avaient besoin de prendre la parole et d’être écoutés.»
Des ateliers interactifs
Santé mentale: zoom sur les facteurs de protection
L’adolescence est synonyme de grands bouleversements physiques et psychiques. La pression scolaire, la peur du rejet des pairs, l’exploration de son identité notamment, peuvent en faire une période de stress intense. La présence d’antécédents suicidaires (y compris dans la famille), de troubles psychiques, de harcèlement scolaire, etc., sont des facteurs de risque. Néanmoins, «derrière une tentative de suicide, il n’y a pas un seul événement déclencheur, mais une accumulation de facteurs de risque», nuance Nadejda Lambert, de Stop suicide. Les facteurs protecteurs suivants peuvent aider à traverser cet âge difficile:
- Une bonne estime de soi.
- Des amis et amies sur qui on peut compter.
- Un climat scolaire serein.
- Un environnement familial soutenant et non conflictuel.
- Une hygiène de vie saine (alimentation, sommeil, activité physique).
- Des hobbys et centres d’intérêt.
Stop Suicide s’engage à informer et sensibiliser les jeunes à la problématique du suicide, notamment par le biais des ateliers de prévention «S’entraider», destinés aux adolescents, adolescentes et jeunes adultes. Récemment évalués par Promotion santé suisse, au moyen d’une étude contrôlée (comparaison de deux groupes dont seul un a participé à «S’entraider»), ces ateliers, habituellement dispensés dans le cadre scolaire et les milieux extrascolaires (maisons de quartier, etc.), ont été perçus comme utiles et agréables par le public cible. Ils ont, selon cette étude, permis de promouvoir les ressources d’aide, d’informer les jeunes quant aux mesures à prendre pour faire face à un problème ou encore de réduire la détresse psychologique et les pensées suicidaires.
À travers ce programme, proposé notamment dans les cantons de Vaud, Neuchâtel et Genève, les intervenants et intervenantes, accompagnées d’un ou d’une psychologue, s’attachent notamment à déconstruire les idées reçues («le suicide est un choix», «c’est un acte courageux», «je dois garder le secret», par exemple) autour de cette problématique et à ouvrir la discussion avec les jeunes qui peuvent être en proie à des idées suicidaires ou confrontés à la détresse d’un pair. «Nous ne cherchons pas à convaincre, ni à faire la morale. Ce sont des moments interactifs à chaque fois uniques, suivis parfois d’échanges individuels», déclare Nadejda Lambert, responsable des ateliers et modules chez Stop Suicide.
Ce travail d’information et de sensibilisation se fait au travers d’ateliers ou de lignes d’écoute pour les ados et leur entourage, notamment. Il a également pour objectif une meilleure compréhension et une meilleure détection – y compris par le jeune lui-même – des signaux d’alerte d’une détresse psychologique. Ainsi, tout changement d’attitude et de comportement, comme un repli sur soi, une rupture des liens sociaux, une chute brutale des résultats scolaires, une exacerbation des conflits familiaux ou un désintérêt pour les activités appréciées par le passé, doit inquiéter. Quant à l’expression de pensées suicidaires, elle n’est jamais anodine et doit toujours être prise au sérieux.
Être à l’écoute
Que faire, dès lors, face à un ou une jeune qui va mal? «Il faut l’écouter, le questionner et ne pas le laisser seul ou seule», répond Eugénie Felber. De son côté, Nadejda Lambert recommande, même si cela est difficile, d’aborder le sujet sans détours: «Il faut être le plus clair possible, sans craindre que cela ne débouche sur un passage à l’acte. Demander ″As-tu déjà eu des pensées suicidaires?″ ou ″Est-ce que tu penses au suicide?″ montre à la personne qu’elle peut parler librement et surtout qu’elle n’est pas seule.» Plus le jeune s’isole dans son désarroi, plus il risque de se sentir mal, d’où l’importance de briser le silence et de lui offrir un espace de parole pour soulager sa souffrance. «Parler permet de donner du sens à ce que l’on ressent», ajoute Eugénie Felber. Si besoin, il ne faut pas hésiter à appeler les lignes d’aide ou se référer au pédiatre, à un ou une psychologue ou pédopsychiatre, ou se rendre aux urgences.
Enfin, la prévention du suicide passe également par la sensibilisation des professionnels et professionnelles (enseignant ou enseignante, éducateur ou éducatrice, etc.) qui sont au contact direct des jeunes. Des formations existent pour leur permettre d’être plus à même de répondre aux besoins. «Tout le monde est acteur quand il s’agit du bien-être et de la sécurité d’un enfant ou d’un jeune», souligne Eugénie Felber. «Il suffit parfois d’un petit geste de bienveillance pour aider l’autre à aller mieux», conclut Nadejda Lambert.
Prendre aussi soin des parents
Les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) proposent des groupes de parole aux parents d’ados à risques suicidaires suivis à Malatavie unité de crise. «Les parents sont vus et entendus au cours de la prise en charge, mais l’enfant est au centre. Or, leur sentiment d’impuissance peut être assez fort. De plus, en raison du secret médical, ils peuvent se sentir exclus», explique Eugénie Felber, psychologue. S’apercevoir que d’autres parents vivent des situations similaires peut les aider à se sentir moins seuls. Ils peuvent partager leur vécu et échanger des conseils. «C’est aussi important pour nous de les déculpabiliser et de leur redonner une position de ″sachant″. C’est finalement eux qui connaissent le mieux leur enfant», conclut Eugénie Felber.
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* Office fédéral de la statistique, 2022.
** Besoin d’aide? Contactez le 147 (jeunes) ou le 143 (adultes) 24h/7.
Rendez-vous sur Ciao.ch ou Stopsuicide.ch
Pour Genève: Malatavie Unité de crise 24h/7 au 022 372 42 42 ou malatavie.ch
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Paru dans Le Matin Dimanche le 07/04/2024