Parler d’amour aux enfants, c’est possible
«Est-ce que tu viens pour les vacances, moi je n’ai pas changé d’adresse. Je serai, je pense, un peu en avance au rendez-vous de nos promesses», chantaient David et Jonathan en… 1988! La chanson est un brin ringarde, mais la thématique des premières amours d’été est aussi intemporelle qu’universelle. «Pour les enfants, la notion d’amour est un peu compliquée. Cependant, ils posent souvent des questions auxquelles les parents peuvent répondre en partant de leurs représentations. Si un enfant demande comment on fait les bébés, on peut lui demander ce qu’il s’imagine et partir de là pour discuter ouvertement du sujet et lui fournir quelques explications», explique Nathalie Mastelli, psychologue à la Fondation Transit dans le canton de Fribourg, qui est active notamment dans le soutien à la parentalité.
Parler aux ados actifs sexuellement
Rentrer dans la chambre de son ado, fille ou garçon, avec un paquet de préservatifs à la main n’est pas la solution optimale pour parler de sexualité… «S’intéresser à ce que le jeune est en train de vivre, lui poser des questions sans faire un interrogatoire est important. Il ne faut pas devenir moralisateur ni faire de la prévention sans lui demander où il en est, ce qu’il vit. S’il évoque une attirance pour quelqu’un, il faut simplement l’écouter. Si on sait qu’il est actif sexuellement, il convient de lui dire qu’il peut venir en discuter si besoin, avec soi ou un professionnel. L’essentiel est de verbaliser, de dire qu’en tant que parent, on a besoin de s’assurer qu’il est en sécurité, que c’est notre rôle», explique Nathalie Mastelli, psychologue à la Fondation Transit, à Fribourg. Les parents qui se sentent dépassés peuvent aussi s’adresser à des professionnels ou participer à des réunions entre pairs sur ce sujet.
Les adultes doivent faire attention à ne pas banaliser ce que ressent leur progéniture. Si les premiers papillons dans le ventre et bisous sur la bouche prêtent parfois à sourire, il est important d’être à l’écoute. «Valider les émotions de son enfant est primordial, elles sont leur boussole intérieure. Se montrer disponible et ouvert au dialogue sur les questions qui touchent l’intimité est aussi très important, il ne devrait pas y avoir de sujets interdits», explique Anne-Frédérique Monnay, éducatrice et formatrice en santé sexuelle et reproductive à la Fondation PROFA, active dans le canton de Vaud.
Cela est d’autant plus important lorsqu’un jeune vit un chagrin d’amour. «Les parents ne doivent pas minimiser le mal-être que peut ressentir l’adolescent après une rupture ou une déception amoureuse. Ils ne devraient pas non plus se contenter de dire: oui, moi aussi j’ai vécu la même chose à ton âge. Cela ne va pas aider l’enfant. Le mieux est de lui demander de quoi il a besoin pour se sentir mieux, de lui proposer son aide ou celle d’un professionnel si nécessaire. Attention toutefois à ne pas agir dans son dos en prenant par exemple un rendez-vous sans lui en parler. Il faut éviter de briser le lien de confiance», précise Nathalie Mastelli.
Lorsque le mal-être est tel que le jeune tient des propos suicidaires, il est important de lui fournir une aide appropriée et ne pas le laisser s’enfermer avec ses idées noires.
Aides pour aborder ces questions
Parfois, à l’adolescence, parler de «ces choses-là» avec ses parents est cependant compliqué. Il existe des centres de santé sexuelle, mais aussi des sites qui répondent aux questions sans tabou et anonymement. Parmi les questions qui sont posées sur ciao.ch ou sur ontecoute.ch, un grand nombre concerne la notion de couple, le besoin d'affection, le sentiment de ne pas être aimé, les difficultés à se montrer nu en raison de l’image corporelle.
Pour les plus jeunes, la littérature ne manque pas pour aborder les sujets en lien avec le corps et l’intimité. Et Nathalie Mastelli de conclure: «On peut ouvrir le dialogue en leur parlant de la façon dont nous sommes tombés amoureux de leur papa ou de leur maman. Aborder ces sujets de manière sincère et ouverte est le meilleur moyen de mettre l’enfant, quel que soit son âge, en confiance.»
Le consentement s’apprend très tôt
Grâce à la vague #metoo, le mot «consentement» est sur le devant de la scène depuis plusieurs années. Cette notion ne s’applique pas uniquement à un rapport sexuel, mais bien à tout ce qui est en lien avec son propre corps. «Il n’est jamais trop tôt pour faire passer le message: "Ton corps t’appartient". Dès la petite enfance, il est important de nommer les parties intimes avec un vocabulaire approprié. L’enfant a besoin de mots pour exprimer ce qu’il ressent ou ce qu’il vit», explique Anne-Frédérique Monnay, éducatrice à la Fondation PROFA, à Lausanne.
Expliquer également qu’il n’y a pas d’obligation à faire des bisous et des câlins. «Lorsqu’un petit n’aime pas qu’on le chatouille, il faut respecter ses limites et ne pas lui imposer un geste qui ne lui plaît pas», poursuit la spécialiste. Un avis partagé par Nathalie Mastelli, psychologue à la Fondation Transit, à Fribourg: «Le moment de la douche est propice pour parler de l’intimité. Laisser l’enfant se laver seul dès qu’il est en mesure de le faire est important. Montrer que l’on respecte ses limites lui permet, par mimétisme, de respecter aussi celles des autres.» Enfin, les parents doivent être attentifs à d’éventuels changements d’habitudes: sommeil perturbé, comportement inhabituel, troubles alimentaires, entre autres. «Au moindre doute, il est essentiel de s’adresser à des professionnels», précise Anne-Frédérique Monnay. Chez les plus petits, un comportement sexuel inapproprié par rapport à leur âge est aussi un indicateur que quelque chose ne va pas. Parfois, malheureusement, il n’existe aucun signe extérieur qui puisse mettre en alerte.
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Paru dans Le Matin Dimanche le 07/07/2024