Les 1000 premiers jours de l’enfant: une période cruciale pour la vie

Dernière mise à jour 04/03/20 | Article
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Les premières expériences du petit enfant et l’environnement dans lequel il se développe ont un impact majeur sur sa santé physique et psychique à long terme. C’est la science qui le dit.

Des générations de parents ont cru jusqu’ici que «Tout se joue avant 6 ans», la faute au best-seller américain de Fitzhugh Dodson, paru dans les années 70. Or, les connaissances récentes en neurosciences mettent en lumière une certaine plasticité cérébrale tout au long de la vie, avec toutefois des fenêtres d’opportunités développementales très précoces. De nombreux travaux scientifiques ont en effet montré qu’une partie considérable de notre développement physique, cognitif et affectif est en jeu durant les 1000 premiers jours de vie. Une période qui s’étend de la grossesse, où le fœtus commence à interagir avec son environnement, jusqu’à l’âge de deux ans environ. En France, les 1000 premiers jours de l’enfant font l’objet d’un programme politique de lutte contre les inégalités (lire encadré). François Ansermet, professeur honoraire de l’Université de Genève et de Lausanne et membre de la commission française des 1000 jours, relève le caractère exceptionnel de cette initiative: «On est habitué au silence des berceaux. Le petit enfant est un être sans parole dont on a longtemps négligé les souffrances, en partie à cause de notre propre amnésie infantile. Or, on réalise aujourd’hui à quel point il est tout à fait illogique de ne pas s’en occuper, tant l’impact de cette période est majeur pour le devenir ultérieur.»

La période sensible

Un programme politique pour la petite enfance

A partir du concept des 1000 jours de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le gouvernement français travaille sur une nouvelle politique publique de soutien à la parentalité. En septembre, il a mis en place une commission d’experts (neuropsychiatre, pédiatre, médecin généraliste, sage-femme, gynécologue, éducatrice, etc.), présidée par le neuropsychiatre Boris Cyrulnik. Il s’agira pour ces experts d’émettre, sur la base des dernières connaissances scientifiques, des recommandations claires pour les parents et de leur proposer des mesures concrètes d’accompagnement, qui restent pour l’heure à définir. Les parents sont également consultés.

Jusque dans les années 80, on a cru, à tort, que le bébé n’avait pas de vie psychique. Or, entre zéro et deux ans environ, son cerveau est en pleine ébullition. Le petit être humain vit une période de plasticité cérébrale inédite et unique. C’est ce qu’on appelle la période sensible: «700 nouvelles connexions synaptiques se forment chaque seconde dans le cerveau de l’enfant. Elles résultant des interactions de l’enfant (et ses gènes) avec son environnement», explique le Dr François Hentsch, psychiatre à l’Unité de guidance infantile des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). L’enfant vient au monde avec des réseaux neuronaux préconstruits qui se complexifient au fil du temps. Lorsque la mère ou le père parle à son bébé, le soigne, le caresse ou le porte, des milliers de connexions neuronales se créent. A mesure que ces interactions se répètent, il construit ses propres représentations du monde et acquiert des capacités motrices, mais aussi une mémoire émotionnelle, sensorielle, olfactive, etc. «Les 1000 premiers jours sont ainsi une excellente opportunité pour que de bonnes connexions neuronales s’établissent», relève la Dre Marie Schneider, psychiatre à l’Unité de guidance infantile des HUG. A la manière des fondements d’une maison, sur lesquels tout repose.

Pour que cela soit possible, le bébé doit être investi relationnellement, se sentir en sécurité, mais aussi être stimulé. «Il a besoin d’une présence relationnelle, d’être accueilli et anticipé», résume le Pr Ansermet. «S’il n’est pas nourri par une relation affective de bonne qualité, adaptée à ses besoins, et si personne ne met de mots sur ce qu’il vit, il risque de se replier sur lui-même et de mettre en danger son développement», déclare la Dre Mathilde Morisod Harari, médecin associée au Service de pédopsychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (SUPEA) du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Il s’agit d’intervenir à temps pour éviter plus tard des troubles relationnels, émotionnels, de l’attachement et des difficultés cognitives.

En chiffres

Durant les 1000 premiers jours…

  • La taille du cerveau de l’enfant est multipliée par cinq.
  • 700: le nombre de nouvelles connexions neuronales par seconde.
  • 18 mois: l’âge auquel les disparités en termes de vocabulaire apparaissent. A cet âge-là, l’enfant devrait avoir un bagage de 1200 à 1500 mots environ.
  • Un enfant ayant grandi dans un environnement sécurisé sera 2 à 5 fois moins fréquemment hospitalisé au cours de sa vie.
  • 1 dollar investi dans un programme pour la petite enfance rapporte entre 4 et 9 dollars. Un bénéfice qui profite à l’individu et à la société tout entière (diminution des coûts liés à la criminalité, à l’enseignement spécialisé, aux prestations sociales, etc.). Des études rigoureuses montrent que plus on intervient précocement, plus le gain est important.

Sources : Centre de développement de l’enfant de l’Université d’Harvard et Ministère français des Solidarités et de la Santé.

Un environnement affectif inadéquat et des conditions de vie défavorables, durant la grossesse et les premières années de vie, auront un retentissement d’autant plus fort que les facteurs de risque s’additionnent. Parcours migratoire, précarité, violence conjugale, maltraitance, maladie psychiatrique chez le parent, bas niveau d’éducation chez la mère, monoparentalité, etc., exposent l’enfant à un risque majeur de retard dans son développement cognitif, émotionnel ou du langage, selon le Centre de développement de l’enfant de l’Université d’Harvard. Or, pour qu’un enfant puisse s’investir plus tard dans les apprentissages scolaires, il doit d’une part disposer de compétences relationnelles, motrices et linguistiques, mais aussi être disponible, explique la Dre Schneider: «Lors de stress importants, il se produit une inhibition du lobe frontal, nécessaire aux apprentissages, au profit du système limbique qui régit les réactions de peur en cas de danger, et qui, lui, est hyperactivé.» Ces enfants-là n’arrivent pas à se concentrer, à nouer des relations et à apprendre des expériences de la vie, ce qui les maintient en échec. «Malheureusement, c’est souvent au moment où l’enfant entre à l’école qu’on s’aperçoit de ces difficultés», regrette la Dre Morisod Harari. Et pourtant, plus on intervient précocement, en offrant à l’enfant et à sa famille des expériences réparatrices, plus les chances d’inverser la tendance sont grandes. L’effet thérapeutique étant maximal dans cette fenêtre des 1000 premiers jours.

La santé physique en jeu

Notre trajectoire de santé physique se dessine aussi en grande partie à ce moment-là. Les études épidémiologiques le montrent: les stress environnementaux, y compris durant la grossesse (lire encadré), font le lit des maladies de civilisation que sont le diabète, l’hypertension, l’infarctus, l’obésité, ainsi que certains cancers. D’après les données du Centre de développement de l’enfant de l’Université d’Harvard, les personnes ayant été confrontées à sept ou huit facteurs d’adversité durant la petite enfance sont trois fois plus à risque de maladies cardiovasculaires. Les 0 à 3 ans étant par ailleurs les victimes les plus fréquentes de maltraitance.

Les recherches en épigénétique – science qui étudie les interactions entre notre génome et notre environnement – ont de leur côté montré une forte influence des expériences précoces (toxiques, malnutrition, perturbateurs endocriniens, etc.) sur l’expression des gènes, «avec une possible transmission de ces caractères acquis aux générations futures», souligne le Pr Umberto Simeoni, chef du Service de la pédiatrie du CHUV et de l’Unité de recherche DOHaD (Developmental Origins of Health and Disease), qui se consacre aux origines développementales de la santé et des maladies. L’obésité serait liée à ce phénomène: «Les modes de vie non adaptés (alimentation déséquilibrée, surpoids, sédentarité, mauvais sommeil, stress) se mettent en place très tôt chez l’enfant, créant au passage des marques épigénétiques sur son ADN», explique le Pr Simeoni. Selon le pédiatre, les parents pourraient idéalement adapter leur hygiène de vie durant les 1000 premiers jours, voire avant la conception.

Selon les mêmes processus, «les descendants des personnes ayant été exposées au traumatisme d’un conflit mondial sont plus sujets à des troubles comportementaux et à la dépression, mais aussi à des troubles métaboliques: ils ont une moins grande tolérance au glucose en raison d’une sensibilité accrue au cortisol – l’hormone du stress – liée à des marques épigénétiques», illustre le spécialiste, pour qui le changement climatique représente, pour notre civilisation, une menace du même ordre.

Que faire dès lors, si tout – ou presque – se joue avant l’âge de trois ans? C’est l’une des questions auxquelles le programme des 1000 jours devra répondre. «S’il ne faut pas banaliser les facteurs de risque, il ne faut pas non plus céder aux corbeaux noirs du déterminisme. Car tout le devenir de l’enfant n’est pas joué dans ses origines. Les choses restent ouvertes», estime le Pr Ansermet. Une information éclairée des parents et professionnels de la petite enfance, un renforcement du soutien à la parentalité et une prévention ciblée, dès la grossesse, sont néanmoins des voies à suivre. Avec des mesures plus politiques (congé parental, sécurité de l’emploi pour les femmes enceintes, augmentation des places en crèche, etc.) pour simplifier la vie des parents.

Neuf mois décisifs

L’originalité du concept des 1000 jours est d’inclure le temps de la grossesse, qui est un grand bouleversement pour la femme et qui joue un rôle important pour la santé de l’individu en devenir. On sait qu’un retard de croissance intra-utérine, même faible, expose l’enfant à l’obésité, au diabète et aux maladies cardiovasculaires dans sa vie future, «sans qu’on comprenne encore pourquoi», commente le Pr David Baud, chef du Service d’obstétrique du Département femme-mère-enfant du CHUV, qui milite pour davantage de recherche sur la santé maternelle et fœtale.

L’obésité maternelle et le diabète gestationnel exposent l’enfant au diabète de type 2. Le tabagisme durant la grossesse diminue de 200 à 300 grammes le poids de naissance, lui-même corrélé avec un plus haut taux de maladies cardiovasculaires à l’âge adulte. La consommation d’alcool peut entraîner notamment des malformations cardiaques et favoriser des troubles du développement (déficit d’attention, autisme).

Une plus grande attention sur la santé et le bien-être de la mère est favorable à l’enfant. «Les femmes bien préparées à l’accouchement vont moins chez le pédiatre», relate le Pr Baud, qui met actuellement en place un suivi plus étroit des patientes avant et après l’accouchement. La possibilité de pouvoir reparler d’un accouchement mal vécu diminue de 75% le risque de dépression post-partum (15 à 20% des cas). Un trouble qui mérite d’être mieux diagnostiqué en raison des conséquences à court, moyen et long terme sur le développement de l’enfant, alors qu’il se soigne très bien s’il est pris en charge correctement.

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Paru dans Le Matin Dimanche le 15/12/2019.

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