Bien vivre en famille
Nucléaire, monoparentale, homoparentale, adoptive… Quels que soient ses contours et son évolution au fil du temps, la famille demeure une valeur centrale de l’existence. Pour certains, elle est un pilier, pour d’autres, un poids. Heureusement, dans la plupart des situations, elle est un soutien indéfectible sur lequel on peut compter. «La famille est une ressource du moment que ses membres peuvent se mobiliser pour aider l’un des leurs, à condition qu’ils réagissent avec un niveau émotionnel moins élevé que celui qui rencontre des difficultés. Et qu’ils sachent reconnaître leurs limites en recourant à une aide extérieure quand cela est nécessaire», résume la Dre Alessandra Duc Marwood, médecin-responsable de l’Unité d'enseignement du Centre d'étude de la famille de l’Institut universitaire de psychothérapie à Lausanne.
Une vie, des épreuves
Oser confier ses enfants
Dans une société qui valorise beaucoup le lien entre parents et enfants, la culpabilité a vite fait de poindre lorsqu’on est face à des difficultés avec ses enfants ou que l’on se sent dépassé. Accepter qu’il y a des moments où on gère moins bien et qu’on a besoin d’aide est déjà un grand pas, selon la Dre Alessandra Duc Marwood. Apporter un peu d’air dans le quotidien et reprendre des forces s’avère alors nécessaire. Aussi, la spécialiste conseille de confier sa progéniture à sa famille ou à des proches, d’autant plus que «généralement les enfants le vivent bien». Organiser davantage de sorties avec d’autres familles pour que les enfants puissent se retrouver entre pairs peut également permettre de souffler un peu. Et, si besoin, rajouter un jour de garderie. Toutefois, le recours à des professionnels, indispensable dans certains cas, peut, dans d’autres, être à double tranchant car «cela peut être vécu comme une pression supplémentaire», conclut la spécialiste.
Conflits conjugaux ou relationnels, chômage, migration, séparation, naissance, deuil, accident, handicap, maladie, etc. Les événements qui peuvent secouer l’équilibre familial sont nombreux. A priori plus anodine, la rentrée scolaire peut aussi entraîner des crispations. Plus particulièrement, le fonctionnement familial est mis à mal lorsque l’enfant souffre à l’école: «Il arrive que certains enfants aillent très bien en dehors des périodes scolaires. Cela génère beaucoup d’incompréhension et de pression sur les parents», illustre la psychiatre.
Mais l’école n’est pas le seul lieu qui soit source de tensions. Parfois, c’est l’existence de voisins peu tolérants voire agressifs à l’égard des enfants par exemple qui peut conduire à d’énormes conflits au sein de la famille, parfois jusqu’à la séparation. Une évolution de la société qui n’est pas sans inquiéter la spécialiste: «Aujourd’hui, il y a paradoxalement plus de lieux dédiés aux enfants mais une tolérance plus restreinte à leur égard dans les espaces communs tel que l’habitat. Cela, dans un contexte où la population est, de manière plus générale, plus stressée».
Trouver ses repères
En tant que parent, trouver ses repères n’est pas non plus chose simple. L’arrivée d’un enfant, qui va sceller la famille, peut la plonger dans des difficultés insoupçonnées. «De plus en plus de jeunes parents n’avaient jamais eu l’occasion de s’occuper d’un enfant avant la naissance de leur premier. Un manque d’expérience qui peut rendre l’exercice de la parentalité difficile. Dans ce domaine, recourir aux grands-parents n’est pas forcément une solution, dans la mesure où les visions de l’éducation sont parfois très différentes», commente la Dre Duc Marwood.
Aussi, dans une vie toujours plus contraignante, les occasions de se faire aider se raréfient. Or, être en contact avec d’autres parents, partager ses expériences et voir comment les autres se débrouillent, est clairement un facteur protecteur. Des échanges informels qui permettent de dédramatiser bien des situations. Si aujourd’hui les ressources éducatives proposées par les médias ou dans les rayons des librairies ne manquent pas, cette offre pléthorique est, selon la spécialiste, à double tranchant: «Il y a beaucoup d’informations contradictoires, ce qui augmente la complexité des choix éducatifs. Les parents fragiles ou très réceptifs aux conseils qu’on leur donne ne savent plus à quel saint se vouer». Cela commence souvent à la maternité, puis se poursuit tout au long de l’enfance sur des thèmes aussi divers que l’alimentation, le sommeil, la propreté, la discipline. Là aussi, à chacun son école: il y a ceux qui vantent les mérites d’une éducation plutôt traditionnelle, tandis que d’autres ne jurent que par l’éducation bienveillante. Quoi qu’il en soit, remarque la Dre Duc Marwood, «les familles qui vont le mieux sont celles qui savent être créatives. Or, souvent, on observe que les plus fragiles d’entre elles font le choix d’un modèle éducatif unique. En cas d’échec, la détresse peut être importante».
Là encore, assure la spécialiste, être au clair sur les valeurs qu’on veut transmettre à ses enfants tout en ayant assez de souplesse pour s’adapter au développement et à la personnalité de chacun relève d’une attitude saine. Savoir faire des choix en fonction des différents moments de la vie de ses enfants permet également de diminuer la pression: «Loisirs, travail, vie de couple, vie de famille, etc. Vouloir poursuivre tous les buts à la fois augmente le niveau de stress». Autrement dit, l’harmonie familiale s’obtiendrait aussi en revoyant ses exigences à la baisse et en s’éloignant des diktats sociétaux.
Des besoins différents
Les moments de tension en famille proviennent parfois d’une mauvaise compréhension et d’attentes disproportionnées à l’égard des enfants. Si la plupart des parents déploient naturellement beaucoup d’énergie dans la vie de famille, l’enfant, de son côté, n’en est pas responsable, se plaît à rappeler la Dre Alessandra Duc Marwood: «Manger, dormir, bouger, jouer, rigoler, avoir une vie sociale, recevoir de l’affection, etc., font partie de ses besoins fondamentaux pour pouvoir se développer harmonieusement». Ainsi, après un après-midi de piscine ou de jeu à l’extérieur, le parent, dans l’idée d’avoir fait plaisir à son enfant, s’attend à ce qu’il se comporte correctement, en guise de reconnaissance pour le plaisir accordé. Or, les choses ne se déroulent pas toujours ainsi. Au lieu du calme espéré, l’agitation, les pleurs ou les colères prennent le dessus. Alessandra Duc Marwood nous explique pourquoi: «Dans notre vision d’adulte, on croit qu’un moment de plaisir suffit à l’enfant. Mais pour lui, ces moments sont un besoin et il ne peut se développer que comme ça. Aussi, les pleurs et contrariétés après une chouette journée sont en réalité une marque de reconnaissance de l’enfant. Une tristesse liée au fait qu’une chose qu’il a aimée se termine». Pour plus de sérénité, mieux vaut donc accepter ces sentiments négatifs, sans gronder l’enfant. Et pour que les fins de journée fatiguées se passent au mieux, on veillera à faire adopter les règles autrement, de façon plus ludique et moins coûteuse en énergie pour les petits.
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Paru dans le Quotidien de La Côte le 12/09/2018.