Salles de classe: nos enfants bougent-ils assez?
Bouger, jouer dehors, s’amuser: des besoins fondamentaux chez chaque enfant. L’activité physique est indispensable dès le plus jeune âge. Selon les recommandations de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), les enfants en âge préscolaire devraient être physiquement actifs au minimum 180 minutes par jour. Quant à ceux un peu plus âgés, ils devraient pratiquer une activité physique intense à modérée «beaucoup plus d’une heure par jour», d’après l’organe de la Confédération.
L’activité physique favorise la croissance et le développement, aussi bien du corps que de l’esprit. «Prenons l’exemple d’un os, suggère le Dr Mario Gehri, médecin-chef à l’Hôpital de l’enfance à Lausanne. L’os sera en croissance jusqu’à l’âge de 18 ans environ. Si on le bouge de manière normale, il va se densifier correctement. Sans cela, il restera mou en fin de croissance. Ce sera la porte ouverte au développement d’ostéoporose précoce.» De manière plus générale, le mouvement est bénéfique pour le développement psychomoteur et cérébral.
Les parents ont un rôle très important à jouer dans ce domaine. Il est indispensable qu’ils veillent à ce que leurs enfants bénéficient d’assez de moments dans la journée pour se défouler. Mais l’école, où les jeunes passent de nombreuses heures par jour, a également sa part de responsabilité. Tables fixes, chaises en bois, longues périodes passées devant un tableau noir… A première vue, l’environnement scolaire ne semble pas mettre la priorité sur la mobilité. «Il y a sans doute encore beaucoup de progrès à faire à ce niveau, confirme le Dr Gehri. Certes, il y a des cours d’éducation physique dans le programme, mais cela ne suffit pas. Il faudrait réfléchir à des mesures innovatrices pour adapter la classe aux besoins de mouvement des enfants, par exemple en multipliant les petites pauses actives.»
Mobilier rigide
L’école bouge!
Certaines initiatives commencent à fleurir en Suisse pour favoriser l’apprentissage en mouvement. La plateforme «L’école bouge», mise en place par Swiss Olympic, aide les enseignants et élèves à trouver un équilibre entre tension et détente, mouvement et repos, action et concentration. La plateforme propose de nombreuses idées pour intégrer l’activité physique dans le quotidien d’une salle de classe. On y trouve différents types d’exercices: des pauses stimulantes pour redonner de l’entrain aux élèves, des pauses relaxantes pour se recentrer et des exercices d’apprentissage en mouvement.
L’envie de changer régulièrement de position est humaine. Même pour les adultes, il est conseillé de ne pas rester assis plus de vingt minutes d’affilée dans la même position. «Le mobilier habituel des salles de classe offre peu l’occasion de bouger, regrette Maria Pichon, ergonome à Unisanté. A l’école enfantine, il y a souvent plusieurs espaces pour faire différentes activités. Mais dès l’école primaire, ces zones sont généralement réduites à un coin lecture au fond de la classe. Et à partir de la 5e HarmoS, il n’y a la plupart du temps aucune alternative aux tables et chaises classiques.»
En ce qui concerne la position assise elle-même, les spécialistes recommandent que l’angle entre le haut du corps et les hanches soit entre 90 et 100°, et environ 90° pour les genoux. Le dossier devrait soutenir la région lombaire et le bassin. «Malheureusement, les petites chaises en bois que l’on voit dans la plupart des écoles ne permettent ni l’un, ni l’autre», souligne Maria Pichon.
Laisser parler l’instinct
Des solutions existent pourtant pour offrir aux enfants plus de mobilité. Des petits coussins remplis d’air, par exemple, peuvent permettre de bouger plus facilement, tout en restant assis. Des tables inclinables pourraient également donner l’occasion aux enfants de travailler dans une position droite, voire même debout. «Les petits sentent souvent instinctivement quelle position adopter, remarque Maria Pichon. Alors si votre enfant souhaite lire en étant couché par terre, sur le ventre, vous pouvez le laisser faire. Il gagnera peut-être même en souplesse!»
En revanche, un enfant qui se tient toujours tordu ou affaissé sur sa chaise, aussi bien à l’école qu’à la maison, doit attirer l’attention. A terme, des troubles musculo-squelettiques risqueraient d’apparaître. Un suivi par des psychomotriciens, ergothérapeutes ou physiothérapeutes peut alors être envisagé. A noter qu’un abus d’écrans peut également représenter un risque. «Lorsqu’on emmène un enfant dans un terrain vague, il va naturellement se mettre à jouer, courir et se dépenser. Mais le problème avec les écrans, c’est qu’ils induisent vite une dépendance et peuvent nuire à cet instinct primaire», averti le Dr Gehri.
«Les élèves demandent souvent à changer de position»
Estelle Heiniger, enseignante à l’école primaire de Coppet, est particulièrement sensible à la question du mouvement en classe. Elle témoigne: «Je me souviens que moi-même, en tant qu’élève, j’étais souvent frustrée, car j’aurais aimé bouger plus souvent pendant la journée. Aujourd’hui, j’essaye donc d’être attentive à cet aspect. Chaque matin, j’organise un cours par terre, sur le tapis. Au lieu de demander aux élèves de s’asseoir en tailleur, je les laisse choisir leur position, se coucher ou prendre des coussins, par exemple. Et ils ne sont pas moins attentifs, au contraire! Nous faisons aussi régulièrement des petits jeux avec des balles ou des cerceaux pour "se réveiller". Pendant la journée, je propose des exercices de coordination entre deux leçons. J’ai vraiment l’impression que ça contribue à "rallumer le cerveau" des élèves, ça met leurs sens en éveil et ils se concentrent mieux. Lorsque je ne fais pas cela, certains deviennent très excités tandis que d’autres ont tendance à s’affaler sur leur table.
Spontanément, les élèves demandent souvent à changer de position, travailler debout ou par terre. Si cela ne perturbe pas la classe et que l’exercice le permet, je les laisse faire. Le mobilier dont je rêverais, ce serait des tables inclinables qui permettent, par exemple, de travailler debout. D’ailleurs, je n’utilise moi-même jamais mon bureau. Soit je me promène dans la classe, soit je m’assieds à une table normale, autour de laquelle il est plus facile de s’installer avec les élèves.
Quand j’ai commencé à enseigner, j’avais parfois de la peine à motiver les élèves lorsqu’il fallait ranger à la fin de la journée. Cela pouvait prendre une quinzaine de minutes pour qu’ils s’activent. Mais aujourd’hui, j’organise le rangement en chanson, en leur faisant répéter ce qu’ils viennent d’apprendre en cours de musique. L’objectif: que tout soit terminé à la fin de la chanson. Et ça marche!»
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Paru dans le Quotidien de La Côte le 28/08/2019.