Pourquoi certains bébés pleurent-ils de façon excessive?

Dernière mise à jour 04/08/21 | Article
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Les coliques du nourrisson sont causées, en partie au moins, par une hypersensibilité sensorielle à la naissance, selon des médecins et chercheurs genevois.

Que peuvent faire les parents?

Il est difficile de faire cesser les pleurs d’un nourrisson qui a des coliques. Mais alors, quand il crie, quels gestes adopter? Comment se comporter?

Mélanie Stauffer, pédiatre à Vernier (Genève), recommande d’abord de «structurer la journée du bébé avec des cycles réguliers de sommeil, d’éveil et de repas». Ensuite, de «profiter des moments où l’enfant est réveillé et calme pour être en interaction positive avec lui et s’en occuper».

Ne sachant plus quoi faire, certains parents emmènent leur enfant faire un tour en voiture ou branchent l’aspirateur, en espérant que le rythme de la première ou le ronronnement du second le calmeront. «Sur le moment, cela marche, constate la pédiatre, mais en fait cela le fatigue.» D’une manière générale, «il faut éviter de trop le stimuler quand il pleure. Mieux vaut le bercer ou faire un tour en poussette dans le calme». S’il a moins de huit semaines, «il peut être utile de l’emmailloter, car cela le contient et le rassure en lui rappelant le ventre de sa mère».

Quand le bébé crie, avant de s’énerver, «il faut le poser dans son lit ou le confier à un membre de son entourage qui prendra le relais». En fait, note Mélanie Stauffer, «les parents doivent prendre leur mal en patience», en se souvenant que, dans la plupart des cas, les pleurs cessent spontanément au bout de quelques mois. «Nous essayons de soutenir les parents dans cette période difficile et de les aider à passer le cap, conclut la pédiatre. Toutefois, nous n’avons pas de baguette magique.»

 «C’était vraiment l’enfer», se rappelle Natalia. «Mon mari et moi, nous étions fatigués en permanence», ajoute Anne (lire leurs témoignages en encadré). Ces deux mères ont vécu des moments éprouvants, car leurs fils ont souffert de coliques du nourrisson. Elles sont loin d’être les seules dans ce cas. Le phénomène est fréquent et il toucherait, selon certaines études, environ 20% des bébés. Tout dépend en fait de la définition que l’on adopte.

Dans le langage courant, le terme «colique» évoque des problèmes gastro-intestinaux et des diarrhées. En fait, il s’agit de tout autre chose. On qualifie ainsi le fait que des bébés, en bonne santé, pleurent plus de trois heures par jour, pendant plus de trois jours sur une semaine. «Mais il s’agit là de la définition utilisée pour la recherche, précise Mélanie Stauffer, pédiatre à Vernier (Genève). Dans la pratique, on estime que l’enfant a des coliques quand il pleure de manière excessive, même si ce n’est que deux jours par semaine, et qu’il est difficile à consoler, quoi que fassent les parents».

Dans la majorité des cas, tout commence lorsque le nouveau-né a environ deux semaines. En fin d’après-midi et en début de soirée, il hurle – c’est pour cette raison qu’on parle aussi de «pleurs du soir». Généralement, il se calme pendant la nuit – bien que «les gros pleureurs crient tout le temps», précise Russia Ha-Vinh Leuchter, médecin-adjointe au Service du développement et de la croissance des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Typiquement, les crises connaissent un pic à un mois et demi, puis elles diminuent, et cessent complètement vers l’âge de trois mois.

Une étape normale du développement

Aucune famille n’est a priori épargnée par ces coliques, qui peuvent concerner le premier enfant ou les suivants et qui ne sont pas liées à l’alimentation du bébé, ni à celle de sa mère si elle l’allaite.

En fait, on ne connaît pas les causes des coliques. L’une des hypothèses est qu’elles constituent une étape normale du développement de l’enfant. «Tous les bébés pleurent, et de la même manière, rappelle Mélanie Stauffer. C’est la durée de ces pleurs qui fait la différence.» D’ailleurs, précise sa collègue des HUG, «les enfants ayant des coliques ne pleurent pas plus souvent, mais plus longtemps». Généralement, les nourrissons parviennent à réguler leurs pleurs et à se calmer, mais ceux qui ont des coliques ont du mal à le faire.

De nos jours, ces pleurs intenses sont souvent un vrai calvaire pour les parents mais, si l’on se place sur le plan de l’évolution, ils avaient probablement leur utilité. «Il est possible que, pour le bébé, ils aient été les garants de la survie, avance Russia Ha-Vinh Leuchter. Quand nous étions encore des chasseurs-cueilleurs ou plus tard, lors de situations extrêmes – famine ou guerre –, ils trouvaient là un moyen d’attirer l’attention de leur mère pour qu’elle ne les oublie pas.»

Pour expliquer les coliques, d’autres hypothèses évoquent l’immaturité du système gastro-intestinal des nouveau-nés, l’anxiété de la mère ou les migraines dont elle souffre, ou encore des problèmes dans les relations entre l’enfant et ses parents. Cependant, quand elles existent, «ces tensions ne sont pas la cause, mais plutôt la conséquence des coliques», précise Mélanie Stauffer.

Odeur de chou pourri

On est donc dans le flou. Toutefois, Russia Ha-Vinh Leuchter et Alexandra Adam-Darqué, chercheuse au Child Developpment Laboratory de l’Université de Genève, viennent de trouver un élément d’explication. Leur étude, publiée dans le journal médical Pediatrics research, conclut que les bébés qui pleurent de manière excessive ont une hypersensibilité sensorielle, notamment aux odeurs, lors des premiers jours de leur vie.

Pour arriver à ces résultats, les équipes genevoises ont fait appel à 36 nourrissons âgés de 1 à 6 jours. Elles ont observé leur cerveau par IRM, tout en diffusant trois odeurs – de banane, d’eucalyptus et de chou pourri.

Vingt et un enfants ont finalement pu participer à l’étude – les autres se sont réveillés pendant l’examen, bougeant et faussant les résultats. Les chercheuses ont ensuite demandé aux parents de tenir le calendrier quotidien des pleurs de leur enfant quand celui-ci a eu six semaines.

«Nous avons constaté que plus le cerveau des bébés réagissait fortement à l’odeur du chou, plus le temps moyen de leurs pleurs était élevé quand ils avaient six semaines», explique Russia Ha-Vinh Leuchter. Certaines régions du cerveau sont activées de manière excessive par la senteur désagréable: le cortex piriforme, la plus grande des aires olfactives, ainsi que des aires olfactives secondaires «liées notamment à la régulation du comportement et au ressenti de la douleur, note la pédiatre des HUG. Cela montre que les bébés pleureurs sont plus sensibles aux stimuli sensoriels – notamment celui de l’odeur, qui est le seul que nous avons étudié». Toutefois, cela n’explique qu’environ 50% des coliques. «Ce n’est donc pas la seule raison des pleurs et il reste encore beaucoup de choses à comprendre.»

Déculpabiliser les parents

Est-ce à dire que, pour éviter d’entendre son enfant hurler tous les soirs, il faut diffuser dans sa chambre un parfum de banane ou d’eucalyptus? «Je ne crois pas, répond en riant Russia Ha-Vinh Leuchter. C’est l’odeur des parents qui est réconfortante pour l’enfant. Je conseille d’ailleurs aux mères de ne pas mettre de parfum quand elles allaitent.»

Ces recherches ont pour principal impact «de permettre de déculpabiliser les parents, en leur montrant que, si leur enfant pleure beaucoup, ce n’est pas de leur faute». Car, non seulement la mère et le père sont épuisés et anxieux, mais ils se sentent aussi parfois coupables de la situation. «Puisqu’ils n’arrivent pas à calmer leur enfant, certains s’imaginent qu’ils ne sont pas de bons parents», constate Mélanie Stauffer. Cela peut avoir des conséquences «sur la mère, qui met ses besoins personnels de côté, ainsi que sur le couple». Dans de rares cas, ce sentiment de détresse «peut mener les parents à secouer leur enfant pour le calmer. Il peut aussi les conduire à la dépression», ajoute la doctoresse des HUG.

Quand son bébé pleure pendant plusieurs jours et reste inconsolable, mieux vaut donc se faire aider et consulter son(sa) pédiatre.

Une rude épreuve pour les parents

Natalia: «Je croyais que ça durerait toujours»

«Les cris commençaient vers 17-18h et duraient toute la nuit. Par moments, mon fils se calmait et s’endormait, mais quelque temps après il se réveillait et se remettait à pleurer.» Le nourrisson de Natalia avait quelques semaines quand il a eu ses premières coliques. «C’était vraiment l’enfer, d’autant plus qu’à ce moment-là, j’avais l’impression que ça durerait toujours.»

Natalia se sentait coupable car, explique-t-elle, «dans mon pays, la Russie, on dit que si un nourrisson a des coliques, la mère est responsable, car elle a mangé quelque chose de mauvais. J’ai donc essayé de faire attention à mon alimentation, mais cela n’a rien changé». Elle a aussi essayé des médicaments qui absorbent les gaz. Là encore, sans résultat. «La pédiatre m’a dit qu’il fallait attendre que ça passe».

Effectivement, à cinq mois, «soudainement, mon fils a complètement arrêté de pleurer toutes les nuits. C’était très bizarre». Aujourd’hui, le garçon a un an. «Pendant la période où il hurlait toutes les nuits, je me disais que quand il ferait ses dents, ce serait encore pire. Mais en fait, après les coliques, les dents, ce n’est rien du tout.»

Anne: «On était des zombies»

Pour Anne, le calvaire a duré beaucoup plus longtemps. Cette femme a eu un accouchement difficile et, après la naissance de son fils, elle a dû rester allongée et ne pouvait s’occuper de son nourrisson que couchée. «Je pense que les coliques de mon fils viennent du fait que ses premiers jours ont été compliqués et qu’il avait besoin d’être rassuré en permanence.»

Quoi qu’il en soit, dès qu’il est né, poursuit Anne, «mon enfant a commencé à pleurer, surtout le soir et au moment de la sieste, sauf quand je le prenais dans mes bras pour l’allaiter. Dès que je le posais sur son lit, il se mettait à hurler. Je ne savais plus quoi faire et, en désespoir de cause, je le prenais dans notre lit. Mon mari et moi, on était réveillés dix fois par nuit. On se sentait fatigués en permanence. On était des zombies. On ne sortait plus et on avait la hantise de partir en week-end, surtout que dans la voiture, il ne se calmait pas. Au contraire, il hurlait. On a tout essayé: l’ostéopathie, l’homéopathie. On l’a aussi laissé pleurer. Rien n’y faisait».

Quand l’enfant a eu 3 ans et demi, la famille a fait un grand voyage. «Le décalage horaire l’a tellement fatigué qu’il a dû lâcher prise et s’est mis à dormir. En plus, nous lui avons dit que maintenant ça suffisait et qu’on n’en pouvait plus.» Les cris et les hurlements ont cessé.

Pour l’aîné, la situation n’a pas été facile à vivre. «Aujourd’hui encore, il est un peu jaloux de son frère. Il me dit : “tu t’es toujours plus occupée de lui que de moi”». Quant à Anne, elle a eu un suivi psychologique. «Maintenant, je peux en parler sans pleurer, tout est derrière moi. Ce sont des mauvais souvenirs. Mes fils ont 12 et 9 ans, et nous allons bien tous les quatre».

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Paru dans Le Matin Dimanche le 01/08/2021.

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